La création d’un Secrétariat Permanent pour la promotion des langues nationales dans un contexte comme celui du Burkina Faso relève d’une grande volonté politique. Et c’est souvent cette absence de volonté politique pour accompagner des décisions courageuses qui seraient à l’origine des échecs cuisants de nombreux projets.
S’il faut donc féliciter nos autorités politiques pour cette vision courageuse, il faut cependant s’interroger sur les moyens d’accompagnement. Le gouvernement de la transition a vu juste, les enjeux sont là et les défis sont énormes. Comment Dr Awa TIENDREBEOGO compte concrètement réussir sa mission au moment où les imprimeries de l’INA et de l’Institut pédagogique du Burkina (IPB) qui faisaient la fierté du Burkina sont toutes fermées ?
Avant que la technicienne des langues ne nous réponde, elle donne sa lecture sur la place des langues nationales au Burkina Faso.
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Dr Awa 2ème jumelle TIENDREBEOGO née SAWADOGO : Jusqu’ici, l’usage des langues nationales n’a pas encore atteint le niveau auquel je m’attends. La langue étant notre identité, je pense que son usage est toujours marginal dans la mesure où cela n’est pas encore effectif dans l’administration.
Quelle est la place des langues nationales au Burkina Faso ?
Aujourd’hui, les autorités ont compris qu’il fallait qu’on se penche sur notre patrimoine linguistique, notre culture, gages du développement. Cela permet la communication tant horizontale que verticale c’est-à-dire entre concitoyens, entre gouvernés et gouvernants. Je peux donc dire que les langues nationales sont en train de retrouver leur place, la place en effet qui devait normalement leur revenir.
Comment comptez-vous concrètement réussir votre mission au moment où les imprimeries de l’INA et de l’Institut pédagogique du Burkina (IPB) qui faisaient la fierté du Burkina sont fermées?
On peut tomber; mais ne pas rester couché ! Et c’est ça aussi la vraie bravoure.
Quand on tombe, il faut chercher à savoir ce contre quoi on a buté et se relever. En principe, votre inquiétude ne devrait pas en être une si de par le passé, la volonté politique accompagnait toutes ces pratiques. Et je pense que nous pouvons nous en féliciter et garder l’espoir de voir rayonnées les langues nationales parce que depuis un certain temps, nous vivons une révolution mentale. Et vous savez que même les concitoyens qui aiment parler leur langue ne sont pas prêts à les utiliser dans l’administration parce que mentalement, on est formaté pour pratiquer une langue jugée savante au détriment de nos langues considérées à tort barbares, indigènes depuis le temps d’Albert SARRAUT, de Pierre Fonçin. Aujourd’hui, les mentalités restent à être déconstruites.
« Il faut d’abord bien s’accrocher avant d’accrocher la ruche »
En plus de la réorganisation du travail, le renforcement des capacités des agents de la structure, la mobilisation sociale, la déconstruction des mentalités ont été mes premiers défis. Les stéréotypes qui ne sont pas en faveur des langues nationales et de leur usage dans l’administration, il faut les déconstruire. Fo sãn ka yagl-f menga, f ka t‡e n yagl ka-pidg ye (il faut d’abord bien s’accrocher avant d’accrocher la ruche).
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Fort heureusement, nous avons su l’amorcer en approchant les populations de plusieurs sensibilités à travers des émissions et en introduisant l’hymne national dans nos langues un peu partout avec l’accompagnement de l’autorité. Du reste, le SP est aussi chargé d’organiser l’utilisation des langues nationales dans les administrations aussi bien publiques que privées. Mes étudiants me soutiennent beaucoup et c’est un avantage que d’appartenir à deux ministères dont les premiers responsables reconnaissent l’importance des langues nationales. Cependant, Dire que le changement des stéréotypes négatives est la chose la plus difficile dans notre contexte de cafouillage est une vérité de Lapalisse. Mais pour autant que nous sommes déterminés à réussir, on y arrivera quels que soient les anicroches, les ronces, les monts et les vallées parsemés sur la route de notre dignité, de notre identité, de notre moi. Car, trop, c’est vraiment trop.
Les formations alpha au profit des autorités
Bien sûr ! En 2008, j’écrivais dans un de mes mémoires que les autorités étaient analphabètes dans leur propre langue. Je pense qu’il faut travailler à réduire cela en alphabétisant non seulement les autorités mais tous les Burkinabè dans nos langues. Et le secrétariat permanent est chargé entre autres de veiller à la mise en œuvre de la politique éditoriale en alphabétisation et éducation non formelle.
En termes d’alphabétisation, nous avons déjà commencé. Ainsi, à travers la direction générale de l’éducation non formelle, qui est normalement notre bras technique et j’insiste là-dessus, les DCRP des différents ministères ainsi que des journalistes ont été alphabétisés dans 4 langues que sont : le Mooré, le Dioula, le Fulfuldé et le Gulmacema. Ce sont d’ailleurs des dispositions de la politique linguistique, de la stratégie nationale de promotion des langues nationales et cela est inscrit dans les plans d’actions triennaux glissants.
Quel lien voyez-vous entre langues nationales et tradition ?
Les langues nationales sont les sièges de nos traditions. Les traditions en tant que partie intégrante de nos cultures qui doivent être transmises à la jeune génération l’ont été par des générations passées en langue nationale. Donc le lien est fort établi.
Si vous remarquez bien, la jeunesse actuelle est très différente de la jeunesse d’ il y a 50 ans parce que tout simplement, nous avons adopté une langue avec sa culture, une culture qui nous a été imposée et cela a été savamment ourdi depuis des années. Pierre Foncin disait que “les potentiels clients de la langue française sont les clients naturels de nos produits français”. Il y a donc bel et bien un lien entre la langue et la tradition qu’il faut relever et surtout construire le pont entre les générations. Ce langage intergénérationnel ne peut se faire qu’à travers notre patrimoine linguistique qui est aussi notre identité.
Et quel pourrait être concrètement l’apport des médias dans la promotion des langues nationales ?
Nous savons de nos jours que les médias s’intéressent de plus en plus aux langues nationales et nous constatons également qu’avec elles la communication est plus fluide. Parmi les émissions interactives, celles qui sont animées en langues nationales connaissent plus d’audiences que celles qui sont animées en français. Il appartient donc aux médias de ne plus leur réserver une place marginale mais de les impliquer fortement dans les programmes. Il faut que tous les programmes en tiennent compte pour pouvoir atteindre le plus grand nombre de téléspectateurs ou d’auditeurs. Il faut déjà saluer aussi la création de la RTB 3, exclusivement réservée aux langues nationales. C’est une avancée très significative à saluer. Même à la RTB mère, nous voyons que le journal et le Conseil des ministres sont repris en plusieurs langues du pays. C’est vraiment une très grande avancée et nous pensons que cela se poursuivra.
Le Burkina Faso regroupant près d’une soixantaine d’ethnies donc, plusieurs dialectes. Comment voyez-le passage de notre pays en tant qu’état vers la réalisation d’une nation ?
Je ne crois pas que ce soit l’idéal vraiment que tout le monde parle une seule langue. Cependant, on pourrait communiquer dans l’administration et dans les services publics dans quelques langues sans pour autant étouffer les autres. La construction de l’État-nation n’implique pas forcément la disparition des autres langues et cultures. C’est très dangereux ; puisque nous avons besoin de toutes les richesses contenues dans ces cultures là.
Tout en adhérant au processus de promotion des langues nationales condition sine qua non d’une véritable souveraineté nationale, le MENA/PLN en plus d’un financement endogène doit conséquemment revoir les équipements d’imprimerie.
Patrick COULIDIATI
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