Promotion des Langues Nationales : mission difficile, mais pas impossible

Promotion des Langues Nationales : mission difficile, mais pas impossible

Né de la volonté du gouvernement de la transition dans sa quête permanente pour la souveraineté nationale, le Secrétariat Permanent pour la promotion des Langues nationales a été créé en 2019 avec pour objectif, de coordonner, suivre et mettre en œuvre la politique nationale en matière d’alphabétisation. Placé sous la tutelle du Ministère de l’Education Nationale,  de l’Alphabétisation et la promotion des langues nationales, la structure est dirigée depuis un an par Dr Awa 2ème Jumelle TIENDREBEOGO née SAWADOGO. A la date de notre entretien le 6 septembre 2024, l’Enseignante chercheuse en langues nationales venait de boucler sa première année de service au Secrétariat Permanent des Langues dont elle a désormais la charge. Plutôt que de lui demander de dresser un bilan de sa première année d’exercice, nous avons voulu comprendre comment elle mène ce combat contre l’analphabétisme  au Burkina.

Malgré le retrait de certains partenaires dans ce domaine telle que  l’Œuvre de la Coopération Suisse au Développement (OSEO) et la fermeture des unités d’imprimerie de l’ex-Institut National d’Alphabétisation (INA) et celle de l’ex-Institut Pédagogique du Burkina, Dr Awa TIENDRÉBÉOGO est confiante et rassurante. C’est du moins ce que nous lisons en filigrane à travers l’aisance et l’éloquence qu’elle affiche durant notre entretien.

Lire aussi : Enjeux et défis du secrétariat Permanent des Langues Nationales

Notre invitée qui définit la langue comme étant un puissant levier de développement, un moyen de prévention et de règlement de conflits, est aussi auteure d’un ouvrage publié en huit langues  nationales intitulé  » ….

C’est donc avec une invitée bien trempée des questions linguistiques que nous vous proposons de découvrir cette semaine à travers une mission spécifique que nous qualifions de “Mission difficile mais  pas impossible”. Comment compte-elle concrètement réussir cette  mission ? C’est l’objet de notre entretien. Mais avant, elle nous fait une brève présentation de son service.

Je suis Dr Awa 2ème Jumelle TIENDREBEOGO née SAWADOGO. Je suis maître de Conférences en linguistique, à l’Université Joseph Ki-Zerbo, ancienne cheffe du département de linguistique aujourd’hui département des sciences du langage,  Secrétaire Permanente de la Promotion des Langues Nationales.

Pouvez-vous nous présenter votre structure ?

 Le secrétariat  permanent de la promotion des langues nationales comprend :

  • Les services du secrétariat permanent
  • le département ÉTUDES ET CAPITALISATION et
  • le département AMÉNAGEMENT LINGUISTIQUE.

Les services du secrétariat permanent sont :

  • le secrétariat particulier
  • le service administratif et financier

Chaque département comprend  deux services.

Le département ÉTUDES ET CAPITALISATION abrite

  • le service des études et  de la planification puis
  • le service de la capitalisation.

Le département aménagement linguistique comporte

  • le service de la valorisation des langues nationales, et
  • le service de l’instrumentation des langues nationales

 Combien d’années êtes vous à ce poste ?

Je viens de boucler ma première  année dans cette fonction. J’ai été nommée au Conseil des ministres du 6 septembre 2023 et installée dans mes fonctions le 14 de ce même mois.

Histoire de l’alphabétisation

Dr Awa 2ème Jumelle TIENDREBEOGO née SAWADOGO

Avant l’INA dont vous faites allusion, il y a eu des amorces de politiques de développement des langues depuis des années 1961. Il y a eu d’abord l’école rurale  qui s’est muée en Formation des Jeunes Agriculteurs (FJA). Ensuite, la méthode DAMIBA qui a consisté à introduire des langues nationales à titre expérimental dans quelques écoles de 1979 à 1984.

Le BURKINA FASO a connu beaucoup de programmes d’alphabétisation. Et pendant la  Révolution, nous avons expérimenté l’opération “ZANU” , L’ALPHA COMMANDO et beaucoup d’autres choses qui faisaient que nos langues nationales étaient en train  d’émerger. Puis, vint l’expérimentation de l’éducation bilingue formule OSEO/MENA conduite par l’œuvre Suisse d’Entraide Ouvrière de 1994 à  2007. La pratique jugée concluante, a été rétrocédée à l’Etat pour généralisation, généralisation toujours attendue depuis 2008.

Mais comme vous savez, la constitution est la première loi du pays. Et jusqu’en 2019, une loi était toujours attendue pour préciser les conditions d’utilisation des langues nationales au Burkina Faso. Il a fallu attendre 2019 pour que la loi  033 voit le jour.  C’est ainsi que le SP/PLN a été créé et a d’élaboré une politique linguistique, une stratégie de sa mise en œuvre et un PATG pour  la promotion des langues burkinabè. Quelques années plus tard, le Conseil des ministres du 06 décembre 2023 a enfin évoqué ce que nous attendions depuis des années; c’est à dire,  l’’officialisation des langues nationales.  Et cette décision a été adoptée par l’Assemblée Législative de la Transition (ALT) le 30 décembre 2023 et promulguée en janvier 2024. Donc vous voyez qu’il y a eu vraiment du cheminement.

Pensez-vous que nos responsables politiques ont commis une erreur en privilégiant les langues étrangères au détriment de nos langues nationales ?

Sans jugement de valeur, il faut admettre que ce n’est pas réellement une force que d’abandonner autant de richesse linguistique au profit d’une langue étrangère minoritaire et d’accessibilité difficile. On ne peut pas s’adresser à une minorité pour convaincre une majorité et on ne peut pas gouverner avec juste une élite pour espérer un développement. Vous voyez que le fait de conférer à la langue française, le statut de langue officielle avec tous les prestiges qui vont avec crée un hiatus, un écart entre gouvernés et gouvernants. A mon avis, c’est une politique élitiste très discriminatoire.

50 ans après les indépendances, on a comme l’impression que c’est 50 ans de perdu en matière d’alphabétisation surtout avec l’abandon de l’Institut National d’Alphabétisation (INA).

Tout est question de politique et de volonté politique. Vous savez que la question de politique linguistique relève des politiques publiques et les politiques publiques peuvent choisir de faire des langues ce qu’elles veulent. Pourquoi s’adresser aux concitoyens dans leurs langues seulement lorsqu’on a besoin de leur caution électorale ? Pourquoi ne pas écrire ou traduire les projets de société, les programmes politiques dans les langues du pays ? Mais pour quels lecteurs si tout le monde aspire à la seule langue écrite dite savante, de pouvoir, de savoir et de l’avoir ?  Et comment assurer une alphabétisation conscientisante au sens de Paolo Freire, une alphabétisation fonctionnelle, utile à la base assez large de la pyramide de la population si l’on refuse d’utiliser les langues-cultures assez maitrisées mais réprouvées ?  Comment prêcher ainsi la négation de notre identité par l’imitation servile de l’autre et vouloir amorcer le développement ?

Et pourtant dans les années 1990, il existait déjà un institut chargé de l’alphabétisation dans les différentes langues nationales. Qu’en est-il ? 

Justement, je pense que le train est en marche et c’est bien heureux. La constitution du Burkina Faso révisée à plusieurs reprises n’avait pas fait la part belle aux langues nationales jusqu’en 2023. Ce qui fait que les langues nationales sont confinées à la communication orale, à la communication d’usage courant entre les concitoyens de mêmes communautés ethno linguistiques.  L’existence de l’INA ne fait pas de nos langues des langues de travail par exemple.

Leur statut n’était pas reluisant et cela constituait un frein à leur promotion.

Patrick COULIDIATI

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