Spécial 04 août 83 : “On a attaqué de manière frontale et brusque les Chefs coutumiers …” (Dixit Ramata GANOU )

Spécial 04 août 83 : “On a attaqué de manière frontale et brusque les Chefs coutumiers …” (Dixit Ramata GANOU )

Le Président Sankara lui-même disait que tous les jours, il commettait une erreur ! Lui au moins avait le courage d’admettre qu’il fait des erreurs tous les jours ; ce qui n’est pas le cas de tous les dirigeants d’aujourd’hui.

Sankara a cru que quand tu es révolutionnaire, ton partenaire (conjoint (e) l’était aussi”

 

“Je n’ai pas pu trop jouer mon rôle de mère et cela m’a vraiment créé des cas de conscience en tant que mère”

Le Président SANKARA croyait beaucoup en la capacité de la femme

Ce qui m’a marqué au niveau de l’engagement du capitaine Thomas Sankara envers les femmes, c’est par exemple au niveau du défilé de 1984 où moi-même j’y ai participé. Alors on a aligné les chars et il nous a dit d’aller conduire et de montrer que nous sommes capables de conduire comme des hommes. On s’est donc accaparer des chars. Et je me rappelle que Mariam  Sankara, la Première Dame est allée pour occuper un char. Malheureusement, il y a déjà une autre femme qui l’avait devancée sur le même engin. Faisant preuve de “flair play”, Mariam SANKARA est allée enfiler un vélo et s’est lancée dans le défilé. C’est véritablement une leçon d’humilité que j’ai retenue et j’ai été marqué !

En 85 pendant la guerre “Mali-Burkina”, le Président Sankara voulait recruter les femmes de niveau bac pour former comme lieutenant pour conduire des troupes au front et défendre la patrie. Mais il s’est vite rendu compte que ce n’était pas une bonne décision et il l’a aussitôt retirée. Donc, quand les gens disent que si SANKARA prend une décision, il va jusqu’au bout, ce n’est pas vrai ; c’est un homme extrêmement intelligent parce qu’il pesait aussi ses décisions.

La révolution a cependant commis des erreurs

Dans un couple, les conjoints pouvaient avoir des divergences idéologiques. Mais Sankara lui, a  toujours cru cru que quand tu es révolutionnaire ton partenaire (conjoint ou conjointe) l’était aussi; alors que ce n’est pas vrai.

Ce sont des erreurs d’appréciation. C’était assez fréquent qu’on appelle un homme pour dire de laisser la camarade (sa conjointe) aller à tel ou tel meeting. Alors, lorsqu’on appelle un homme pour lui donner de tels ordres, vous conviendrez avec moi que ce n’était pas la bonne manière et cela nous a créé pas mal de problème.

Dans mon foyer, ça n’a pas été facile pour moi ! 

“Je n’ai pas pu trop jouer mon rôle de mère et cela m’a vraiment créé des cas de conscience en tant que mère cette fois-ci”

C’est purement personnel ce que je vais vous dire. C’est vrai, ça n’a n’a pas été facile pour moi ! Cela m’a créé pas mal de problèmes. Parce que mon époux et moi appartenons à une micro ethnie; donc on procède à un mariage endogène. Mon mari, c’était mon propre oncle maternel. C’est pour vous dire que sociologiquement, nous appartenons à la même communauté, à la même famille. A l’époque, on ne voulait pas célébrer ce mariage parce qu’on était assez très proche. Et si un jour où les choses ne vont pas bien entre nous que  ça n’éclater la famille.

Mais comme je le disais, j’avais abordé la question d’entrée de jeu pour dire que cela n’a pas toujours été facile. Moi je sortais pour les veillées débats et je ne rentrais qu’après 1h, 2h ou 3 h du matin. Même si j’étais de l’aviation et qu’on pouvait aller dormir dans un pays tout en sachant même qu’à l’époque, nos avions ne passaient pas la nuit dans les pays de destination. On ne faisait pas des “night-stop” comme on le dit dans notre jargon. C’était des avions aller-retour. Donc c’était vraiment des problèmes parce que mon époux ne me comprenait pas. Il ne comprenait pas ce qui me retenait tant dehors et si tardivement alors que rien ne me manquait à la maison. Ce qui n’était pas faux car à l’époque (il y a 35 ans), il n’était pas évident de trouver une femme qui avait le confort que j’avais (voiture, chauffeur et jardinier). Je pense qu’on était une ou deux femmes au niveau de la coordination à avoir ce privilège (si je peux le dire ainsi).

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Et comme il ne me comprenait pas et qu’il persistait, je lui ai dit un jour que je ne suis pas une femme de salon. Le mariage pour moi, n’est pas pour s’asseoir dans un salon et attendre qu’on apporte tout dans une cuillère d’argent. Ce n’est pas ça la vie. Si telle est sa vision pour la femme, que pourrai-je  en ce moment représenter ? Je suis une personne, une citoyenne à part entière et en tant que tel, je dois apporter ma contribution au développement de ce pays. Vous comprenez qu’avec de telles conceptions différentes, cela ne pouvait qu’engendrer des problèmes. C’était des frictions, beaucoup de problèmes et je préfère ne pas parler du reste…

Dans cette situation, ce sont surtout nos enfants qui ont pris le coup. Je me rappelle qu’à l’époque, ma fille était première de sa classe. Malheureusement, je n’ai pas pu trop jouer mon rôle de mère et cela m’a vraiment créé des cas de conscience en tant que mère cette fois-ci et pas en tant que militante. Certes, ma peine n’est pas à comparer à ceux qui ont sacrifié leur vie pour le pays. Mais c’est pour seulement dire qu’on a vraiment fait des efforts pour construire le Burkina. Nous, on a sacrifié nos enfants et c’est très important de le savoir !  L’enfant, c’est le fruit de notre combat, c’est notre système de représentation.

Au niveau des chefs traditionnels.

On les a attaqués de manière frontale et brusque ; ce n’était pas la bonne manière. Je suis allée au Ghana et j’ai pu constater que la révolution ghanéenne alignait les chefs traditionnelles à leur cause et c’est comme ça qu’il fallait prendre le bout.

Les règlements de compte dans le milieu CDR

Il faut dire que les CDR en ont profité pour régler des comptes soit à des tiers ou à leurs rivaux.

Du licenciement de (1 700) enseignants du primaire

On a licencié les enseignants. Mais ce que les gens ne savaient pas, c’est que c’était une lutte de classe. Les gens ont dit que Sankara est dur alors que c’est quelqu’un qui était profondément humain. Après le licenciement, il nous a demandé plus tard s’il ne fallait pas reprendre ces enseignants. Donc, le projet de reprise des enseignants dégagés a été signé sous Sankara bien avant son assassinat. Par honnêteté, les gens peuvent le dire.

Des actes bons à perpétuer

Sur le plan culturel, c’est vrai que les gens ont toujours parlé de l’Institut des Peuples Noirs (IPN), de la Semaine nationale de la Culture (SNC) et de l’opération “Mana-mana ” (Opération ville ou environnement propre); c’est autant d’institutions et d’activités  qui me tiennent toujours à cœur parce qu’il y a pas de raison qu’on s’asseye dans nos maisons et qu’on dise que c’est du rôle de  l’Etat d’embellir la ville.

Même pour une question de dignité, si je peux interpeller les responsables là -dessus parce que je ne vois pas pourquoi les ministres ou le président même ne peuvent pas donner cet exemple pour redonner le goût du travail collectif à la jeune génération. Tu vas à Ouaga 2000 où on dit que c’est un quartier chic, mais tu trouves des tas d’ordures pas possible. Vraiment, je ne comprends pas pourquoi les autorités n’organisent pas des journées de salubrité.

Pour terminer, je dirai que Sankara était en avance sur son peuple et sur son temps. C’est quelqu’un qui avançait sans se retourner pour regarder à quel niveau était le peuple.

Propos recueillis par Patrick COULIDIATY

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