Dans une interview accordée à Artistes.bf dans le cadre du FESPACO 2025, la réalisatrice Aïcha BORO nous a dévoilé ce qui a toujours été son combat quotidien. Depuis la naissance du FESPACO il y a plus de 50 ans, aucune femme n’a obtenu l’étalon d’or de Yennenga. La réalisatrice du long métrage fiction “LES INVERTUEUSES” qui était en compétition pour le trophée le plus convoité des réalisateurs, s’exprimait avec force sur la faible représentativité des femmes dans le milieu cinéma et dans bien d’autres instances de décision.
Celle qui se présente comme une fille de Dédougou à la Base et qui rêvait dès son jeune âge d’être cinéaste est une militante bien trempée en faveur de l’émancipation de la femme ou si vous préférez, pour l’autodétermination des femmes. Et le cinéma étant un puissant outil de propagande, Chloé Aïcha BORO entend s’en servir pour la bonne cause.
La preuve, après la projection de son film, la réalisatrice a tenu un discours militant devant les cinéphiles et au nom des femmes avait -elle précisé. “Attention, ce n’est pas une lutte contre les hommes; je le répète, c’est une lutte des femmes avec les hommes pour une société plus égalitaire”, avait-elle averti.
Fondant l’espoir que son film “LES INVERTUEUSE” briserait ce “mythe”, la réalisatrice s’est rendue compte que la pilule n’est pas passée puisque l’étalon d’or a milité encore une fois, pour les hommes au soir du 1er mars 2025.
A la faveur donc de la journée du 08 mars 2025, journée étroitement liée à la combativité et aux revendications des femmes pour une société plus équitable, nous vous proposons de lire l’entretien que la réalisatrice Chloé Aïcha BORO nous a accordé. Dans ce entretien, la réalisatrice dévoile son ras-le-bol de voir toujours des hommes ravir l’Etalon d’Or de Yennenga et ce, depuis 50 ans. Lisez plutôt !
ArtistesBF (ArtBF) : Qu’est-ce que ça vous fait d’être aujourd’hui cinéaste ?
Chloé Aïcha BORO (C.A.B) : Ah ça me fait beaucoup de choses. Pourquoi je voulais faire des films ? J’ai grandi chez un oncle à Dédougou qui était une sorte de figure emblématique, une figure locale de l’islam et il y avait une télé, comme tout le monde n’en avait, les enfants du voisinage venaient. Le soir, on était une quarantaine d’enfants autour de la télé, assis à même le sol froid. Il y avait la télé au fond et entre la télé et les enfants que nous étions, mon oncle était au milieu assis dans le canapé et, dès qu’il y avait des scènes équivoques, de violences ou érotiques ou même quand il y avait des gens qui s’embrassaient, il se retournait et cherchait à voir quel enfant continuait de regarder. Là il fallait disparaître tout en étant sur place. Alors on faisait qui mine de se gratter la tête, qui mine de dire un mot à son voisin, le temps que la scène finisse. Et là, il savait qu’on n’avait pas suffisamment disparu à ses yeux. J’ai encore l’image de ses veines saignantes qui tenait la télécommande. J’ai l’impression que c’était une sorte de pouvoir qu’il avait avec cette télécommande et en général, il éteignait avec cette phrase mythique “de toutes les façons, pour les blancs, il n’y aura pas de jugement; c’est l’enfer direct”, et il nous envoyait au lit. Donc on ne voyait ni le début des films, ni les fins. Je me rappelle que je disais toujours que quand je serai grand, je vais faire des films. Ce n’était même pas pour raconter des histoires; mais à l’époque, c’était juste pour récupérer le pouvoir de cette télécommande et décider de quand ça commencerait et quand ça finirait les films. J’accorde beaucoup de temps aux premières et aux dernières scènes de mes films pour ça. Je me guérie de cette partie de mon enfance qui, à la fois que je trouve belle, poétique et qui a tracé un chemin pour l’adulte que je suis devenue aujourd’hui.

Combien de films avez-vous déjà à votre actif ?J’ai quatre longs métrages documentaires, deux courts métrages documentaires, et ma toute première fiction titrée les “ inventeuses”, qui est en compétition au FESPACO.
Parlez-nous de ce film “LES INVERTUEUSE » qui était en compétition au FESPACO
Les “invertueuses” est un film sur l’autodétermination des femmes. C’est un film sur la liberté des femmes à disposer de leur esprit, de leur corps. Cette autodétermination est racontée à travers le parcours de deux personnages de femmes. Mais deux personnages intergénérationnels, puisse qu’on parle d’une grand-mère de 65 ans qui a encore des sentiments amoureux pour son amour de jeunesse, puisque quand elle était enfant, elle a été obligée d’épouser quelqu’un qu’elle n’aimait pas. Son amoureux de jeunesse qui est une sorte de musicien un peu raté incarné dans le film par Serge Henry a attendu pendant 45 ans sans pouvoir fonder de famille. Il est resté vivre par procuration dans l’espoir qu’elle lui revienne un jour.
Et c’est quand elle a eu 65 ans et que son amoureux en avait 72, sa petite fille de 16 ans apprend que sa grand-mère est amoureuse en secret d’un homme depuis plus de 45 ans. Elle se dit qu’au nom de la liberté, elle va tout faire pour que sa grand-mère et cet homme vivent tant soi peu un petit moment de leur amour avant de disparaitre. Elle a donc pu convaincre sa grand-mère qui a quitté le conformisme. Et quand elle va avoir le courage de partir avec cet homme dans une belle Mercedes, ils vont se faire tirés dessus par les djihadistes. A côté, il y a cette petite fille qui se bat pour la liberté. A la fin du film, elle s’engage comme VDP pour défendre son pays.
Comment êtes-vous arrivée à le réaliser au moment où presque tous les guichets du cinéma sont en train de se fermer ?
C’est un film totalement autoproduit parce qu’il n’y a pas un centime de financement ni Burkina, ni de l’international. J’ai eu des prix de mes précédents documentaire que j’aurais pu laisser pour moi. Mais comme je me suis dit que cet argent n’était pas attendu dans ma vie, je l’ai utilisé pour tourner mon film.
C’est un film autoproduit par les femmes et elles ont travaillé bénévolement dès qu’elles ont compris que c’est un film sur la liberté des femmes. On est là et on porte ce cri de cœur au FESPACO pour dire que “c’est bien qu’il y ait beaucoup de cinéastes qui ont parlé pour la cause de la femme, paix à l’âme de papa Ibrahim CISSÉ qui a beaucoup défendu les femmes, mais “on veut un monde où les femmes sont reconnues pour ce qu’elles sont, et, c’est moche qu’au bout de cinquante ans, on n’ait pas encore donné l’étalon d’or à une femme, une seule fois, c’est moche !”; parce que je ne sais pas ce que ça porte comme message.
Que ça soit fait exprès ou pas, ce n’est pas une lutte des femmes contre les hommes parce qu’on y arrivera pas dans notre lutte si les hommes ne sont pas avec nous; que ça soit conscientisé ou pas, c’est un acte politique. Mais c’est aussi un acte politique que des femmes se regroupent entre elles et autoproduisent un film et viennent le porter en disant, nous sommes là, nous avons un cri de cœur, entendez-le, nous existons.
Quelles sont vos attentes à ce festival ?
Mes attentes sont grandes. Que nous soyons entendues, que ce cri de cœur soit entendu. Franchement, en cinquante ans si on n’a jamais donné l’étalon à une femme, soit on est nul, soit il y a un problème.
Vous déplacez l’esprit du FESPACO sur un terrain politique ou sur un terrain professionnel ?
Je veux bien que le FESPACO reste professionnel parce que les films de femmes sont de très beaux films. Ce sont les femmes qui apportent de beaux films. Mais le cinéma est un monde d’hommes qu’on le veuille ou pas ! Et pas qu’en Afrique seulement. A cannes, le cinéma est un monde d’hommes. Nous sommes une minorité de femmes et nous amener au sommet pose problème. Pourquoi ? Si je rentre dans la logique de la question que vous posez, vous sous-entendez que si on reste professionnel, peut être que nous ne le valons pas. Pourtant, nous le valons. Les images sont belles, l’histoire est forte, le jeu d’acteur est incroyable et d’une puissance absolue, le propos est audacieux, qu’est-ce qu’il faut de plus ? Restons professionnelles et regardons de façon professionnelle et oublions que c’est un film de femmes. C’est un film qui vaut d’être remarqué, c’est un film qui vaut d’être retenu.
ArtistesBF
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