Fespaco 2019 : Chloé Aïcha BORO, Etalon d’or du documentaire long métrage

Fespaco 2019 : Chloé Aïcha BORO, Etalon d’or du documentaire long métrage

Avant le ” Loup d’or de Balolé “, Chloé Aïcha Boro a réalisé deux longs-métrages documentaires : Farafin ko, tourné à Bobo-Dioulasso, a été co-réalisé avec Vincent Schmitt et Claude Leterrier. Il décrit la vie des habitants d’une cour et montre le vivre-ensemble à l’africaine. Diffusé en Espagne et en Italie, le film est également passé sur TV5Monde. Il a obtenu notamment le prix spécial du jury au festival Lumières d’Afrique et le prix du meilleur documentaire au festival du film africain de Toulouse ainsi qu’au Festival de films documentaires de Blitta (Togo). Autre long-métrage documentaire, France au revoir, le nouveau commerce triangulaire, traite du circuit du coton. Le film a remporté le prix du meilleur documentaire (décerné par l’OIF) au festival Vues d’Afrique de Montréal en 2017. Chloé Aïcha Boro est également romancière. Elle a publié ” Paroles d’orpheline ” (L’Harmattan) en 2009 et ” Notre djihad intérieur ” (Ed.La Bruyère) en 2018. Son goût pour la fiction l’a amenée également a esquisser le projet de long-métrage de fiction ” Président Baba ” qui lui a valu de remporter le concours de pitch de l’OIF lors du Fespaco 2019.

Chloé Aïcha BORO, Vous venez de décrocher l’étalon d’or du documentaire long métrage au Fespaco 2019. Alors que tout le monde s’indigne qu’au bout de cinquante ans d’existence le Fespaco n’ait toujours pas décerné d’étalon d’or à une femme, quel sentiment avez-vous sur la question ?
Merci de me donner l’occasion de réagir. Je suis très frustrée et même outrée de voir qu’on établit une verticalité entre le genre documentaire et le genre fictionnel. Cette verticalité qui n’a pas lieu d’être empêche en effet, au lendemain du cinquantenaire du Fespaco, de communiquer sur cette donnée essentielle : une femme vient de décrocher pour la première fois dans l’histoire du Fespaco et dans l’histoire du cinéma africain, un étalon d’or. Et je dis bien un étalon d’or ! Celui de la fiction n’est nullement supérieur à celui du documentaire. Certains journalistes ou même spécialistes du cinéma africains sont restés tellement obnubilés par un rapport de genre qui les faisait attendre un étalon d’or féminin, que quand il est arrivé, ils ont tout bêtement raté le coche, ils regardaient ailleurs parce qu’ils attendaient ailleurs, du côté de la fiction uniquement.

Pourtant il est enfin là le premier étalon d’or féminin, et il n’est absolument pas un sous étalon d’or parce qu’il est documentaire ! Il est vrai que c’est la première fois dans l’histoire du Fespaco que le genre documentaire est enfin hissé à cette place légitime, mis sur le même piédestal que la fiction, en se voyant décerner un étalon d’or d’argent et de bronze en long-métrage et un poulain en court métrage. Et je suis très fière que ce soit une femme qui ouvre le bal. Il est vraiment important que cet événement continental ne passe pas à la trappe, car ça été tout un combat pour que le Fespaco et le cinéma africain daigne concéder au genre documentaire, cette place légitime dans les distinctions. Ne pas reconnaître cet étalon d’or au même niveau que celui de la fiction revient à dire que le Fespaco a eu raison durant ces cinquante ans de laisser une place minimale au genre documentaire et cela n’est simplement pas concevable.

C’est donc votre film, ” Le loup d’or de Balolé ” qui s‘est vu décerner ce premier étalon d’or, de quoi parle le film ?
Le film se déroule dans une carrière de granit au coeur de la capitale burkinabé où près de 2.500 personnes, adultes et enfants, cassent des cailloux à mains nues dans des conditions dantesques, et en marge d’une société qui refuse de les voir. Le film a failli avoir comme titre le secret d’une ville car énormément de gens ignorent l’existence de cette carrière qui de fait, est entourée par des murs de bureaux étatiques et l’entrée est masquée par des monticules de cailloux qui en font, un lieu isolé, une sorte de ville dans la ville. C’est un hors champ social que j’ai découvert vraiment par hasard, lors du tournage de mon précédent film. Je suis restée le souffle coupé face à ce trou béant qui s’étendaient devant ma vue. En tant que cinéaste, je ne pouvais pas passer mon chemin comme si de rien n’était. Le côté fourmilière humaine des gens qui travaillent à la chaîne, les fumeroles dégagées par les pneus qu’ils brûlent à longueur de temps pour fragiliser la roche afin de mieux la concasser, font que l’endroit a cinématographiquement un potentiel incroyablement singulier. J’avais clairement l’impression d’une sorte de faille spatio-temporelle.

Crédit Image : Queen Maafa

A Balolé, on est vraiment ailleurs et à une autre époque. On a l’impression d’être en Egypte du temps de la construction des pyramides. J’ai d’abord voulu traiter le trou comme un personnage à part entière du film, traiter le trou comme une sorte de monstre spatial qui engloutit tout, qui engloutit le labeur des gens qui y sont, qui engloutit leur vie et qui engloutit jusqu’à la reconnaissance de leur existence. Et puis, en restant avec les casseurs, très vite des personnages très forts se sont détachés, à travers leur combat et m’ont donné le fil de l’histoire. Il faut savoir que l’insurrection burkinabé de 2014 est passée aussi par Balolé et a soufflé sur les esprits un vent d’émancipation et d’espoir. Une certaine audace… Depuis, les mineurs se sont mis à envisager un avenir meilleur en se libérant du joug des intermédiaires pour vendre directement le fruit de leur travail. Le film est une plongée dans la vie de ces mineurs, dans la tendresse inattendue autant que dans la profondeur d’âme et de réflexion dont ils font preuve. L’écrivain Sylvain Tesson dans une interview disait écrire sur les ” Napoléon du minuscule “. Il y a quelque chose de ça dans ce film. Ce sont des petits combats à hauteur de petites gens mais qui ont la beauté et la force d’une résilience qui force le respect car non seulement ils sont debout là où plus d’un se seraient couchés, ils ont en plus la tendresse entre eux, et la banane en permanence alors qu’ils se font toujours rattraper par leur condition de vie. Le film n’est pas du tout misérabiliste car ce sont des gens vraiment debout que j’ai rencontrés.

Source : http://www.imagesfrancophones.org

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