La dimension culturelle de la Diplomatie : cas du Fespaco

La dimension culturelle de la Diplomatie : cas du Fespaco

La dimension culturelle de la Diplomatie (L’exemple du FESPACO), tel était l’objet de la communication donnée par Excellence Filippe SAVADOGO, Ancien Délégué Général du FESPACO, Ancien Représentant de l’OIF auprès des Nations Unies. C’était à l’occasion du lancement de la campagne de communication de la Célébration du cinquantenaire du FESPACO, le 20 septembre 2019  à l’Hôtel OMKIETA de Ouagadougou

Mesdames et Messieurs,

C’est pour moi un grand honneur d’être parmi vous dans ce temple du savoir, avec de personnalités enthousiastes et convaincues des vertus de la diplomatie, surtout sa dimension culturelle. Les interventions des panélistes qui m’ont précédé ont été fort enrichissantes pour moi.

Je voudrai pour ma part, partager avec vous, Mesdames et messieurs, quelques réflexions tirées de mon expérience personnelle et  professionnelle qui ont été, en grande partie, consacrées à la culture et à la diplomatie, d’abord à l’échelle continentale, bilatérale et depuis quelques temps à l’échelle multilatérale internationale, en tant que Représentant Permanent de la Francophonie auprès des Nations Unies.

Mon parcours a commencé dans un petit village, de la savane africaine au Burkina Faso, pays dont l’histoire n’est pas toujours bien connue de tous. Permettez-moi, de m’y attarder quelques instants, non par chauvinisme, mais pour illustrer à bien d’égards, le thème qui nous réuni ici.

A l’origine  de l’empire Mossi d’où le Burkina Faso tire en partie ses origines, était une belle histoire d’amour : celle d’une belle et brave princesse, une amazone du nom de Yennenga  qui tombât amoureuse d’un intrépide chasseur, malgré l’opposition de son père, le roi de GAMBAGA.

De leur union naquit un fils baptisé Wédraogo (cheval mâle) en souvenir de l’étalon qui fut à la base de leur idylle. L’histoire telle qu’elle nous a été contée, autour de feux de bois dans la nuit fraîche de la savane africaine, est pétrie de courage, du sens du sacrifice et du triomphe de l’amour, rivalisant avec toutes les belles histoires d’amour telles qu’on nous les raconte dans les films de Hollywood, Bollywood, ou Nollywood.

Elle est tout aussi pleine d’enseignements et pourrait émerveiller les adolescents d’Afrique, d’Asie, d’Europe ou d’Amérique.

Évidemment, cela aurait été le cas, si l’histoire leur était contée, par le biais surtout du cinéma.

J’ai vu mon premier film à l’âge de sept (7) ans avec les célèbres acteurs de cinéma muet Charly Chaplin (Charlo), puis le duo Laurel et Hardy.

Ce fut un choc culturel qui allait influencer  ma vocation, car le cinéma a toujours été magique pour un enfant. Ces films qui m’ont fasciné étaient projetés dans l’enceinte une mission catholique où tous les enfants se retrouvaient sans distinction de race ni de religion dans une atmosphère joviale extraordinaire.

Sans le savoir, nous étions en plein dialogue inter-culturel et  inter-religieux comme Monsieur Séguin faisait de la prose, sans aussi le savoir.

Ce souvenir d’enfance m’a toujours accompagné dans la vie, car je fus vite persuadé qu’ « une image vaut 1.000 mots » selon le dicton indien. En outre, l’autre question qui me préoccupa fut celle-ci : pourquoi n’y avait-il pas d’africains devant et derrière les caméras pour porter nos rêves à l’écran et partager nos belles histoires, pleines d’enseignement, comme celle de la Princesse Yennenga ?

En effet, il est de bon ton de rêver en noir et blanc sur des films venus d’ailleurs, mais il est aussi intéressant d’être bercé par des sujets de films concernant son propre environnement, sa propre culture.

Le sage philosophe, écrivain et cinéaste africain Ousmane SEMBENE a choisit d’être cinéaste pour toutes ces raisons ; il répétait souvent que le cinéma devait être l’école du soir pou accélérer l’éducation.

L’Afrique et les africains devraient avoir leur histoire racontée aussi par les africains eux-mêmes et nous devrions vite nous mettre à l’apprentissage et à la promotion du 7ème Art.

Ce questionnement trouvera sa réponse à travers l’UNESCO qui fonda en 1976 une école pilote de cinéma à l’Université de Ouagadougou où je fus admis comme étudiant de la première promotion.

La création de cette école du Cinéma à Ouagadougou venait renforcer l’assise du FESPACO, né dans ce pays du Sahel au cœur de l’Afrique de l’Ouest en 1969, et qui allait devenir le plus grand festival du continent !

Le Festival Panafricain du Cinéma et de la Télévision de Ouagadougou (FESPACO) qui célèbrera son 50ème anniversaire au mois de février 2019 à Ouagadougou et l’on peut  le caractériser comme l’un des meilleurs temples de la diplomatie culturelle en Afrique.

Depuis 1969, le FESPACO n’a pris aucune ride, bien au contraire, il est devenu le rendez-vous incontournable du 7ème art africain, mais aussi de ceux qui étudient l’exemple réussit d’une industrie culturelle à l’échelle de tout un continent.

Lorsque j’ai pris la Direction du FESPACO au milieu des années 80, j’ai vite été persuadé que la survie du festival passait par une promotion vigoureuse qui devait le hisser comme un festival de son temps, un vecteur essentiel de la diplomatie culturelle.

Il fallait donc :

  • Renforcer sa  dimension continentale et son attractivité ;
  • Présenter les meilleurs films africains et de la diaspora ;
  • Consolider le rayonnement du cinéma africain sur toutes les places cinématographiques du monde en faisant entendre la voix d’un continent aux énormes potentialités.

Ainsi en 1989 au lendemain des grandes émeutes de Los-Angeles, le FESPACO avec des Hommes de culture africains américains entama l’idée d’une rétrospective du cinéma africain à Los-Angeles aux Etats-Unis (Holliwood) ; celle-ci allait donner naissance au Panafrican Film Festival of Los-Angeles (PANAFF), dont le lancement en 1992 au Magic Johnson theater, connu un énorme succès en présence de l’actrice Whoopi Golbert.

Si les trois priorités du continent restent le triptyque : Santé, Agriculture,  Education, d’autres domaines en l’occurrence la culture ont un éminent rôle à jouer …

« La culture est au début et à la fin du développement » disait Léopold Sédar  Senghor  au sortir du 1er Festival des Arts Nègres de Dakar, organisé en 1966 et dont les retombées sont encore présentes dans la mémoire collective de l’humanité.

Le FESPACO venait en droite ligne de l’esprit du Festival des Arts Nègres de Dakar car l’aspiration  profonde des fondateurs était de donner une place à  l’Afrique dans le concert du cinéma mondial.

Pour ma part, il fallait donc  poursuivre la croisade du cinéma africain dans le concert des nations, tout en renforçant les acquis.

Le FESPACO a toujours eu  un siège permanent à Ouagadougou depuis plusieurs décennies, ce qui lui a permis d’être  le réceptacle incontournable du 7ème Art en Afrique.

Les objectifs de notre mission, furent de faire connaître le FESPACO à travers le monde. La bataille pour l’institutionnalisation d’un Festival ne se gagne pas en restant dans un bureau ! A l’instar des diplomates, j’ai pris mon bâton de pèlerin pour faire connaître le FESPACO avec un leitmotiv : « Entre deux FESPACO, on prépare le prochain » !

C’était une réponse à ceux  qui ne voyaient pas l’intérêt de voyager, de parcourir le monde pour plaider la cause d’un festival qui avait lieu tous les deux ans.

L’attractivité du Festival est née de cette dynamique qui a définitivement établi Ouagadougou comme la capitale du cinéma africain.

La Fédération Panafricaine des Cinéastes (FEPACI) a bénéficié du plein soutien du FESPACO et par la suite, établit son Siège à Ouagadougou, tirant ainsi avantage de sa proximité avec le FESPACO.

Depuis environ cinq décennies, le FESPACO a accompagné les hommes et les femmes de la profession, en leur offrant des espaces d’échanges et de promotion inégalés.

A cet égard, je voudrais évoquer le marché international du cinéma africain (MICA) mais aussi la cinémathèque africaine de Ouagadougou qui ont tous deux, démontré leur contribution à la connaissance du continent.

Le Festival et le marché du film se sont attachés au fil des éditions, à combler les attentes des producteurs et des distributeurs, ainsi que des cinéphiles.

Ces efforts ont contribué à l’éclosion de nouveaux talents, à une meilleure visibilité de l’Afrique, à la diversification des supports de communication et d’expressions cinématographiques.

Le patrimoine culturel de l’Afrique reste une inépuisable source d’inspiration pour la création cinématographique universelle.

Le cinéaste africain a joué un rôle prépondérant dans la préservation de la diversité des expressions culturelles du continent et œuvré à une meilleure promotion des valeurs africaines.

Autant de préoccupations qui, au fil des éditions, grâce aux colloques, ateliers et séminaires inscrits au programme, ont donné une visibilité  à l’Afrique et forgé son image de berceau de l’humanité.

Ousmane SEMBENE, « l’Aîné des anciens », l’un des pères fondateurs du FESPACO, disait toujours : « ma participation au FESPACO est un devoir » !

Dans cette aventure, les médias ont toujours accompagné le FESPACO sans discontinuer, depuis plus de quarante ans et contribué à la visibilité de cet outil de promotion de l’image de l’Afrique, de ses réalités mais aussi de ses rêves à travers le monde.

Grâce au FESPACO, l’hospitalité des burkinabè s’est renforcée et les burkinabè ont toujours eu une oreille attentive pour aider à trouver une solution, même partielle, aux préoccupations des festivaliers.

Le FESPACO a enregistré en février 2009, la participation de plus de 10.000 festivaliers venus de tous les pays et des contrées du Burkina, pour célébrer son 40ème anniversaire et renouer avec le cinéma africain.

Evénement culturel par excellence, le FESPACO a contribué au brassage d’idées entre acteurs du développement de toutes les origines : politique, social, économique et culturel.

L’impact de la culture sur le développement est aujourd’hui une réalité palpable grâce au FESPACO qui a su montrer que « si le cinéma est un art, c’est aussi une industrie ».

Il a surtout le mérite d’être une industrie culturelle, facteur de paix et de cohésion sociale, montrant au passage que la route du développement passe aussi par le développement de la culture. Aujourd’hui, le cinéma est la deuxième plus grande industrie de production après le pétrole au Nigéria ; celle-ci est évaluée à plusieurs billiards de dollar.

Le rayonnement international du FESPACO est la résultante d’une coopération culturelle entretenue soigneusement par tous les acteurs en premier lieu, l’Etat du Burkina qui n’a ménagé aucun effort depuis cinquante ans pour accompagner diligemment le FESPACO.

Le cinéma africain a ainsi une plateforme solide de promotion, car « une culture sans base matérielle n’est que vent qui passe » selon l’historien africain, Joseph KI-ZERBO (Extrait de «  A quand l’Afrique »).

Le FESPACO, grâce à ses espaces de communication et de promotion de l’offre, est devenu un festival très fréquenté et qui, grâce à sa dimension culturelle, est devenu un stimulateur du développement.

Même la mémoire de la belle princesse Yennenga est préservée par le FESPACO qui a donné ce nom à son trophée le plus prisé du festival : « l’Etalon d’Or de Yennenga », qui sanctionne la meilleure œuvre du festival.

Mesdames et Messieurs,

La culture est un facteur de développement du fait de sa capacité de mobilisation sociale, de promotion des valeurs de référence, d’inventivité et de cohésion sociale, d’impulsion de dynamiques économiques endogènes et de valorisation de l’image de nos pays.

Par conséquent, elle contribue au développement social, économique et politique du monde et pourrait l’être davantage si elle bénéficie d’un environnement adéquat.

Les biens et services culturels sont des denrées renouvelables ; en les intégrant dans les stratégies de développement, nous contribuerons fortement à l’émergence d’une économie forte et prospère et à un développement durable et harmonieux.

La communauté internationale, en adoptant sous l’égide de l’UNESCO (1985) la convention internationale pour la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, met en exergue le rôle prépondérant de la diplomatie culturelle dans le concert des nations.

Mesdames et Messieurs,

Un proverbe bantou dit : « Lorsque vous prenez la parole, il faut avoir pitié de celui qui vous écoute » !

Quant à ma grande mère, elle ne cessait de me dire que si l’on veut aller vite il faut marcher seul, mais que si l’on veut aller loin il faut cheminer avec des compagnons de route.

En occident, tout le monde porte montre, mais personne n’a le temps. Les africains ne portent pas de montre, mais ils ont le temps : le temps du dialogue.

En Afrique, il y’a trois vérité : Ma vérité, Ta vérité et La vérité. (Sagesse africaine)

Je vous remercie.

Grand témoignage à FES, 11 Septembre 2018

Ambassadeur Filippe SAVADOGO

Leave a comment

Send a Comment

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *