Fespaco 2019 : Les recommandations fortes de Noureddine SAÏL

L’une des conséquences de la crise financière du cinéma, c’est entre autres la difficulté de production de films entraînant du coup la fermeture de la plupart des salles de ciné en Afrique. Aujourd’hui, la question qui reste encore sur les lèvres, c’est comment reconquérir ce public qui s’est abonné depuis belles lurettes aux club-vidéo au détriment du grand écran ?

Noureddine SAÏL : Réalisateur, responsable du festival africain de Khouribga depuis 1977

Noureddine Saïl (N.S) :  l’état actuel des choses, vous me dites qu’est-ce qu’on peut faire ? Qu’est-ce qu’il faut pour qu’il y ait une cinématographie nationale ? Il faut qu’il y ait un mouvement de producteurs qui s’intéressent à des réalisateurs et qui arrivent à financer leurs produits avec de l’argent et des services. A partir déjà du 10ème, du 20ème ou de la 30ème   année, on n’a rien fait. Qu’est-ce qu’il faut pour qu’il y ait une cinématographie nationale ?

Il faut qu’il y ait un mouvement de producteurs qui s’intéressent à des réalisateurs et qui arrivent à financer leur produit avec de l’argent et des services. A l’état actuel des choses, vous me dites qu’est-ce qu’on peut faire ? A partir déjà du 10ème, du 20ème ou du 30ème  on n’a rien fait. Qu’est-ce qu’on peut faire ? Aujourd’hui comme il y 10 ans, 20 ans, si les Etats africains ne se décident pas directement à faire une aide, un subventionnement ou des avances sur recettes aux producteurs, il n’y aura pas de cinématographie africaine. Il y aura de temps en temps un film toutes les années bissextiles qui sera excellent.

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Nous avons des gens qui peuvent aller dans le plus grand festival du monde et avoir des prix mais ça ne fait pas pour autant une cinématographie burkinabé,  ni malienne. Alors qu’il y a une cinématographie française qui fait 240 films par an et une cinématographie américaine qui fait 500 films/ an, une cinématographie indienne qui fait plus 1000 films/an. Le Maroc a commencé depuis une dizaine d’années   à prendre son destin en main et il faudrait qu’il continue.

Un autre aspect non moins important, c’est le problème de salles de cinéma. Où montrer nos films ? Dans tout le Burkina, je pense qu’il y a que 8 à 10 salles et ça aussi, c’est pendant le FESPACO; je n’en suis même pas sûr. Le Maroc qui fait 25 films/an a 62 écrans ; c’est-à-dire, une trentaine de salles. Ce problème de salles est résolu en Egypte parce que c’est une puissance extraordinaire au niveau du cinéma qui existe depuis 1926. L’Egypte a entre 400 à 450 écrans de cinéma. Il produit et il a un public parce que c’est le public qui fait les salles.  Si vous n’avez pas de salles vous n’avez pas de public et plus vous tardez à avoir des salles, moins le public prend l’habitude de sortir pour aller au cinéma. Nous sommes dans un cercle totalement vicieux. Alors que faire ?

Il n’y a que les états africains qui peuvent par un mouvement marquer de manière affirmative et totalement positive leur volonté de créer des industries cinématographiques. Et pour ça,  il y a mille mécanismes à utiliser. Il s’agit par exemple du mécanisme de l’avance sur recettes. On peut de la manière utiliser ce mécanise pour créer des petites salles, des salles multiplex de 50 places. C’est-à-dire faire en sorte que dans un même espace, il y ait 8 ou 9 écrans qui offrent 8 ou 9 programmes. Un tel mécanisme a l’avantage de créer un débouché national pour des productions nationales à venir.  Cette réflexion, je suis en train de la développer depuis une dizaine d’années.

“Pour reconquérir le public, il faut construire des salles multiplexes; car la force du cinéma, c’est de rassembler les gens en un seul lieu, les faire rêver ensemble et en même temps. Dans une salle de cinéma, nous sommes solidaires et solitaires en même temps…”

Aujourd’hui, si vous voulez ramener le public faites 10 salles de 100 places avec 10 programmes différents avec 2 films américains, 2 films africains, 2 films égyptiens, 1 films du Burkina et 1 film du Sénégal et 2 films indiens. Il faut donner au public, la possibilité de “zapper”; c’est-à-dire,  la possibilité de venir voir un film, sortir et rentrer voir un autre et revenir le lendemain pour voir un autre  film.

Pourquoi les cinématographies européennes ont été sauvées ? Parce qu’ils ont su multiplier l’offre aux spectateurs. S’il n’y a pas de salle, les gens iront chercher des films sur leurs téléphones mobiles, leurs tablettes qui leur permettront de zapper tranquillement chez eux sans problèmes. La force du cinéma, c’est de rassembler les gens et de les faire rêver ensemble. L’expression que j’utilise d’habitude, c’est que dans une salle de cinéma, nous sommes solidaires et solitaires en même temps et c’est une fonction sociale extraordinaire. Nos gouvernements ne se doutent pas de la capacité qu’a le cinéma de créer un lien social très fort entre les gens, de les faire rêver ensemble, avoir peur ensemble construire dans leur tête des fictions à partir d’un film; c’est formidable. Moi j’en parle comme ça parce que j’ai été élevé dans cette culture. Pourquoi priver nos enfants, nos amis de cette capacité du cinéma à faire rêver ensemble des gens dans une même salle avec des programmes variés? c’est ça qui a sauvé l’Europe !

C’est vrai qu’on parle de construire des multiplexes, on dit qu’il y a des priorités. Il y a des écoles ou des hôpitaux à construire. Mais pourquoi serions-nous le seul peuple au monde qui doit manger ou boire seulement ? Nous pouvons faire les deux !  Pourquoi ça marche ailleurs et pas chez nous ? on me dira que cela fait depuis très longtemps qu’ils ont créé ces conditions parce que nous n’avons rien vu venir.

Pourquoi en France, en Italie, en Allemagne brusquement du jour au lendemain la même salle de 1000 places s’est divisée en 5 salles de 200 ou 250 places ? c’est une logique commerciale qui a profité aux auteurs, aux producteurs et aux réalisateurs. Pourquoi seul sur terre, nous en Afrique, on n’a rien vu venir ? Alors évidemment la partie est très rude et pour remonter la pente, c’est très dur. Mais plus on tarde plus ce sera plus dur. Je peux dire qu’aujourd’hui, nous avons déjà 30 ans de retard.

Pour moi, il n’est jamais tard pour bien faire et les décisions d’un Etat souverain peuvent être prises à n’importe quel moment. Il faut simplement avoir la patience de dire, “on verra les résultats dans 5 ans, 7 ans ou 10 ans”. Mais si vous voulez régler la problématique du cinéma, c’est-à-dire la production, l’exploitation, les salles multiplex au moment où vous prenez la décision, c’est que vous n’avez rien compris. Le temps de la décision politique ne peut être que long à long terme. Et nous avons tardé à prendre cette décision politique en Afrique; qu’aujourd’hui pour rester mesurer, on en paie le prix.

Propos recueillis par Patrick COULIDIATY et Fatim BARRO

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