Education : A propos du système éducatif burkinabè

Education : A propos du système éducatif burkinabè

Prosper KOMPAORE est un homme de culture très connu pour sa passion pour le théâtre. Mais il est également enseignant à l’Université de Ouagadougou. Nous sommes donc en face d’un homme bien averti des questions du système éducation et bien placé pour nous dévoiler les difficultés sur le campus aussi bien pour les enseignants que pour les étudiants.

Artistebf (Art) : Mr Kompaoré, quel est aujourd’hui votre regard critique sur l’Enseignement supérieur d’une manière générale ?
P.K : Je crois que l’enseignement supérieur connait une évolution qui est en relation avec l’évolution générale du système éducatif dans notre pays tant du point de vue qualité que quantité. Il y a une tentative et des efforts d’adaptation de cet enseignement aux nécessités et aux besoins de notre société. Mais Compte tenu du développement démographique et au regard de l’évolution du taux de scolarisation, on atteint une situation où l’université a de plus en plus des difficultés à répondre à la demande. Ceci étant, j’observe que l’offre en enseignement supérieur aussi bien du public que du privé s’élargit, se diversifie de jour en jour et permet aujourd’hui aux jeunes qui voudraient se former dans pratiquement n’importe quel domaine de pouvoir le faire sur place ;. Ce qui n’était pas le cas, il y a 20 ou 30 ans où il fallait sortir du territoire national.



Il y a eu évidemment l’avènement des universités nationales aux alentours des années 70 – 80 où progressivement, chaque pays a eu tendance à instituer sa propre université ; ceci justement pour faire face à l’instabilité chronique des établissements d’enseignement supérieur à vocation régionales et qui étaient essentiellement basés au Sénégal et en Côte d’Ivoire. Mais les grèves et un certain nombre d’instabilités sociaux politiques ont fait que la formation de nos étudiants était hypothéquée. C’est ce qui a justifié un peu ce repli au niveau national avec tout ce que cela comporte comme avantage et inconvénient. Avant, quand on allait à Dakar ou à Abidjan, c’était un creuset où la jeunesse africaine apprenait à se connaitre et à avoir une vision panafricaniste du développement. Evidemment, par la force des choses, les gens se sont repliés sur leurs espaces nationaux. Maintenant, la situation a évolué parce que je constate qu’il y a une certaine circulation des étudiants d’un pays à l’autre selon les disciplines et les pôles d’excellence d’une université à l’autre.

A l’université de Ouagadougou, dans certaines disciplines, vous n’avez pas mal d’étudiants venus de différents pays qui se sont inscrits. Il en est de même dans certains instituts supérieurs. Il y a donc comme une sorte de compensation par la circulation interne. Évidemment, cela n’est pas sans poser d’énormes problèmes de ressources matérielles et financières pour nos économies nationales. Une université coûte chère aussi bien du point de vue infrastructure que du fonctionnement. Il faut du personnel, il faut des ressources et il faut des équipements. Souvent beaucoup d’universités n’existent que de nom parce qu’elles ne disposent pas de toutes les infrastructures et de tous les équipements souhaitables pour permettre aux étudiants d’avoir une formation de haut niveau. C’est pourquoi dans certains cas, les gens sont obligés de compléter leur formation dans des structures un peu mieux équipées. Ce que j’observe, c’est qu’au niveau des étudiants eux-mêmes, il y a un état d’esprit qui est un peu différent de celui que nous avions quand nous étions étudiants. J’ai le sentiment qu’aujourd’hui, de plus en plus, les étudiants font les études par défaut parce qu’en fait, leur préoccupation principale étant de trouver un emploi rémunéré.



Cela veut dire que le temps consacré aux études est beaucoup limité du fait qu’ils sont à l’affût des opportunités de concours. Cela se ressent aussi par l’investissement personnel consacré à leurs travaux individuels. C’est vrai, l’étudiant présente une situation de précarité, une situation qui ne lui permet pas de rester longtemps sur les bancs pour ne pas devenir comme on le dit, des étudiants « carriéristes ».

Art : Nous ne vous coupons pas ! Mais aujourd’hui, quand vous arrivez au campus et que vous interrogez les étudiants, ils disent que ça ne va pas. Non seulement l’encadrement pédagogique n’est pas tout à fait ça ; mais les étudiants se demandent parfois si c’est le professeur titulaire même qui corrige leurs copies ; pour obtenir un directeur de mémoire (pour ceux qui sont en fin de cycle), c’est tout un problème. Autant de choses aujourd’hui, qui rebutent les parents et les étudiants lorsqu’il s’agit de s’inscrire à l’Université de Ouagadougou. Beaucoup d’étudiants disent-ils, s’inscrivent faute de mieux ; donc malgré eux. Qu’en pensez-vous ?
P.K : (Rires). Je pense qu’il ne faut pas donner trop de poids à certaines rumeurs à mon sens qui ne sont pas fondées même s’il y a des possibilités que dans certains cas le dysfonctionnement soit observé. Je crois sincèrement, objectivement, que tout enseignant digne de ce nom ne peut pas donner de notes sans avoir jeter un coup d’œil sur ce qui a été fait. Mais ce qui se passe, compte tenu des effectifs extrêmement pléthoriques, les enseignants ne peuvent pas assurer par eux –mêmes toutes les corrections. Il est donc prévu au niveau de l’université, la possibilité que des enseignants, lorsqu’ils ont un certain volume de travail, de faire appel à des moniteurs et qui aident l’enseignant dans les corrections. Mais toute copie qui reçoit une note a dû être lue avant d’être corrigée. A ce niveau-là, je crois que les enseignants ont une certaine conscience professionnelle. C’est vrai que l’encadrement académique des élèves est très difficile parce qu’il y a souvent des classes de 500 à 1000 étudiants.



Alors avec un tel effectif, il ne faut pas s’attendre qu’un seul enseignant puisse assurer l’encadrement personnalisé de chacun de ses étudiants. Nous sommes donc dans une situation d’absolue, incapacité et impossibilité d’encadrer de façon personnelle les étudiants. Mais ce n’est pas seulement le fait de l’Université de Ouagadougou. Ailleurs, c’est exactement la même réalité. (Rires ). Que vous alliez à Dakar, à Abidjan, à Paris ou à New York, vous avez toujours les effectifs comme ça, si bien que le système traditionnel dans lequel on s’intéressait individuellement aux gens, où on donnait des notes personnalisées tendent à disparaître au profit d’une plus grande responsabilisation des étudiants en tant que chercheurs. C’est vraiment tout l’enjeu du système LMD qui tend à donner aux étudiants un rôle prépondérant dans leur propre auto formation. Mais ce n’est pas l’idéal ; je pense que c’est simplement une adaptation à des réalités pour lesquelles on n’a pas de solutions objectives. Il faudrait fractionner certaines classes par 10 pour obtenir des formats d’enseignement optima. Aujourd’hui, on a tous les problèmes d’infrastructures et de places pour que les étudiants puissent s’installer. C’est vraiment terrible quand vous assistez à certains enseignements, j’en suis témoin au quotidien.



La moitié de la classe est parfois dehors et l’autre moitié est assise jusqu’au premier rang. C’est infernal, on n’a pas le choix ! (rires). Mais il faut faire avec. Les autorités font aussi ce qu’elles peuvent pour multiplier, élargir et agrandir les amphithéâtres malgré le flux annuel d’étudiant de plus en plus important. Je pense que c’est par la démultiplication des campus, des universités et des cités universitaires que l’on arrivera peut-être à résoudre le problème. Mais en même temps, il faudra démultiplier aussi les charges. Quand vous créez par exemple 10 universités, il faut que dans chacune d’elles, vous ayez des enseignants capables d’assurer les enseignements. Mais là, nous sommes encore loin du compte. Voilà… ! (rires).

Patrick COULIDIATI

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