Guy Désiré YAMEOGO, Réalisateur

Guy Désiré YAMEOGO, Réalisateur

Film réalisé par un collectif de 5 réalisateurs à savoir Apolline TRAORE, Karim SAWADOGO, DAO Abdoulaye, HEBIE Missa et Issa de BRAHIMA

Je suis désiré YAMEOGO. J’ai une formation de scénariste réalisateur. J’ai collaboré à l’écriture de plusieurs séries de films de longs et de courts métrages du Burkina. Je travaille depuis quelques années pour le FESPACO (Festival Panafricain du Cinéma et de la Télévision de Ouagadougou). Je suis chargé de l’animation du département “FESTIVAL”. J’ai été formé dans une école du cinéma à CUBA. De retour, j’ai fait mon premier film de court métrage en 1996 qui s’intitulait ” si longue que soit la nuit “. Ce film a eu un relatif succès parce qu’il a été présenté à plusieurs festivals de films où nous obtenus quelques prix notamment au FESPACO, à CANNES et à Montréal. Je suis auteur de plusieurs courts métrages dont il sera fastidieux de les lister, de plusieurs films documentaires, et des séries télévisées comme :

  1. “Quand les éléphants se battent”,
  2. “Vis-à-Vis”,
  3. “INA”
  4. ” Le petit soldat d’Adama ROUAMBA”,
  5. ” Une femme pas comme les autres (long métrage) d’Abdoulaye DAO

Vous n’êtes pas le réalisateur ni l’auteur d’un film et vous vous dites que vous avez participé à son écriture. Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste exactement votre travail ?

Dans la chaîne industrielle du cinéma, chacun doit avoir sa place. Le scénariste intervient tout comme un technicien, un caméraman ou un ingénieur du son. En tant que scénariste, je peux proposer une idée, la développer et la traduire sous forme de scénario puis le remettre à un réalisateur. Je l’ai fait par exemple avec les films “on ne mange pas les merci” et ” une femme pas comme les autres”. On peut me commander l’écriture d’un scénario. C’est le cas par

exemple des institutions qui souhaitent faire des films de sensibilisation. C’est une forme d’écriture qui est très différente de celle d’un roman ou d’une nouvelle.

La plupart de vos collègues réalisateurs travaillent aujourd’hui à leur propre compte; c’est un constat. Mais le scénariste Désiré YAMEOGO que vous êtes, malgré votre “matos de savoir” a choisi de rester dans l’administration publique. Pourquoi ?

Oui c’est une question que mes proches m’ont souvent posée. Je crois que c’est une question d’organisation. S’installer à son propre compte, nécessite des moyens. Aussi, faut-il avoir le courage de s’installer à son propre compte du fait que l’imitative privée connait des hauts et des bas. Mais en dehors de tout ça, il faut dire que je tenais à honorer mon engagement vis-à-vis de l’Etat. Je pense que ça viendra !

Comment se porte le cinéma burkinabé ?

A l’instar des cinématographies d’autres pays d’Afrique, nous sortons d’une zone de turbulence. C’est très réconfortant parce que nous avons survécu ! Nous sommes confrontés à l’heure à un problème structurel dont il faut trouver urgemment solution. En effet, depuis les années 80, nous avons été habitués à des œuvres de belle facture, à faire connaître au monde entier des cinéastes de renom. Du fait que le Burkina abrite le FESPACO, le public a aussi coutume de voir chaque deux an des œuvres formidables. Mais ces derniers temps, les moyens se sont raréfiés au niveau de la culture de façon générale. Les guichets de financement du cinéma se sont pratiquement tous fermés. Heureusement qu’au niveau national, nous avons développé des initiatives pour s’en sortir. Mais déjà, beaucoup de gens se sont repliés sur la vidéo pour tenir le coup de la crise au point que le cinéma 35mm est devenu rare sinon inexistant. Il se peut qu’au prochain festival que nous ayons 4 longs métrages 35 mm. C’est une bonne moyenne parce qu’en dehors du Maroc et de l’Afrique du Sud, aucun autre pays ne peut faire plus de 2 longs métrages par an. Donc, nous sommes toujours dans le peloton de tête et le cinéma se porte bien dans la mesure où il s’exporte bien aussi. Nous avons encore la chance que la télévision et la vidéo soient venues au secours du cinéma et produisent des œuvres de belles factures.

Mr Yaméogo, il y a des moments où on a l’impression que nos réalisateurs sont en panne d’idées ou d’inspiration. A peine si certains films font sourire. Quel est votre avis ?

En réalité les thèmes ne sont si pauvres que ça. Le grand problème se situe au niveau de la maîtrise des scénarios et de l’écriture. Si un film n’arrache pas le sourire d’un cinéphile, c’est que le traitement du scénario n’a pas bien fonctionné. Selon des spécialistes en écriture, il n’existe au maximum que 30 situations dramatiques. Toutes les histoires qu’on raconte dans le monde entier se résumeraient à 30 situations et qu’en réalité, c’est du “réchauffer” qu’on nous sert. à chaque fois. Maintenant, la technique avec laquelle on nous livre l’ancienne histoire est innovante. Aujourd’hui avec l’avènement du numérique, tout le monde peut avoir accès moyens de tournage. Mais le moyen technique en lui –même ne vous permet pas de devenir un cinéaste; il faut aller apprendre la science du cinéma. C’est là le problème car beaucoup n’ont pas la patience de le faire. Les gens sont pressés, si pressés que les films sont souvent mal traités malgré leurs moyens techniques performants et les belles caméras dont ils disposent.
Dans ” UNE FEMME PAS COMME LES AUTRES” du réalisateur Abdoulaye DAO, nous traitions d’un vieux thème : la polygamie. Le cinéma depuis les années 60 n’avait que la polygamie comme thème de prédilection. Malgré que le thème soit apparemment dépassé, le film a eu grand succès populaire parce qu’il a été bien traité. Nous avons amené les gens à le regarder autrement, sous un autre angle. C’est une comédie qui a bien marché; les gens ont rempli les salles, la demande à été fortement exprimée à l’extérieur comme en suède.

“Le cinéma ne peut pas exister sans le public”

Vous parliez tantôt de la télé et de la vidéo qui sont venues au secours du cinéma. Bien au contraire, nous pensons plutôt qu’elles sont venues pour tuer le cinéma parce qu’à l’allure où vont les choses, il y a comme un risque que le cinéma disparaisse un jour au profit justement de la télé et de la vidéo. Qu’en pensez –vous ?
On peut le craindre. En effet on peut craindre que la télé et la vidéo ” à cette allure avalent ” le cinéma dans la mesure où elles sont moins chères. Même les bailleurs le disent ” puisque dans vos pays les salles se ferment, pourquoi faire des films si on ne peut pas les montrer dans les salles; donc laissez tomber ça et faites la vidéo”. C’est vrai, il faut craindre qu’à terme le cinéma ne meure. Mais à regarder l’histoire du cinéma, c’est un art qui a beaucoup évolué. Dans les années 1920, lorsque le son venait d’arriver au cinéma, ceux qui faisaient les films muets pensaient que le cinéma n’allait pas faire long feu. Mais la révolution sonore a continuer et aujourd’hui, il est inconcevable de faire un film muet. Dans les années 50, lorsque la télévision est arrivée également, les gens ont crié qu’elle allait tuer le cinéma. Mais aujourd’hui, c’est la télévision qui finance même le cinéma et fait la publicité du cinéma. Grâce à la télévision, on connait les stars. Lorsque les magnétoscopes sont arrivés, qu’est-ce qui n’a pas été dit ? “Oui, il y aura le replie du public, les gens vont désormais restés chez eux et n’auront plus envie de sortir, les salles ne seront plus des lieux d’attraction”. On a encore pensé que ça va baisser mais rien de tout ça !. Il y a eu plus de peur que de mal car aujourd’hui, il y a des films qui font des millions d’entrées de part le monde. La question est de savoir comment le cinéma va s’organiser pour sortit de cette crise. Et comme toute crise, elle peut vous tuer ou vous aider à grandir ! Dans le cas de l’être humain, dans sa crise d’adolescence, soit elle prend une mauvaise direction parce qu’elle a mal vécu la crise d’adolescence soit elle s’en sort pour ne laisser que des souvenirs lointains. Je pense que le cinéma peut se toujours se rattraper et rester vivant parce qu’il reste jusqu’à ce jour, l’un des médiums qui nous fait le plus rêver. En plus il a une exigence de qualité qui fait la différence avec la vidéo ou la télé. Aussi, le cinéma sur 35mm se conserve plus longtemps que la vidéo

Quelle est la différence entre les films de 35 mm et ceux de 16 ou de 8mm

Si vous voulez, c’est comme par exemple les photos qu’on faisait avant. Il y a la pellicule et l’appareil photo. La pellicule se mettait dans l’appareil photo. Quand on finit de faire la photo, on va dans les laboratoires pour développer les images. Voilà ! le cinéma est comme ça.
On utilise aussi la pellicule dans le cinéma et selon sa taille, on parle de 35, de 16 ou de 8mm. Mais il y a longtemps qu’on utilise plus le 8 mm. Le 16mm, rarement. Le 35 mm est encore meilleur. Quand vous êtes dans la salle, l’écran est large, la couleur est jolie et la conservation peut durer près de 100 ans sans dégradation de la couleur. C’est comme une photo prise aujourd’hui en numérique, c’est bien mais les couleurs sont vite délavées. C’est aussi la même chose pour le cinéma. Quand vous tournez avec une pellicule de 16mm, c’est joli à voir la télévision mais dès que vous projetez le même film à l’écran d’une salle de cinéma, le film perd sa qualité d’images. C’est pourquoi nous disons que le 35mm a une exigence de qualité.

Votre appréciation Mr Yaméogo par rapport aux salles de cinéma qui se ferment au Burkina

Effectivement, la fermeture des salles donne un pincement au cœur à toute personne qui côtoie les arts. En tant qu’acteur principal, je pense que c’est une catastrophe. Heureusement, que les autorités politiques ont pris des gardes fous pour régler momentanément le problème. Le souhait était que les cinéastes s’organisent pour récupérer les salles parce que l’Etat s’est désengagé d’un certain nombre de domaines. Comme vous l’avez si bien dit au début de cet entretien, il y a des réalisateurs qui se sont installés à leur propre compte. On pourrait dire qu’ils sont devenus aussi des opérateurs économiques et qui peuvent récupérer maintenant ces salles.

Mais il semble qu’il y a eu une tentative de rachat des salles et la gestion n’a pas du tout fonctionné.
C’est vrai ! C’est l’Association des Réalisateurs et Producteurs Africains. Cette Association a essayé de gérer les salles et ça n’a pas marché. Vous voyez, le problème des salles est un phénomène qui touche les grandes villes. Il y a un problème de l’urbanisation. La ville de Ouagadougou comptait dans le temps environ 300 à 500 000 habitants et toutes les salles étaient concentrées au cœur de la capitale. Aujourd’hui, avec l’extension de la ville, les habitants se sont éloignés du centre de la ville; donc des salles de cinéma. Les cinéphiles sont si éloignés des salles que personne ne pense à faire des déplacements. Néanmoins, des alternatives peuvent être trouvées.
Prenez le ciné “OUBRI” par exemple qui est cœur de la ville. Pour que le ciné “OUBRI” marche, on ne peut plus compter sur les gens qui viendront à 20h à cause de l’éloignement. Il faut plutôt compter sur les gens du marché qui, eux, sont à côté pendant la journée. Et pour que ces commerçants fréquentent la salle “OUBRI” dans la journée, il faut qu’elle soit couverte. Si c’est fait comme ça, il y aura même des fonctionnaires qui viendront suivre des films en attendant la reprise du travail à 15h.

Si cela ne peut être fait, il faut penser à rapprocher les salles des populations, ça pouvait être un début de solution. Dans le contexte actuel, même une salle rapprochée des populations ne peut être viable quant elle est toute seule et qu’elle fait une offre unique. Aujourd’hui le public a changé parce que ses goûts ont aussi changé. De ce côté, on peut dire que la télévision a réussi parce que l’offre familial, avec le bouquet CANAL SAT est très alléchant; En effet, au sein d’une famille, on peut avoir entre 6,7,10 ou 20 chaines. C’est pourquoi nous disons que l’offre domestique est très intéressante par rapport au cinéma qui nous offre et nous impose seulement qu’un film.

Aussi, à l’image des salles européennes, il faut que nous évoluions aussi un jour vers des salles multiplexes (avec plusieurs salles) où chacun pourra trouver son compte dès qu’il se rend au cinéma. Aujourd’hui même, les salles classiques (avec des places Indiana) ne répondent plus parce que tout le monde préfèrent aller au Ciné Burkina ou au Nerwaya qui offre un minimum de confort.

Vous êtes dans le cinéma et vous savez combien il est difficile aujourd’hui de convaincre un opérateur économique à investir dans le cinéma. Selon vous, comment arriver à intéresser la classe d’affaire au cinéma ?
Les opérateurs économiques ne pas tous des mécènes. Ils ne viendront pas au cinéma que lorsqu’ils auront un intérêt. Par définition, un opérateur, c’est quelqu’un qui va quelque part parce qu’il peut tirer profit. Si nous arrivons à faire en sorte que le cinéma soit rentable, on n’aura pas besoin de les appeler, ils vont rentrer. Maintenant comment rentabiliser le cinéma ? la question est là. Nous avons tantôt parlé des salles. Il y a un autre fléau qui est là: la piraterie.

Est-ce que la piraterie ne profite souvent pas au réalisateur, donc expressément voulue par ces derniers pour vendre massivement leurs œuvres. Souvent on a comme l’impression qu’on veut une chose et son contraire.

Non ! Pas du tout. Nous avons déjà entendu ce discours. Effectivement, il y a eu des réalisateurs qui ont fait des suggestions. Dupliquer son film au Nigéria et revenir le vendre moins cher ici. Mais ceci n’est même pas de la piraterie. Normalement le réalisateur qui veut passer par ce procédé informe d’abord le BBDA. D’ailleurs, je doute fort qu’il y ait des réalisateurs qui le fassent. J’en connais qui voulait faire comme ça, mais ça n’a pas beaucoup marché. Il a laissé tomber.

Vous voyez vos films aux mains de garçonnets dans les bars et autres débits de boissons mais vous ne les inquiétez pas. Pourquoi ? N’est-ce pas un silence complice.
Il y a eu des gens qui ont intenté des actions. Le problème, c’est qu’il y a une fuite même au niveau du cinéma. Avant même que le film ne passe dans les salles, le DVD circule déjà de main en main dans les rue sans qu’on ne sache qui est à l’origine. La piraterie marche parce qu’il y a un vide; il n’y a rien d’officiel. Pour vous montrer la complexité du problème, je vous prend un exemple. J’ai reçu la visite de quelqu’un qui est venu d’Allemagne et qui voulait acheter la collection complète de la série “QUAND LES ELEPHANTS SE BATTENT”. J’ai appelé Abdoulaye DAO qui lui a gravé une copie à 35 000 frs. Alors notre client, une fois en Allemagne peut faire la copie et la distribuer à qui il voudra. Qui pourra le contraindre ?

Je voudrai sincèrement saluer l’action du public car notre cinéma est ce qu’il est. En tant que technicien, je suis souvent gêné de voir certains films parce que techniquement, ils sont mal faits. A l’inverse, quand je vois l’engouement avec lequel les cinéphiles se bousculent pour voir les films, je me dis qu’ils méritent d’être encouragés. Dès lors qu’il s’agit d’un film burkinabé, le public est là et ça fait chaud au cœur. C’est pourquoi, nous avons le devoir d’élever le niveau qualitatif de nos films pour toujours mériter la confiance du public.

Pour ce qui est des responsables du cinéma, je dirai que tous nos regards sont tournés vers eux. Ils sont comme des pères de famille et à ce titre, ils font ce qu’ils peuvent pour le cinéma. Ils viennent justement d’acquérir du matériel de haute définition qu’ils ont mis à la disposition des cinéastes. Je crois que jusque-là, ça va; mais ils peuvent encore mieux faire parce que les subventions annuelles pour les films sont encore très peu malgré les 50 millions de francs dont bénéficient les cinéastes burkinabé.

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