Joséphine OUEDRADOGO, sociologue

Joséphine OUEDRADOGO, sociologue

Joséphine OUEDRADOGO est sociologue de formation. Après son diplôme d’Etat d’Assistant de service social et sa licence en sociologie respectivement obtenus à l’Institut d’études et de recherches sociales de MONTROUGE et à l’Université René Descartes à Paris (Paris V), elle rentre au pays comme bon nombre d’étudiants en fin d’étude. Elle est rapidement engagée comme chargée d’études sociologiques à la SAED où elle restera de 1974 à 1980 avant de servir à l’AAVV (Autorité des Aménagements des Vallées des Voltas) de 1980 à 1984.Cette première expérience, riche surtout en contacts avec le monde rural et le monde des projets va marquer profondément la vision de Joséphine OUEDRAOGO sur le développement. De cette première étape de sa vie professionnelle, elle nourrira des prises de positions systématiques en faveur de la « majorité silencieuse » et des « laissés pour compte ».

A la faveur de la Révolution d’Aout 1984, Joséphine OUEDRAOGO est sollicitée au sein de l’équipe gouvernementale par le Capitaine Thomas SANKARA. Elle officiera en qualité de Ministre de l’Essor Familial et de la Solidarité Nationale de 1984 à 1987.
C’est en 1987 que la carrière de Joséphine OUEDRAOGO a commencé à connaître de véritables mutations et à évoluer en dents de scie.
En effet, après l’avènement du front populaire en 1987 qui mit fin à ses fonctions de Ministre, alors qu’elle était en mission en SUISSE ….

Depuis cette date (1987), Joséphine OUEDRAOGO, ancienne Ministre de l’Essor Familial sous la Révolution, s’est faite oubliée de la scène politique, des administrations publiques et même des médias. Après le 15 octobre 87, aucun concert, aucun parrainage, aucune association de femmes, aucun parti politique n’a plus parlé publiquement d’elle. C’est à la faveur seulement de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 (27 ans après) pour que Dame Intègre refasse surface. Malgré que tout était encore chaud, nous l’avons rencontrée pour échanger sur le rôle de la culture dans le contexte de crise qu’à connu le Burkina. Mais avant, nous avons aussi voulu savoir :

Depuis 1987 avec la rectification, beaucoup de révolutionnaires se sont reconvertis et ont eu des postes de ministres avec Blaise COMPAORE. Est-ce la politique qui vous a dégoutée ou c’est parce que vous n’avez plus été sollicitée ?
Joséphine OUEDRAOGO (J.O.) : Je n’ai jamais fait de politique et je n’ai jamais été membre d’un Parti politique. Je suis rentrée dans le régime du défunt Président Thomas SANKARA parce qu’il m’a appelée selon mes compétences à travailler avec le régime révolutionnaire dans des domaines où il pensait que je pouvais apporter ma contribution. J’ai accepté et je me suis retrouvée à l’aise dedans parce qu’il y avait une vision du développement, une vision de la nation, et un projet de société auxquels j’adhérais. J’adhérais aux valeurs de la révolution, au principe d’intégrité, de dialogue et de participation populaire. Sinon, je n’ai jamais fait partie des groupes politiques de la révolution. Je suis toujours restée indépendante, militante à ma façon, surtout pour la cause des plus faibles. En tant que sociologue, je travaille dans la perspective de contribuer au changement des mentalités et au développement de la majorité et de ceux qui sont défavorisés. Ce n’est pas parce que j’ai été Ministre sous la Révolution qu’il fallait que je continue à rechercher une position de pouvoir et de confort, quitte à me compromettre avec le régime de la Rectification !

Et si le président Blaise COMPAORE vous appelait en 1987 ou en 1990 ?
J.O. : Non, je n’allais pas accepter parce que ce n’était plus les mêmes idéaux, ni les mêmes principes de gouvernance. Ce n’était plus la Révolution, mais plutôt une trahison de la révolution par l’assassinat du Président Thomas Sankara.

Vous avez été ministre de l’Essor Familial et de la solidarité de 1984 à 1987; 27 ans après, quelle appréciation faites-vous de la situation de la femme au Burkina ?
J.O. : Cette question est trop large. Que ce soit au Burkina ou dans les pays africains, il y a eu beaucoup de progrès dans la situation des femmes et en même temps, beaucoup de dégradations. Cela dépend du domaine dans lequel on se situe. Si nous prenons les domaines visibles tels que l’éducation, la formation, la participation à la vie économique dans le secteur entrepreneurial, la participation à la politique comme par exemple l’accès au Parlement, au gouvernement et même à la magistrature suprême, on sent que les femmes burkinabè et les femmes africaines en général ont beaucoup progressé. Le cas du Rwanda est assez édifiant. C’est le pays au monde qui avait la plus grande proportion de femmes au parlement. 49% des parlementaires rwandais étaient des femmes en 2006 je crois; ce qui était un record. En Afrique du sud et australe, les femmes ont représenté jusqu’à 25% des parlementaires. Quand les femmes sont instruites, elles peuvent avoir accès à tous les secteurs économiques et même dans les niveaux les plus élevés.

Et au Burkina ?
J.O. : Au Burkina aussi, sur le plan politique, les femmes ont toujours fait partie des gouvernants même si le nombre n’est pas encore intéressant. Je pense qu’on devrait avoir des gouvernements où 40 % des portefeuilles ministériels seraient confiés à des femmes. Mais jusque-là, nous avons des nombres assez infimes. Au Burkina Faso, nous avons des femmes scientifiques, techniciennes, chefs d’entreprises, des femmes d’affaires, etc.
Cependant, il y a une dégradation terrible des conditions de la femme. Les filles et les garçons n’ont pas égal accès à l’école ni au marché de l’emploi. Les filles ont encore plus de difficultés à avoir du travail que les hommes parce que d’emblée, les chefs d’entreprises évoquent les risques de grossesse. Aussi, les femmes sont moins favorisées dans les recrutements quand elles sont mariées. Certes, nous avons fait des progrès; mais ce n’est pas suffisant parce que la majorité des femmes vivent des conditions difficiles. Malgré nos efforts et un code de la famille très évolué, nous souffrons toujours de certaines pratiques coutumières ou traditionnelles comme l’excision et les rites de veuvage qui dégradent le statut de la femme.

A la faveur du contexte politique actuel de notre pays, vous étiez pressentie pour être présidente de la transition. Quelle était l’entité politique que vous avez représentée ?
J.O. : C’est par le canal de diverses personnes et peut-être aussi des membres d’associations, que mon nom a fini par émerger; les milieux évangéliques et l’armée également y ont aussi contribué. En fait, plusieurs milieux m’ont proposée parce que je n’appartiens pas à une association encore moins à un parti politique. J’étais comme un électron vraiment libre et indépendant !

Et quelle a été votre réaction quand on vous a informé qu’on voulait vous proposer à cela?
J.O. : Même sans vouloir faire de la politique, j’ai compris que nous traversions un moment très grave et en même temps plein d’attentes et d’espoir de changement pour notre pays. En tant que patriote, personne responsable, j’ai compris que j’étais sollicitée pour faire partie de la solution à la crise. C’est comme ça que je vois la chose; moi, je n’appelle pas ça faire de la politique. Si au nom du changement, des jeunes, des femmes, des gens adultes, des artisans, des chercheurs d’emploi, ont marché au risque de leur vie face à des forces de l’ordre armées et violents, le minimum si je suis sollicitée, c’est de faire preuve d’humilité, de patriotisme et d’accepter. C’est dans cet esprit-là que j’ai accepté que l’on propose ma candidature sans aucune prétention.

A votre avis et en tant que sociologue, qu’est-ce qui n’a pas bien fonctionné de votre côté ? Il parait que vous étiez coude à coude avec le Président Michel KAFANDO.
 J.O. : Ce n’est pas moi qui ai jugé, donc je ne peux pas vous dire ce qui n’a pas marché. Mais ce que j’ai entendu, c’est que M. KAFANDO est d’une grande notoriété internationale. De ma propre analyse, je me disais que M. KAFANDO partait favori dans la mesure où en termes de notoriété et d’expérience dans les milieux de la diplomatie, je ne peux pas me comparer à lui. C’est vrai que je suis connue dans d’autres milieux, notamment le monde du développement, des femmes et des acteurs de la société civile nationale et internationale. Donc, si le Jury de sélection a accordé la priorité à la notoriété internationale, je reconnais que M. KAFANDO était mieux placé que moi. C’est un premier aspect; pour les autres aspects, seul le jury peut le dire.

Bien avant la proclamation des résultats, nous avons pensé à certaines pesanteurs socio-culturelles au niveau de la femme africaine et qui pouvaient jouer en votre défaveur. Une femme à la tête du Burkina, c’est bien et ce serait aussi une grande première !
J.O. : Tel que je vois la situation, c’est sûr qu’il y a des gens qui n’auraient pas été à l’aise si j’étais désignée Présidente de la transition. Des autorités ou des membres du jury, tels que les chefs traditionnels, les responsables religieux, n’auraient peut-être pas été à l’aise qu’il y ait une femme à la tête du Burkina, c’est sûr. Mais je pense que le peuple burkinabé, notamment les femmes et les jeunes qui constituent la majorité, aurait accepté une femme comme Chef d’Etat de la transition.

Est-ce que les pesanteurs socio-culturelles ont donc beaucoup joué sur le choix de M. Kafando?
J.O. : Vraiment, je n’en sais rien et je ne me pose pas ces questions-là. Mais j’ai été agréablement surprise d’être arrivée à égalité avec M. KAFANDO en ce qui concerne la notation de nos réponses. J’étais vraiment fière de l’appréciation du Jury sur mes réponses aux questions. Quant au choix, il dépend de beaucoup de choses, c’est le jury qui peut s’expliquer à ce sujet.

J.O. : Dans un contexte de crise comme celui que nous venons de vivre, quelle peut être la contribution de la culture ?

Qu’est-ce qu’on entend d’abord par culture ? Beaucoup de gens comprennent la culture de diverses manières. Pour moi, la culture n’est pas la tradition, ni les coutumes, ni le chapeau de paille mossi ou les danses lobi qu’on expose partout. La culture, c’est ce qui caractérise la personnalité d’un peuple, l’âme d’un peuple. La culture burkinabé, c’est quoi ? Il s’agit des valeurs auxquelles les burkinabè sont le plus attachées ; il s’agit aussi de la vision d’un peuple sur son histoire, son présent et son futur ; c’est aussi la manière dont les burkinabè voient et apprécient leur environnement naturel ; c’est également la relation d’un peuple avec la nature ; la culture d’une société se révèle dans ses pratiques et ses comportements, ses goûts vestimentaires, alimentaires. La culture d’une société se révèle à travers le statut de la femme, de l’enfant et de l’homme, mais aussi l’importance accordée au « soi », à l’être en tant qu’individu. Donc forcément, la culture intervient même dans une crise comme celle que nous vivons. C’est pourquoi je ne pense pas que le peuple burkinabè aurait rejeté l’idée d’avoir une femme présidente. Le peuple burkinabé a connu des femmes leaders, des femmes guerrières comme Yennenga, C’est pourquoi j’ai dit que si je passais Présidente de la transition, le peuple burkinabé l’aurait accepté. Seulement, c’est la culture d’une certaine classe bourgeoisie traditionnelle, moderne et urbaine de surcroit, qui a tendance à réduire l’image de la femme à la sphère familiale en tant que mère, épouse, et subordonnée de l’homme. Les membres de cette classe bourgeoise raisonnent parfois comme suit : « Je suis chef à la maison, je suis chef de famille et je ne voudrais pas avoir une femme comme supérieure hiérarchique, encore moins ministre, ou chef de l’Etat ». Cette position culturelle n’est pas celle de la majorité des burkinabè, mais elle est très forte, car elle peut bloquer des décisions liées à la participation des femmes dans les sphères décisionnelles. D’ailleurs sur 23 membres du Jury de sélection, il n’y avait que 3 femmes je crois.

Les consultations sont terminées. Que fera maintenant Joséphine OUEDRAOGO ? Allez-vous accompagner ou vous retirer du processus ?

J.O. : On m’a sollicité pour la candidature aux présidentielles; si on me sollicite pour la transition, je réfléchirai comme je l’ai fait selon ce qu’on me propose. Ce n’est pas seulement dans une position de leadership qu’on contribue à la transition. En ce qui concerne des positions de pouvoir ou de responsabilité dans le système qui va gérer la transition, s’ils pensent que je peux être utile, je prendrai leur proposition au sérieux.

Quel mot avez-vous à l’endroit de la jeunesse, de la classe politique et à tous ceux qui ont contribué à apaiser le climat social.
J.O. : Je rends un grand hommage aux jeunes, aux femmes, aux forces vives, aux partis politiques, et aux militaires, tous ceux qui étaient au feu de cette insurrection, ceux qui ont bougé d’une manière ou d’une autre jusqu’à risquer ou perdre leur vie pour revendiquer un changement et obtenir une première étape du changement, à savoir la démission du Président Compaoré. Je trouve franchement que c’était quelque chose d’extraordinaire pour le Burkina Faso. J’aurais voulu que le Président COMPAORE comprenne plus tôt et qu’il quitte le pouvoir de son plein gré sans que cela n’entraîne toute cette violence. Mais à toute chose malheur est bon parce que cette insurrection, cette violence et sa profondeur nous forcent à comprendre qu’il ne s’agit pas seulement de changer de président; la jeunesse, les hommes et les femmes qui ont marché exigent de vrais changements en profondeur. Pour qu’il y ait les vrais changements, il faut en parler. Faire des élections ne veut pas dire forcément que quelque chose va changer. Il faut plutôt s’interroger sur ce que les gens veulent réellement comme changement pour notre société. Qu’est-ce qu’ils ne veulent plus voir dans ce pays-là ? Quel mode de gouvernance n’est plus acceptable ? quel genre de démocratie voulons-nous ? Quelle est la place à accorder dans la période de transition et au-delà, aux représentants de toutes ces personnes qui ont marché parce qu’elles se sentaient étouffées, marginalisées, piétinées, spoliées de leurs droits ? Je pense que le message est reçu et chacun est d’accord pour aller jusqu’au bout du changement ou du moins, tracer les voies pour un véritable changement. J’espère aussi que tous ceux qui ont marché pour revendiquer ce changement proposeront des mécanismes de veille et de contrôle, pour être sûr que ceux qui vont prendre le leadership de la transition et au-delà, ne vont pas les mener en bateau. Mieux, il faut organiser des états généraux pour débattre sur ce que l’on veut, ce que l’on ne veut plus, ce que l’on attend du nouveau Burkina Faso.
Je salue encore tous ceux qui ont pu faire en sorte qu’aujourd’hui, on soit en train de s’interroger sur des voies de salut pour notre pays.
Patrick COULIDIATY

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