Burkina : Révolution du 4 Août 1983  « …ce n’est pas un fait du hasard.. »

Burkina : Révolution du 4 Août 1983  « …ce n’est pas un fait du hasard.. »

A l’occasion de la Commémoration de la révolution d’août 1983 au Burkina, nous vous proposons le témoignage du professeur Basile Laetaré GUISSOU, directeur de recherches en sociologie politique. Il nous entretient sur certains tenants de la politique Burkinabè des années 83. Ancien fonctionnaire sous la révolution, le Pr. GUISSOU a été successivement ministre de l’Information, de l’Environnement, du Tourisme, des Relations extérieures et de la Coopération.

Artistes.BF : Pouvez-vous nous terminer cette présentation ? 

Basile Laetaré GUISSOU : Je suis le Pr. Basile Laetaré GUISSOU. Je suis directeur de recherches en sociologie politique à la retraite depuis bientôt 6 ans. Dans une autre vie, j’ai été vice-président aux relations extérieures de la Fédération des Etudiants d’Afrique Noire en France, puis membre du comité exécutif de l’Association des Etudiants Voltaïque en France. Rentré au pays, j’ai dirigé l’Institut de Recherche  en  Sciences Sociales Humaines avant de me retrouver en 1983 dans le gouvernement avec le Capitaine Thomas SANKARA comme président.

Artistes.BF: Comment avez-vous vécu les événements du 4 Août 1983 ?

Basile Laetaré GUISSOU : Cette date, on la préparée. Après le 17 Mai 1983, la question au centre de nos préoccupations n’était plus de savoir s’il y aurait ou pas changement. La question était ‘’quand ?’’. Cela s’est passé le 4 Août. Symboliquement, c’est le jour où la révolution française de 1789 a proclamé la fin des privilèges. Donc, ce n’est pas un fait du hasard si c’est le 4 Aout après le discours du président Jean Baptiste OUEDRAOGO à l’époque pour la fête du 5 août que le capitaine Thomas SANKARA est apparu sur les écrans de la télé pour annoncer que le régime de capitulation dirigé par le président Jean Baptiste OUEDRAOGO était déchu et qu’il proclamait la Révolution Démocratique et Populaire(RDP) en invitant donc l’ensemble des populations des villes et des campagnes à constituer partout des Comités de la Défense et de la Révolution (CDR). J’insiste parce que c’était la première fois qu’un pouvoir arrivait en même temps que ses structures dans l’ensemble des huit milles villages de l’époque. Le CNR donc s’est constitué en même temps que les CDR. Donc, il est tout à fait normal qu’on y retrouve toutes les strates, toutes les composantes de notre société qui voulaient du changement.

Artistes.BF: Quel regard portez-vous sur la commémoration de la date du 4 août 83, quand on pense qu’une si grande date de notre histoire est reléguée à sa plus simple expression ?

Basile Laetaré GUISSOU : C’est votre point de vue ! Ce n’est pas le mien. Pour moi, cette date est ineffaçable dans l’histoire du Burkina Faso. Les changements qui ont été induits ou réalisés après le 4 Août 1983 sont des changements de fond; ce n’est pas dans la forme. Le burkinabè est né du voltaïque et c’est une rupture. Et ceux qui veulent étouffer la symbolique n’y arriveront jamais. C’est comme la mémoire du Capitaine Thomas SANKARA, on ne peut pas l’effacer, il fait partie de nous.

Au Burkina-Faso, il y a tellement de dates symboliques que l’on ne commémore pas. Il me semble nécessaire de reprendre notre histoire et de fixer des étapes pour les commémorer. Mais malheureusement on n’en est pas là.  Nous n’avons pas eu d’histoire écrite, il n’y a pas de  livres d’histoire écrits  de la haute volta, encore moins du Burkina Faso.

Artistes.BF: Malgré la formation politique des militants CDR et les nombreuses campagnes de conscientisation du peuple, il semblerait que personne ne soit descendu dans les rues le 15 octobre 87 pour défendre la révolution d’août.

Basile Laetaré GUISSOU : Moi j’ai publié un livre sur mon pays intitulé « Burkina Faso :  un espoir pour l’Afrique » où j’ai dit qu’effectivement le 15 octobre, la grande majorité des populations a été surprise et tétanisée. Ils ne pouvaient dire ni OUI ni NON à rien et ce n’est pas qu’une personne, ce sont des dizaines de personnes qui ont témoigné pour dire qu’elles ne savaient pas quoi faire parce qu’elles n’étaient pas préparées à cela. Donc, autant les gens ne sont pas sortis pour défendre la révolution, autant ils ne sont pas sortis pour saluer la mort de Thomas SANKARA.

Artistes.BF: Après l’assassinat du capitaine Thomas SANKARA, la corruption et  l’affairisme ont regagné du terrain comme si le combat du Président du CNR a été vain. Qu’en pensez-vous ?

Basile Laetaré GUISSOU : La lutte révolutionnaire n’est pas une ligne droite, il y a du recule, des avancés, des bifurcations. Donc l’un dans l’autre, je préfère voir le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide. C’est un choix idéologique et politique. Je ne suis pas un capitulard. J’estime que les idées justes deviennent des forces matérielles quand elles pénètrent l’esprit des masses. Et les masses Africaines sont en train de prendre conscience. Ceux qui ne veulent pas voir cela, c’est tant pis pour eux. Mais l’Afrique ne recule pas, le Burkina encore moins. De mon point de vue, la révolution a accompli ce que l’histoire lui avait assigné comme mission. Mais la contre-révolution existe aussi et va avec la révolution. Ce n’est pas parce qu’elle a pris le dessus à un moment donné que les révolutionnaires doivent être abattus et capitulés par rapport à l’idéal qu’ils poursuivent. La lutte sera complexe, elle ne sera pas en ligne droite.

Artistes.BF: Les licenciements massifs des enseignants, d’aucuns l’attribuent à SANKARA, qu’en est-il vraiment ?

Basile Laetaré GUISSOU : Mais écoutez ce n’est pas seulement la révolution qui licencie. Tous les patrons du Burkina licencient. Chacun à sa lecture des injustices commises sous la révolution tout comme chacun peut avoir sa lecture des combats  justes menés par la révolution. Je maintiens que la révolution n’a pas fait pire en matière de licenciement que les patrons privés qui licencient tous les jours. Si vous allez au tribunal du travail, vous allez vous rendre compte qu’il n’y a pas un jour où il n’y a pas un conflit lié à des licenciements jugés abusifs. Donc il ne faut pas faire de la fixation. L’essentiel est ce que la ligne politique que défendait le Conseil National de la Révolution (CNR) était-elle juste ou pas ? Je pense qu’elle est juste, c’est une révolution qui servi les majorités contre les minorités égoïstes. C’est tout ! C’était un choix. Comme le disait Thomas SANKARA, c’est « l’eau potable pour tout le monde ou le champagne pour quelques- uns ». C’était un choix.

Artistes.BF: Y’a-t-il un seul homme intègre au Burkina depuis la disparition de Thomas SANKARA ?

Basile Laetaré GUISSOU : Disons que si on parle de la révolution on parle aussi de la contre-révolution et pendant un certain temps, des idées contre révolutionnaires ont repris le dessus ( le sauve qui peut individuel vers l’enrichissement des biens matériels ) ; mais ce n’est pas une fatalité. Je pense que mon pays peut tirer des leçons et de la période révolutionnaire et de l’après révolution pour mieux faire à l’avenir et ne pas sombrer dans le pessimisme et le découragement. Notre histoire est une école et il faut s’inscrire à cette école pour apprendre, améliorer ce qui peut l’être, changer ce qui peut l’être et espérer que demain sera meilleur. Je ne dis pas que l’on peut refaire 1983 en 2021, c’est de l’utopie ! Mais on peut changer notre société en mieux avec un peu plus de réflexion, de volonté,  de détermination, d’organisation et de respect les uns envers les autres.

Artistes.BF: En cette commémoration du 38ème anniversaire de la révolution quel message adressez-vous à la nation ?

Basile Laetaré GUISSOU : Vous faites de la fixation sur une petite minorité de diplômés de professeurs, de médecins, de pharmaciens,…et vous ignorez royalement les 9 000 villages, 85% de la population qui y vivent et gagnent leurs pains à la sueur de leur front. Ce ne sont pas des voleurs, des pillards, des bandits, des terroristes. Ce sont des hommes honnêtes travailleurs qui ont choisi le métier de leurs ancêtres. Tenez en compte. Je pense qu’il n’y a pas de magouille au village, de détournement dans le village.

Pour terminer, je vous souhaite de faire mieux que notre génération, d’apprendre plus, d’être sur les épaules de vos ainées pour voir plus loin et mieux parce que  le pays en a besoin. Un pays, c’est sa jeunesse, l’avenir c’est ce que vous en ferez. Donc, je pense tout simplement que ce qui a été fait ailleurs de meilleur que ce que nous avons fait peut être dupliqué en mieux par des personnes mieux formées, mieux éduquées et plus clairvoyants.

Propos recueillis par Farida SAWADOGO

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