Fespaco 2019 : Nadia El Fani, à propos de l'avenir du cinéma africain

Fespaco 2019 : Nadia El Fani, à propos de l'avenir du  cinéma africain

A l’occasion du cinquantenaire du Fespaco, le moment était bienséant  pour les acteurs du 7ème art de faire une rétrospective sur le chemin parcouru tant individuellement que collectivement. Le FESPACO en 5 ans d’existence, laisse de nombreux enseignements à ses  fondateurs, aux héritiers et surtout à la jeunesse. Quelle va être la nouvelle orientation à imprimer au Fespaco de demain ? C’est la question que nous avons posée à Nadia El FANI. Voici à ce propos son regard critique :

Nadia El FANI : “Je dis toujours que nous sommes les réalisateurs, c’est nous qui faisons le cinéma”

(Rires). La mémoire du premier festival a été la rencontre avec pleins d’autres collègues cinéastes avec qui je suis toujours amie et on est toujours heureux de se retrouver. Mais quand on se rappelle, on a été obligé de se bagarrer pour avoir une chambre. Le FESPACO d’après, on a arrêté le Congrès de la FEPACI parce qu’on n’avait toujours pas de chambre alors qu’on était des cinéastes qui n’avaient fait que des courts métrages mais qui étaient en compétition. Donc, on a estimé que ce n’était pas normal de nous manquer du respect jusqu’à ce point.

Je dis toujours que nous sommes les réalisateurs, c’est nous qui faisons le cinéma et donc, sans nous, rien de tout ça n’existera. Nous offrons non seulement du travail à nos équipes techniques pour faire des films mais aussi du travail aux organisateurs du festival, à tous les responsables du ministère de la culture (directeurs de cinéma et autres responsables de planification). C’est grâce à nous que plein de métiers existent. Sans réalisateurs, tout cela n’existerait pas ! Alors, c’est pourquoi nous avons demandé en son temps, un minimum de considération et de respect pour les cinéastes. A mon avis, quand on ouvre un festival et que l’on ne fait pas venir sur scène les cinéastes, on rate quelque chose ! Parce que nous sommes le cinéma africain, nous les réalisateurs ! Et c’est notre place à nous et non pas aux hommes politiques qui ne nous écoutent pas de venir faire des discours c’est à nous les cinéastes de monter sur scène, de dire pourquoi nous sommes là, pourquoi nous faisons des films et pourquoi nous sommes heureux de rencontrer le public. Ce n’est pas aux hommes politiques de prendre la parole aux ouvertures et aux clôtures de festival car eux, ne font rien pour nous. C’est uniquement quand nous les interpellons et quand nous joueons à un rapport de force que d’un seul coup, ils nous prennent en considération. La preuve que nos films leur font peur, c’est que juste qu’aujourd’hui, nos films sont parfois censurés ; ça m’est déjà arrivé et c’est arrivé aussi à d’autres.

” Il faut que nous travaillions main dans la main avec la jeunesse “

L’avenir, c’est la jeunesse et c’est elle qui va découvrir les nouveaux modes d’expression et de diffusion et moi, je suis personnellement ouverte à ses choses-là parce personne ne peut arrêter le progrès. Et si la jeunesse a décidé qu’elle va regarder des films sur petit écran, c’est très dommage parce que nous faisons des films pour les voir ensemble sur le grand écran. Donc c’est à la jeunesse de prendre conscience que ce qui est important, c’est le partage et je pense que le partage ce n’est pas seulement appuyer sur un bouton sur facebook pour dire “partager”. Le partage, c’est aussi d’être ensemble, au même moment, de regarder la même chose et d’en sortir au même moment et d’en discuter en ce moment-là.  Regarder individuellement des films sur de petites tablettes qui vont forcément restreindre ce qu’on a à dire, je ne suis pas certaine que ce soit ce qui est le meilleur pour eux. Maintenant si la jeunesse décide que c’est ainsi qu’elle va vivre, je n’ai rien à dire ! Moi mon temps est passé !

Nous sommes en Afrique où nous avons été grandement influencés par le cinéma français, dans le bon sens du terme et dans le sens du cinéma d’auteur. Et parfois, le cinéma d’auteur est un cinéma populaire qui ne veut pas dire commercial. Cinéma populaire veut dire que nous parlons à tout le monde. Moi, je ne suis pas une élitiste, je n’ai jamais cherché à parler à ma caste intellectuelle. J’ai toujours cherché à parler à tout le monde. Et je pense que chercher à parler à tout le monde, ce n’est pas descendre d’un niveau. Au contraire, c’est élever les autres vers un niveau qui est celui de dire ” voilà ce que je vous propose et je suis sûr que vous êtes capables de le comprendre.”

Je suis ravie que le cinquantenaire marque le temps de la maturité. Tout ce que je pourrais dire dorénavant, c’est magnifique de faire une grande fête avec beaucoup de choses mais je pense parfois qu’il faut être capable de sélectionner beaucoup plus, de restreindre les films en compétition de façon à ce que nous nous professionnalisions et que de nouveau le cinéma africain soit visible à l’international. Ce n’est pas tout qu’on voit. Pour que nous trouvions dorénavant plus d’argent, il faut que nous soyions exportables et pour être exportables, il faut, quand nous sortons un film avec un grand prix, qu’il ait une valeur et pour qu’il ait une valeur, il faut vraiment que ce soit quelque chose qui ait du sens. C’est-à-dire, “pas faire plaisir à tel pays”, Non ! Il ne faut pas qu’on ait d’état d’âme par rapport à ça. Nous sommes des professionnels, nous sommes capables d’apporter nous, les anciens (comme le dit la jeunesse) un savoir-faire que nous avons acquis depuis longtemps. Il faut que nous travaillions main dans la main avec la jeunesse et que celle-ci soit capable d’apprendre de nous et que nous prenions en compte ses propositions.

Propos recueillis par Artistesbf

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