Comédienne de théâtre et Lauréate du Sotigui AWARDS 2020 de la meilleure interprétation féminine burkinabé, Eléonore KOCTY nous parle de ses projets au bout de ses 10 ans de carrière. Elle parle également des maux qui minent le secteur de la culture au Burkina Faso. Si le secteur du cinéma ou de théâtre reste pour certains une passion, il est aujourd’hui et cela depuis quelques décennies un métier. Sa promotion et sa valorisation ne peuvent être du seul apanage de l’acteur culturel mais bien plus celui du Politique. Interview réalisée par Didèdoua Franck ZINGUE
« Venir aux spectacles, certains le trouvent contraignant, parce qu’il faut se déplacer. Quand on aime sa culture, ses acteurs culturels et qu’on n’a pas ni voiture ni d’argent à donner, ce qui reste c’est de «liker » sur la page l’artiste » (….)
ArtistesBF (ArtBF) : Qui est Eléonore KOCTY ?
Eléonore KOCTY (EK) : J’ai fait un BAC A4, une Licence en Anglais et je me suis inscrite pour une Licence en Art dramatique. Des années plus tard, je fis un master en gestion, administration culturelle à l’Université Joseph Ki-Zerbo. Et c’est durant mon cursus à l’Université que j’ai suivi plusieurs formations ponctuelles de festivals aussi bien aux récréatrâles qu’au théâtre ou au cinéma.
Pour ce qui est de mon parcours professionnel, disons que j’ai commencé le théâtre en 2010 avec la troupe théâtrale de l’UNIVERSITE. Le cinéma interviendra une année plus tard à travers la série OUAGA LOVE de Guy Désiré YAMEOGO et voix libres.
Actuellement, je suis la directrice de la Compagnie le « RUMINANT » qui est dans sa 11ème année avec 10 pièces de théâtre créées.
Pourquoi avoir choisi le métier de comédienne ?
Je vais vous raconter une petite histoire quand j’étais en classe de second cycle. Au cours d’une leçon d’EPS, certains de mes camarades me taquinaient et ils m’appelaient la star. Et moi, je n’aimais pas ça parce que j’étais une personne entrouverte même si je le suis encore dans une certaine mesure. ça m’énervait quand bien même ils se plaisaient à me voir dans cet état. Je m’étais même plainte au professeur qui, d’un air taquin me répondit:, « Et si tu étais leur star ! ». Après le BAC, je ne sais pas comment les choses se sont passées, inconsciemment ou pas, je me suis retrouvée objectivement sur la voie de la comédie. L’histoire, je puis le dire ainsi m’a rattrapée. Je sais qu’il y a eu forcément un préalable à mon métier de comédien que j’exerce aujourd’hui. Au-delà de ces aspects, j’ai participé à des castings pour lesquels mon papa n’était pas d’accord. Il a toujours placé mes études avant tout. Mais c’est à l’université, à la faculté d’anglais particulièrement que j’ai découvert avec des amis, le théâtre et le cinéma. C’est ainsi que je me suis inscrite en Art dramatique.
Citez-nous quelques pièces ou films dans lesquels vous avez jouées ?
J’ai à mon actif plus d’une dizaine de films dans lesquels je tenais le rôle principal. Dans le domaine du cinéma par exemple, vous avez :
- La série « Ouaga love » du réalisateur Guy Désiré Yaméogo dans lequel j’ai joué le rôle de « Adja ».
- « Il pleut sur Ouaga » du Réalisateur Fabien Dao
- « La forêt du Niolo » de Adama ROAMBA
Pour ce qui est du théâtre, j’ai commencé avec la troupe théâtrale de l’université dans laquelle j’ai joué et mis en scène des pièces comme :
- « Tue moi » de Aristide Tarnagda,
- « Je venais de défier le ciel »
- « Silence » de la compagnie Le « RUMINANT » de Noël Minoungou,
- « Acteur » de Noël Minoungou
- « Mister Time » de Noël Minoungou
Combien de prix ou de distinctions avez-vous obtenus ?
Je ne vais pas vous mentir. 2020, c’était une année particulièrement difficile, mais vers la fin, c’était très agréable parce que j’ai été nominée aux Sotigui Awards. Et au finish, j’étais la lauréate dans la catégorie meilleure interprétation féminine burkinabé. Un prix qui arrivait comme pour me couronner de mes 10 ans de carrière. C’était une grande joie pour moi, une récompense, un encouragement, une invite au travail, à mieux faire et à persévérer. Après 10 ans de carrière, je peux dire que c’est mon premier prix, je n’ai pas eu d’autres.
Comment se passe les castings qui souvent ne sont que des castings de façades ?
Alors deux cas de figure peuvent se présenter. Le premier, c’est évidemment le casting qui se fait dans les règles de l’art ; c’est-à-dire, selon le talent. Le porteur du projet sait d’avance ce qu’il veut, des talents qui conviennent à son projet et pour lequel, il met en compétition ces talents pour en tirer le meilleur.
Le second cas de figure, c’est malheureusement le plus courant. C’est la sélection des comédiens par affinité. Les candidats plutôt d’être sélectionnés selon le talent sont effectivement choisis selon que le ou la candidate est un ami, c’est la petite sœur ou le petit frère d’un tel…. Ce n’est pas une exception ; mais c’est fréquent dans le milieu ! Dans ce 2ème cas, le réalisateur est à la recherche d’une main d’œuvre bon marché comme on le dit.
Mais par contre, ce que je trouve dommage dans les castings, c’est le fait que le porteur du projet sait à l’avance le talent qu’il recherche et que malgré tout, il organise un imposant casting public où prennent part des milliers et des milliers de candidats pour ne retenir qu’un (e) seul (e). Je trouve cela dommage parce qu’un casting ciblé serait à mon avis plus avantageux. A la limite, il est préférable de préciser dans l’annonce du casting qu’il s’agit d’un casting à la recherche de figurants, c’est mieux ainsi parce que chaque candidat pourrait en fonction de cette précision s’y rendre ou pas ! Comme vous le savez, les temps sont si durs que tout est compté. Alors s’il faut se dépenser pour ne rien avoir et ne même plus être situé pour la suite, je dis que c’est dommage !
L’image du comédien burkinabè n’est pas encore reluisante malgré la floraison des séries télé et des jeunes réalisateurs. Pourquoi ?
(Rires). C’est lié au fait que dans les autres pays (entendez par là, dans les pays développés) d’importants moyens sont injectés dans la culture. Ce qui n’est pas encore le cas au Burkina et cette absence de moyens impactent forcément aussi la situation du comédien ; c’est clair ! Donc ce contexte-là, je dirai que l’oiseau fait le printemps. Dans un second temps, tout dépend aussi du comédien et il n’y a pas que notre métier seulement qui est mis aux bancs. Le comédien n’est pas au-dessus des autres. Si tu n’es pas bien organisé, tu as beau avoir un cachet faramineux, tu seras toujours à la traîne. Je dirai donc que la situation économique du comédien Burkinabè est à la fois liée au niveau de vie du pays mais aussi et surtout à l’organisation de tout un chacun.
S’il vous était donné de faire un coup de gueule aux réalisateurs, que direz-vous ?
(Rires) Coup de gueule !!!! Non ! Je n’ai pas de coup de gueule à donner. Ce n’est pas toujours rose, c’est vrai. Les coachs ne manquent pas. Mais on essaie de faire aller.
Cependant, il faut que nous améliorions le relationnel entre comédiens et réalisateurs. C’est ce côté qui manque souvent. Les comédiens ne sont pas juste des exécutants. Ils ont besoin d’être à l’aise avec le réalisateur pour mieux comprendre le projet, ce qu’il veut et ce qu’il attend des comédiens.
En tant que femme, quelle pourrait être vos difficultés ?
Je n’ai pas envie de dire tout de suite que ce métier est plus dur pour les femmes que pour les hommes ; ce n’est pas vrai ! Si des filles veulent faire comme moi, être comédienne, il n’y a pas meilleurs conseils que le travail. Les choses faciles ou complètement roses n’existent pas ! Encore une fois, comme dans tous les domaines, pour peu qu’on accepte de travailler et de se sacrifier, on y arrive. Enfin, il faut avoir un objectif, avoir des repères et jamais les perdre de vue. C’est ce que je peux dire !
Vous avez une nouvelle ministre à la tête du département en charge de la culture, que souhaiteriez-vous qu’elle prenne en compte ?
Je lui souhaite un très bon mandat. En tant que femme, ce n’est pas évident dans une société comme la nôtre. Je suis certaine qu’elle est consciente de tout l’enjeu et de tout le challenge que cela représente. J’espère qu’elle va s’entourer de bonnes personnes pour relever ce défi en tant que citoyenne burkinabé et en tant que femme. Pour ce qui concerne la culture, c’est surtout trouver les financements pour le secteur. Nous n’allons pas rester à toujours prendre les exemples ailleurs quand on sait comment des pays comme les USA se sont en sortis après la guerre. Je dirai que l’on peut s’inspirer du modèle américain en mettant plus de moyens dans la culture. Voici un pays qui a vraiment su mettre les moyens dans la culture et aujourd’hui, cela a payé. Il y a des pays autour de nous qui ont compris cela. Il faudrait donc que le Burkina qui est la grand-mère du cinéma africain, s’inscrive dans cette dynamique. Il faudrait que notre pays songe également à emboiter ces pas en accordant une place de choix à la culture. Et cela passe nécessairement par un renforcement du budget alloué à la culture. Je souhaite qu’elle soit également à l’écoute des gens qui vont lui prodiguer de bons conseils. Des gens qui pensent au développement de la culture de façon générale, un développement qui pourrait profiter à l’ensemble des acteurs et non des gens qui cherchent à tirer la couverture sur soi.
Quels sont vos projets ?
Comme projet, je rêve d’apporter ma petite touche au cinéma burkinabè. Mon rêve le plus ardent c’est de continuer sur cette lancée et aller au-delà de ce que j’ai pu accomplir actuellement. C’est vrai qu’au bout de mes 10 ans de carrière, j’ai eu mon prix, mais cela ne suffit pas. Je veux avoir une équipe professionnelle qui me comprend et telle que je la réalise dans mon imagination. De bonnes personnes qui ont le feeling et qui ont la particularité de comprendre l’artiste que je suis. C’est vrai qu’aujourd’hui, nous avons des systèmes de communication qui sont complètement aux antipodes de nos valeurs et de notre culture. Du même coup, on a du mal à concilier ces choses.
Au cours de notre entretien, avez-vous des sujets qui vous tenaient à cœur que nous n’avons pas abordés ? Cela va constituer votre mot de fin.
Je voudrais tout simplement demander aux burkinabé de soutenir les artistes. Soutenir, ne veut pas forcément dire de leur apporter des villas. Mais il faut simplement « aimer ou liker » les pages Facebook des artistes. C’est difficile pour les artistes de le dire aux internautes. Mais c’est aux lecteurs et aux internautes de le faire pour que nous puissions grandir. Venir aux spectacles, certains le trouvent contraignant, parce qu’il faut se déplacer. Quand on aime sa culture, ses acteurs culturels et qu’on n’a pas ni voiture ni d’argent à donner, ce qui reste c’est de «liker » sur la page de l’artiste ; ça au moins on peut le faire. Donc, je demande à mes frères et sœurs de faire ça. On ne le fait pas souvent parce qu’on aime l’artiste seulement, mais parce qu’on pense à la culture burkinabè et au Burkina Faso. Notre désamour ne devrait pas nous empêcher de nous construire.
Je voudrais dire merci à Artistes.bf pour l’entretien. De telles initiatives, nous en avons vraiment besoin. Je souhaite qu’Artistes.bf grandisse davantage pour porter haut le flambeau du Burkina Faso sur le plan culturel.
Des propos recueillis et transcrits par Didèdoua Franck ZINGUE
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