Ioannis Panoussis  : « En voulant aller trop vite, on passe pour des GI des droits de l’homme »

Ioannis Panoussis  : « En voulant aller trop vite, on passe pour des GI des droits de l’homme »

Ioannis Panoussis  : « En voulant aller trop vite, on passe pour des GI des droits de l’homme »
La déclaration des droits de l’homme a-t-elle une vocation universelle ? Le point de vue de Ioannis Panoussis, Doyen de la faculté de droit de l’Université Catholique de Lille

Image Amnesty International

« J’ai envie de répondre à cette question par une autre : Que met-on, exactement, derrière le terme d’universalité ? Tout l’enjeu est là. Tous les malentendus, en tout cas, découlent de là. Je m’explique : la déclaration de 1948 est un corpus universel qui renvoie, bien évidemment, à des valeurs partagées. Le texte a, très clairement, une prétention universelle. Cela étant posé, reste à savoir si “universalité” signifie “uniformité”. Je ne le crois pas. On doit pouvoir porter l’exigence d’universalité tout en acceptant une certaine forme de pluralisme dans l’application de ces droits.

Regardez d’ailleurs, au niveau européen, on se reconnaît mutuellement le droit d’interpréter différemment certaines libertés fondamentales. Prenez l’exemple de la liberté d’expression : elle est quasi totale chez les Britanniques et davantage encadrée en France. Qui s’en émeut ? Cela s’explique par des histoires, des cultures, des sensibilités différentes et c’est accepté comme tel. La Cour européenne des droits de l’homme n’y trouve rien à redire. Réclamer une uniformité totale dans l’application des droits de l’homme n’a pas de sens. Et a fortiori plus encore au niveau mondial !

J’ai pu le mesurer, personnellement, lors d’une mission menée en Afghanistan. En 2011, j’ai été mandaté, avec d’autres, pour promouvoir les droits de l’homme auprès de juristes et de militants des droits de l’homme du pays. On parlait tous des droits de l’homme, mais très différemment. On estimait, en tant qu’Occidentaux, qu’ils n’allaient pas au bout de la démarche – notamment sur la question de l’égalité entre hommes et femmes. Mais j’ai compris, sur le terrain, toutes les contraintes auxquelles ils étaient soumis. En dehors de Kaboul, par exemple, l’appareil étatique n’impose rien. La seule autorité reconnue dans le village, c’est celle du Mufti. Il faut donc composer avec lui et le convaincre, déjà, de se prononcer contre les mariages forcés. Il faut y aller par étapes. Ce qui ne nous empêche pas, évidemment, en tant que lobbyiste des droits humains de les promouvoir de façon la plus ambitieuse qui soit !

Reste ensuite à savoir, et là est tout l’enjeu, à partir de quand une interprétation trop restrictive d’un droit finit par en nier sa substance même. Là est la limite. On doit par exemple considérer que la pratique des mutilations génitales – que certaines défendent en étant partie prenante de leur culture – constitue une torture. Cela doit donc être proscrit partout. Concernant d’autres droits, en revanche, il faut sans doute laisser aux états, le temps d’évoluer… comme nous l’avons nous-mêmes fait d’ailleurs ! Je pense, sinon, qu’en voulant aller trop vite, on passe pour des impérialistes, des sortes de GI des droits de l’homme, et que cela se révèle au final plus contre-productif qu’autre chose. »

Recueilli par Marie Boëton

Leave a comment

Send a Comment

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *