Cinquantenaire du Fespaco avec Michel OUEDRAOGO

Cinquantenaire du Fespaco avec Michel OUEDRAOGO

« Le Burkina a donné en partage le FESPACO à toute l’humanité »

Sept ans à la tête du FESPACO, Michel OUEDRAOGO n’est plus à présenter au monde du 7ème Art. Malgré son état de convalescence, il a accepté nous rejoindre sous l’arbre-à-palabres du FESPACO pour échanger sur le cinquantenaire du Festival. Toujours jovial, décontracté et très remuant, l’homme n’a véritablement rien perdu de sa forme ni de ses bonnes habitudes.

Journaliste, il fit rapidement son entrée au FESPACO en 1995 à la faveur d’un bel article sur Namur. Nommé Délégué Général en 2007, il se montre bien outillé et très aguerri dans l’organisation du festival. Il est l’auteur du concept “Vision21”, une sorte de feuille de route à même de lui permettre de bien mener sa mission. 7 ans après, il est relevé de ses fonctions de délégué Général et remplacé par Ardiouma SOMA, l’actuel locataire du FESPACO. Depuis, nous n’avons plus eu de ses nouvelles. Qu’est-il devenu après le FESPACO ? C’est la question que nous lui avons posée.

“Grâce au seigneur, ma vie n’a pas été et continue de ne pas être morose”

Michel après le FESPACO

Je voudrais d’abord remercier mes parents, mon père (Paix à son âme). Mais aussi et surtout le seigneur Dieu. Ce n’est pas une conversion tardive. Grâce au seigneur, ma vie n’a pas été et continue de ne pas être morose. Parce que très tôt, j’ai occupé des responsabilités. Je n’ai pratiquement fonctionné en tant que journaliste dans une rédaction que pendant deux ans. Après un stage à Moscou, j’ai travaillé comme conseiller d’ambassade à Abidjan, dans l’équipe de communication du premier ministre Kadré Désiré Ouédraogo, Directeur Général des éditions SIDWAYA puis Délégué Général du FESPACO. 7 ans après, j’ai été relevé de mes fonctions suite aux évènements des 30 et 31 octobre 2014. Nous qui avons notre fibre politique fortement rattachée au Président Blaise Compaoré, l’occasion était venue pour certains de nous balayer et c’est ce qui a été fait. Mais j’ai toujours gardé espoir en Dieu. Parce que je me dis que j’ai toujours travaillé pour mon pays aussi bien au plan politique que professionnel.  J’ai toujours cherché à être modéré, à arrondir les angles mais à avoir des principes. Je m’amuse bien, mais je fais respecter les principes. Mes premiers principes, sont la fraternité, l’amitié, la solidarité et surtout la loyauté et la fidélité.

Après les élections, je n’avais jamais prétendu chercher à avoir des postes électifs non pas parce que j’ai peur de ces postes mais   je pense que je pouvais aussi servir mon pays autrement que par la politique. Mais comme on le dit, on n’échappe pas à son destin, Dieu l’a voulu que je sois député à l’Assemblée Nationale.

Donc quand je regarde avec du recul, je ne peux que bénir le seigneur parce lorsque que je revenais au Burkina, on nous appelait les diaspos. Et pour un diaspo en son temps, pouvoir se frayer un passage de vie, ce n’était pas aussi facile. Nous avions nos habitudes et nos réflexions mais on a été éduqué dans le dur. Comme je le disais à quelqu’un, la route de la diaspora est ouverte mais il n’est pas donné à tout le monde de pouvoir l’emprunter.

Le FESPACO est l’âme culturelle de notre pays et du cinéma africain

Je voudrais à l’entame de cette interview, remercier votre organe parce que c’est avec persévérance et témérité que vous avez voulu m’associer à ce cinquantenaire à travers votre média. Je voudrais m’excuser parce que cela a pris trop de temps. Mais l’homme propose et c’est Dieu qui dispose. Vous savez depuis le 17 janvier 2018, j’ai été atteint d’une maladie assez difficile et sévère, un AVC. J’étais donc en convalescence et je le suis toujours. Mais le fait de m’associer à cette grande histoire du FESPACO, j’ai pris l’effort sur moi de venir répondre à vos questions afin de donner ma contribution, à la réussite et au grand succès de ce cinquantenaire du FESPACO.

Le FESPACO n’est plus un événementiel. Le FESPACO est l’âme culturelle de notre pays et du cinéma africain parce que sans le FESPACO, je pense que nous, burkinabè n’aurions pas été parfois remarqués ou reconnus à travers le monde. Sans le FESPACO, peut être que beaucoup d’africains ne se seraient pas fait reconnaître en Afrique et à travers le monde. Le Burkina a donné en partage le FESPACO à toute l’humanité ; c’est quelque chose de formidable. De ces créateurs et à tous les continuateurs que nous sommes, je crois que chacun a apporté autant qu’il peut sa touche à ce que le FESPACO devienne effectivement un événementiel prestigieux.

Il faut ajouter à cela le concours des cinéastes, des hommes de culture et des hommes et femmes des médias parce que le FESPACO n’aurait pas eu sa renommée sans eux. En un mot, le FESPACO, c’est l’âme culturelle du cinéma africain.

Fespaco 2013 : C’est le début des parrainage avec les pays invités d’honneur. A l’ext. Droite: La Première dame du Gabon et au Milieu, un Ministre Gabonais de la Culture.

Le FESPACO : c’est l’histoire du cinéma africain

En termes de mémoires, je pense pouvoir apporter ma petite réflexion. C’est que véritablement, le FESPACO marque le début de l’histoire du cinéma africain. En effet, c’est à partir du FESPACO que le cinéma africain va s’incruster autour d’un événementiel. Même s’il est né avant, c’est le FESPACO qui va fixer le cinéma Africain. Du point de vue historique, le FESPACO est très important. Il va connaitre à la fois l’évolution et le déroulement du cinéma africain à travers ces biennales, mais aussi en représentant l’Afrique sur tous les continents. Je crois qu’il faut saluer la mémoire de tous ceux qui ont travaillé à ce que le FESPACO soit un grand événementiel. Je ne pourrai pas citer tous les noms mais simplement dire merci à tous ces fondateurs et à tous ces continuateurs. Je pense à Alimata SALEMBERE, à Philippe SAWADOGO, à Baba HAMA, à de grands cinéastes comme Gaston KABORE, SEMBENE Ousmane et Idrissa OUEDRAOGO (paix à leurs âmes). Je pense également à tous ces réalisateurs, à ces jeunes qui font la continuité de cette histoire du cinéma africain. Parce que cette histoire nous la construisons tous ensemble. Je pense à tous les cinéastes Africains qui font confiance au FESPACO.

Comme je l’ai dit, le FESPACO même s’il n’avait pas été créé, il fallait le créer. Mais il doit être amélioré pour véritablement être l’essence et le porteur du cinéma africain. C’est cela qui va garantir l’avenir du cinéma africain. Mais, il faut que les cinéastes fassent du FESPACO leur affaire. J’ai toujours dit, il y a deux phénomènes qu’il ne faut pas confondre : prendre en main intellectuellement la production et prendre en main son organisation.

L’organisation est une chose qui diffère de la production, de la réalisation et de la distribution… etc. Chacun doit donc jouer son rôle pour qu’enfin le FESPACO continue de porter le cinéma africain.

Le FESPACO à révéler la ville de Ouagadougou

En 50 ans d’existence, le FESPACO a permis de graver le cinéma africain sur le continent et à travers le monde. Aujourd’hui, il y a des célébrités qui viennent au Burkina parce qu’il y a le FESPACO. Si ce festival n’existait pas, nous n’aurions pas eu toutes ces célébrités sur le sol Burkinabè. Le FESPACO, c’est d’abord un lieu de rencontre, de convergences des intellectuels, des hommes de médias et des grands acteurs de cinéma. Pour moi, c’est déjà le premier acquis du FESPACO. Plusieurs festivals ont été créés en Afrique mais combien ont aussi disparu après leur création ?  Mais le FESPACO a résisté depuis 50 ans !

50 ans, c’est pratiquement l’âge des indépendances de nos Etats, surtout francophones. 50 ans après, on ne devrait plus parler de majorité. En 50 ans donc, le FESPACO a apporté au plan culturel et économique, une visibilité certaine pour le Burkina et pour l’Afrique. Sans prétendre énumérer tous les acquis du FESPACO, il faut considérer cet évènementiel comme un tout. Et ce tout, c’est que le FESPACO a permis de mettre un point sur une carte, une ville qui est Ouagadougou, qui est en Afrique et qui fait la promotion du cinéma africain.

“Vision21”, le label de Michel OUEDRAOGO

Journaliste, j’ai toujours eu la charge dans ma rédaction de m’occuper plus ou moins du volet culturel. En 1989, le délégué général du FESPACO, à l’époque Phillipe SAWADOGO avec tous mes respects, m’a associé en tant que journaliste à une délégation qui devait aller à Namur. C’est ainsi que j’ai commencé à couvrir les évènements du FESPACO. L’article que j’avais produit dans le cadre de cette sortie à Namur a satisfait le délégué général qu’il a souhaité que je vienne lui prêter mains fortes aux relations publiques du FESPACO.  Voilà comment je suis rentré au FESPACO et c’est ainsi également qu’on m’a ouvert les portes de l’organisation du festival. Donc, je peux dire que j’ai été un délégué général qui est passé de l’organisation du festival à sa gestion directe.

Depuis 1995 pratiquement, j’ai toujours été président d’une commission au FESPACO, jusqu’à ce que je prenne les rennes du festival en 2007. A travers le festival, ce n’est pas simplement l’organisation mais c’est aussi un apprentissage auprès des prédécesseurs que sont Philipe SAVADOGO, Baba HAMA et bien d’autres personnalités. Après une première proposition de nomination que j’ai déclinée sous Madame Aline KOALA (que je remercie d’ailleurs), c’est le ministre SAVADOGO qui m’a ensuite proposé au poste de Délégué Général du FESPACO.

J’avais donc déjà une idée sur le festival, je le connaissais un peu de l’intérieur parce que j’avais déjà construit des relations avec tous ceux qui y étaient.

Mais ce n’était pas chose facile. Il fallait réfléchir d’abord et créer un axe de travail. C’est ainsi qu’avec l’aide des amis, j’ai mis en place ce que j’ai appelé à l’époque “vision 21” qui est le résultat d’une réflexion menée à plusieurs niveaux (entre collaborateurs et cinéastes). Avec “Vision 21”, je n’improvisais plus. En fait, à travers “Vision21”, je voulais faire du FESPACO, une institution dotée d’une certaine autonomie et jusque-là, c’est le combat que je mène.  Tant que le FESPACO restera sous tutelle, sans autonomie propre, il lui sera difficile de toujours se déployer parce que les tutelles sont parfois étouffantes. Après l’autonomie, il fallait travailler sur la question de l’indépendance financière ; ce qui nécessite des initiatives.

Même si l’Etat burkinabé reste le principal bailleur, il faut œuvrer en sorte que le FESPACO puisse bénéficier de la contribution des autres états africains. Lorsqu’un cinéaste remporte l’Etalon, ce sont des cérémonies grandioses dans son pays. Nous avons vu comment les films sénégalais par exemple qui ont gagné l’Etalon ont été célébrés dans leur pays. Donc quelque part le FESPACO apporte de l’image à ces pays. Faire en sorte que le FESPACO ne soit pas seulement une affaire du Burkina mais de l’ensemble de l’Afrique entière.  Et c’est cela notre réflexion. Un calendrier de proposition de pays invités d’honneur avait même été élaboré. C’est pourquoi le premier pays invité d’honneur fût le Gabon, puis l’Egypte et à cette 26ème édition, c’est le Rwanda. je crois que c’est cette idée qui continue et il faut la pérenniser.

Nous avons ensuite souhaité que le FESPACO ne soit pas seulement un format cinématographique mais un format culturel et majeur. C’est ce qui explique qu’à certaines éditions nous associons le théâtre et la musique d’où le prix du festival du “film de la musique” que nous avons institué. C’est pour vous dire que le FESPACO doit être un “Tout” et c’est ce qui va faire son économie.

L’autre aspect et pas des moindres, c’était d’accroitre l’engouement des réalisateurs pour le FESPACO. Je me réjouis d’avoir été effectivement compris. Aujourd’hui, le prix de l’Etalon si je ne m’abuse, s’est amélioré. De 5 ou 7 millions, l’Etalon est passé à 20 Millions, si j’ai bonne mémoire.

Ce n’est pas parce que le Burkina est riche mais c’est aussi sa contribution au panafricanisme. Le fait d’organiser le FESPACO, de le soutenir financièrement, de permettre des cachets à l’essor au FESPACO, c’est quelque chose de très important pour ce qu’on appelle le panafricanisme.

Voilà entre autres axes sur lesquels j’ai travaillé.

Ce que les politiques burkinabè doivent comprendre …

Photo marquant la signature du début de Partenariat “Fespacoet Royal Air Maroc”

Moi, je pense que l’avenir du festival est d’abord l’affaire des professionnels du cinéma. Le FESPACO, en tant que structure d’organisation administrative va toujours exister et va même se renforcer. Mais si cette structure se renforce, il faut que l’aspect professionnel du cinéma africain se renforce également.

Cependant il faut au Burkina et en Afrique que les politiques comprennent qu’ils existent des politiques culturelles. Il faut que les politiques culturelles et économiques du Burkina le comprennent également. Il faut que les diplomates Burkinabè et africaine comprennent l’importance du FESPACO. C’est un instrument qui doit être fort. Si le FESPACO est fort, si la production cinématographique en Afrique commence à se diversifier et à bénéficier des technologies, l’avenir du Festival et du cinéma africain ne sera que radieux. L’Afrique ne doit pas se fermer ni vivre en vase clos. Il faut qu’on comprenne et qu’on accepte que l’extérieur peut nous apporter des compétences et que nos compétences peuvent aussi servir à l’extérieur. Ce n’est pas une question de biceps, mais c’est avant tout une question d’intelligence.

Il faut que les autres Etats contribuent financièrement à l’organisation du Festival

Pour le FESPACO, il faudrait que les gens comprennent   que l’organisation que nous menons et qui continue de se faire connait une évolution. Mais cela ne peut pas être parfait comme les gens le souhaitent. Quel que soit ce que nous allons faire, il y aura toujours des critiques mais il faut parfois faire la part des choses, parce qu’il y a eu souvent des critiques excessives à volonté destructrices. Sur ce sujet, je voudrais véritablement dire qu’au FESPACO, il y a tellement un recul dans la réflexion que jamais nous n’osons répondre aux critiques, parce que nous savons ce que nous voulons et où nous allons. On organise le festival en allant avec des limites objectives et ses limites objectives sont d’abord financières. Nous faisons avec ! Le jour où le festival, aura les moyens pour organiser une édition je vous assure que cela sera une édition d’enfer. Là encore, ce n’est pas une question de volonté ni de biceps. Il s’agit du nerf de la guerre ! C’est ça qui fait que certains festivaliers partent insatisfaits. Nous sommes les organisateurs et c’est nous qui savons comment nous souffrons pour une bonne organisation des éditions.

Il faut donc véritablement et même urgemment que les autres états africains qui bénéficient de l’aura du FESPACO puissent apporter leur contribution au financement du festival. Ne serait-ce qu’en prenant en charge les billets de leurs réalisateurs. Si chaque pays prend en charge les billets de ses réalisateurs sélectionnés au FESPACO, ce serait un soulagement parce l’argent de ces billets sera réinjecté dans d’autres rubriques pour parfaire l’organisation.

Le deuxième aspect qui fait objet de critique, ce sont les réservations dans les hôtels. Tout le monde veut aller à l’hôtel indépendance. Mais attendez ! L’hôtel indépendance fait combien de places ? Parfois, il y a eu des critiques excessives et j’avoue qu’il y a des cinéastes qui sont spécialisés dans les scandales.

Les personnalités qui m’ont marqué …

Osange SILLOU, une Guadeloupéenne fait partie des personnalités qui m’ont marqué

C’est sans hypocrisie ! Le cinéaste qui m’a le beaucoup marqué c’est Idrissa. Il était un intellectuel du cinéma, culturel et social. Idrissa était quelqu’un qui vivait dans son environnement, il avait du respect pour tout le monde mais il avait aussi ses principes. Ce que je retiens de lui, ce sont ses qualités. Une autre personne qui m’a marqué, c’est , une guadeloupéenne. Quand j’ai commencé à assumer les responsabilités du FESPACO, je l’ai invitée et je lui ai dit : «  tantie, ça serait un grand plaisir pour moi que vous soyez au FESPACO » et depuis, j’ai gardé une formidable amitié avec elle. En plus,  Nourdine SAIL que j’appelle affectueusement mon maître est une référence pour le cinéma Africain.

Outre les jeunes cinéastes qui me marquent, je n’oublie pas le personnel du FESPACO. Aujourd’hui je ne suis pas étonné que ce soit Mr SOMA qui dirige le FESPACO parce qu’il en est aussi une grande mémoire.

Il y a également beaucoup de femmes qui nous ont marqué lorsqu’on a créé la première édition des “Journées Cinématographiques des Femmes (JCFA). Je voudrais présenter mes hommages à Tantie Alimata SALEMBERE qui m’a accompagné et soutenu.

Je suis honoré de contribuer à écrire cette histoire du FESPACO

Je vous remercie et je suis honoré de contribuer à écrire cette histoire du FESPACO. Je m’excuse auprès des personnalités que j’ai peut-être omises de citer et je m’excuse aussi parce que pendant ma mission, ça n’a pas toujours été chose facile. Parfois, c’était difficile avec certains mais qu’ils comprennent qu’ainsi va la vie. J’ai voulu faire le mieux pour le FESPACO et pour mon pays.

Artistes.bf

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