Déclaration des Organisations professionnelles de médias sur la situation de la liberté d’expression et de la presse au Burkina Faso

Depuis le 24 janvier 2022, les Burkinabè font l’expérience d’un nouveau régime militaire. La prise du pouvoir par les militaires à travers un putsch repose le débat sur le niveau de consolidation de l’Etat de droit au Burkina Faso et surtout, la sauvegarde des acquis démocratiques.

L’attitude du pouvoir du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR) vis-à-vis de la liberté d’expression et de la presse inquiète de plus en plus l’opinion nationale et, en particulier, les acteurs des médias que nous sommes. Après avoir suspendu la constitution et substitué entre temps à celle-ci un acte fondamental pour finir par rétablir la constitution du 11 juin 1991, les militaires ont montré leurs intentions de régenter les libertés publiques.

Dans ce contexte d’« Etat de droit d’exception » il apparait clairement que la primauté du droit n’est pas la chose la mieux partagée. Or, il est établi que là où les libertés sont menacées, la première liberté à en souffrir c’est la liberté d’expression et singulièrement la liberté de la presse. Quelques faits observés depuis l’installation des nouvelles autorités méritent notre attention. Certains faits passés presque inaperçus dans l’opinion ont de quoi rester à jamais une tache sombre dans les annales de la presse.

En effet, saviez-vous qu’il est interdit de filmer le Président Paul-Henri Sandaogo Damiba ? C’est hélas ce qu’ont vécu les reporters du quotidien «L’Observateur Paalga», un jour de Conseil des ministres. Les journalistes preneurs d’images se sont vu refuser le droit de prendre des images du Président Damiba à l’occasion du premier conseil des ministres. Dans le numéro 10 559 du lundi 21 mars 2022, les reporters de «L’Obs» rendent compte de leur mésaventure sous le titre « Il est interdit de filmer Damiba ».

Alors que le photographe immortalisait l’arrivée du Président Damiba pour ce premier Conseil des ministres le vendredi 18 mars, quoi de plus normal pour des journalistes et un photographe de presse, un membre de la garde du Lieutenant-colonel Damiba les a sommés d’arrêter de filmer. Le journaliste, sans insister, a abandonné sa mission et rejoint ses confrères. On pouvait penser que les choses en resteraient là ; mais les militaires vont aller plus loin. « Nous n’avons pas eu le temps de reprendre nos esprits. Un élément de la sécurité apparemment envoyé par son patron nous rejoint la seconde d’après. D’un ton courtois, il nous invite à supprimer toutes les photos que nous venions de prendre. Nous nous exécutons sous son contrôle. En plus de la photo du convoi du président, il nous fait supprimer celle que nous avions prises plus tôt du Premier ministre », relatent les confrères de «L’Observateur Paalga».

Poussant plus loin le bouchon de la restriction et de l’intimidation, la sécurité de Damiba est revenue une troisième fois. Cette fois-ci, deux éléments ont pris les confrères de côté pour s’assurer que les images ont été irréversiblement supprimées et qu’elles ne sont pas stockées dans la corbeille de l’appareil. Malgré les assurances des journalistes, ils ont pris l’appareil pour vérifier par eux-mêmes avant de libérer les journalistes.

Cette attitude, en dépit de l’approche plus ou moins souple et courtoise que les militaires ont adoptée pour faire supprimer les images, n’en demeure pas moins une grave intrusion dans le travail du journaliste et une atteinte à la liberté de la presse. On pourrait penser qu’il s’agit là, d’un zèle des éléments de la sécurité présidentielle mais il y a des raisons de penser que ces militaires n’ont pas agi sans l’aval de leurs supérieurs.

Au-delà des militaires et de leurs supérieurs, ces agissements regrettables peuvent être perçus comme des éléments fondamentaux inscrits dans la vision même du MPSR. La convocation des responsables de médias à Kossyam par le Président Damiba, le jeudi 14 avril 2022, avait tout l’air d’un recadrage sinon une volonté de mettre les médias au pas. Même pour ceux qui ont pris part à cette rencontre, il est difficile de dire clairement quel était l’objectif de cette convocation. Mais on a pu constater que la rencontre se rapprochait plus d’un cours de journalisme du Lieutenant-colonel aux fondateurs, directeurs généraux, directeurs de publication et rédacteurs en chef. Le Lieutenant-colonel a parlé plusieurs fois de ceux qui le critiquent en faisant allusion aux journalistes. On n’a pas besoin de regarder dans une boule de cristal pour savoir que le Président Damiba n’apprécie pas ces « critiques » et qu’il souhaite voir cela s’arrêter.

Le dernier discours à la nation du Président Damiba conforte cette idée de restriction des libertés publiques et de la liberté de presse. Le Président Damiba dans son discours du 1er avril 2022 déclarait l’interdiction des « manifestations à caractère politique ou associatif de nature à perturber l’ordre publique ou à mobiliser les forces de sécurité dont la contribution serait plus opportune au front ». Avec toute la bonne foi, il est difficile de comprendre le lien que le Président veut établir entre les manifestations et la lutte contre le terrorisme. Les professionnels des armes qu’ils sont savent pourtant plus que quiconque, que le maintien d’ordre et la défense du territoire national sont deux missions distinctes relevant de forces et d’unités différentes.

Et comment ne pas se rappeler cette sortie du ministre en charge de la sécurité qui mettait en garde les utilisateurs des réseaux sociaux. Le 15 mars 2022, dans un communiqué largement relayé, le Colonel-major Omer Bationo prévenait : « (…) Il n’y aura pas d’impunité pour les auteurs de publications et autres agissements à caractère subversif, portant atteinte à l’ordre public, à la cohésion sociale et au moral des troupes. Aucune tolérance ne sera faite à ceux qui veulent par leurs actes accroitre la souffrance des populations déjà meurtries ». Evidemment, personne ne cautionnerait des actes de nature subversifs et on n’a pas besoin d’être au gouvernement pour condamner d’éventuels actes de cette nature. Mais là où il y a le hic, c’est que nous n’avons pas toujours la même compréhension de ce qui est constitutif d’une subversion. On peut ne pas aimer l’activité des réseaux sociaux mais n’importe qui reconnaitrait qu’il y a très souvent plus de vérité que de fausses informations.

En tout état de cause, les organisations professionnelles des médias constatent avec nombre de nos compatriotes que ce ne sont pas tant les fausses informations qui dérangeraient les autorités mais au contraire, ce sont toutes les informations qu’elles soient fausses ou avérées mais qui ont trait à la question sécuritaire, que les autorités veulent étouffer. Dès lors qu’il est question d’attaques terroristes, c’est même les vraies informations qui dérangent le plus l’autorité. Et si une vraie information commence à devenir un problème pour les autorités au point de soulever ces menaces et mises en garde, c’est tout naturellement que les journalistes doivent s’inquiéter.

Dans ce contexte de lutte contre le terrorisme, ces menaces sur la liberté d’expression et de la presse et tentatives d’obstruction au travail des journalistes ne sont pas nouvelles. Elles ont cours depuis le régime du Mouvement du Peuple pour le Progrès (MPP) sous Roch Marc Christian Kaboré qui n’avait pas manqué de modifier le code pénal pour si peu. Toutefois, les organisations professionnelles des médias ne s’attendaient pas à ce que les nouvelles autorités basculent si vite dans des mesures de restriction des libertés et des menaces contre la liberté de la presse, au regard du rejet franc et massif que le pouvoir du MPP a essuyé chaque fois qu’il a tenté de restreindre la liberté d’expression et de la presse.

Au demeurant, l’histoire du Burkina nous enseigne que les menaces et autres restrictions contre la liberté d’expression et de la presse sont contre productives. Du reste, il est illusoire de croire que l’on peut promouvoir l’intégrité, lutter contre la corruption dans l’opacité ou encore dans le musellement de la presse. Au contraire le silence des autres est souvent recherché pour masquer une inaction, des pratiques aux antipodes d’une gouvernance vertueuse.

Par conséquent, nous, organisations professionnelles de médias signataires de la présente déclaration, tout en apportant notre soutien aux Forces de défense et de sécurité, aux Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) et à l’ensemble des forces qui combattent le terrorisme :

  • condamnons toutes formes de restrictions et de menaces contre les journalistes, les médias, les défenseurs de la liberté d’expression et de la presse ;
  • apportons notre soutien à l’ensemble des journalistes, des médias et des défenseurs de la liberté d’expression et de la presse ;
  • exhortons les nouvelles autorités à travailler à mobiliser toutes les énergies contre le terrorisme plutôt qu’à se lancer dans la recherche et la stigmatisation de boucs émissaires ;
  • appelons le Président Damiba et son gouvernement à lever toutes restrictions sur le travail des journalistes et à consolider la liberté d’expression et de la presse, qui, loin d’affaiblir un pouvoir, facilite la mobilisation autour de ses aspirations profondes.

Ouagadougou, le 25 avril 2022

Pour l’AJB

Le Président

Guézouma Sanogo

Pour le SYNATIC

Le Secrétaire général

Siriki Dramé

Pour la SEP

Le Président

Boureima Ouédraogo

Pour le CNP-NZ

Le Président

Inoussa Ouédraogo

Pour l’OBM

Le Président

Hamado Ouangrawa

Pour l’APEML

Le Président

Dr Cyriaque Paré

Pour l’ARCI

Le Président

Bélibié Soumaïla Bassolé

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