« Relancer l'économie française et refonder nos relations avec l'Afrique »

« Relancer l'économie française et refonder nos relations avec l'Afrique »

TRIBUNE. Épreuve commune, la crise du Covid-19 devrait conduire la France et l’Afrique à faire reposer leurs relations économiques sur de nouvelles bases.

La crise économique mondiale déclenchée par la pandémie est une crise du commerce international qui révèle la dépendance de l’Europe à des chaînes d’approvisionnement vulnérables, trop centrées sur la Chine, trop pauvres en emplois qualifiés et incompatibles avec nos objectifs climatiques. Simultanément, en Afrique, la baisse des revenus d’exportation appauvrit les États et menace le quotidien de millions de travailleurs. Alors que le continent ne représente que 5 % du commerce international, et à peine 3,5 % des exportations françaises, l’émergence africaine est fragilisée par une insertion insuffisante ou inégalitaire dans les échanges internationaux.

En Europe comme en Afrique, le risque est grand de tirer les mauvaises leçons de cette crise, en cédant aux sirènes du repli ou du localisme. Ni l’Europe ni l’Afrique ne peuvent vivre dans des forteresses, selon des visées autarciques d’un autre âge. Ni l’Europe ni l’Afrique ne relèveront les défis écologiques par une « décroissance » illusoire et une restriction des échanges.

Promouvoir des échanges accrus et de meilleure qualité

Tout au contraire, c’est par l’échange commercial que les grands émergents ont réussi leur décollage économique, et, sur la longue durée, c’est par l’ouverture que nous pacifions les relations entre les peuples et relevons les défis communs. L’enjeu n’est donc pas de commercer moins, mais de commercer mieux, en conditionnant nos accords de libre-échange à des critères environnementaux, comme le président Emmanuel Macron vient de le rappeler. Nous lançons donc un appel pour que la relance économique en France et en Europe permette de refonder les relations économiques avec l’Afrique dans un but de développement écologique, ouvert et solidaire, créateur de valeur partagée. C’est un des enjeux de la priorité africaine de la diplomatie française, choix stratégique clairement énoncé en 2017, dicté par l’histoire et la démographie, alors qu’en 2050 un tiers de la population mondiale sera africain.

Prendre pleinement l’Afrique en compte

La crise actuelle confirme la pertinence de cette orientation et doit permettre d’y faire mieux adhérer nos compatriotes. L’Afrique est en effet à l’avant-poste des défis sanitaires et épidémiologiques. Elle atteste de sa capacité de résilience en multipliant les initiatives adaptées aux contextes locaux. Au Sénégal par exemple, les filières textiles ont su produire des masques réutilisables à partir de savoir-faire artisanaux et des étudiants de l’École supérieure polytechnique de Dakar ont développé un robot multitâche pour apporter, sans contact, médicaments ou repas aux malades confinés. Au Nigeria, une société a construit des drones autonomes livrant des fournitures médicales dans les établissements de santé… Sans l’Afrique, nous ne relèverons jamais le défi des « biens communs » mondiaux. Le capital écologique de l’Afrique est considérable, mais il est menacé, et il revient aux Africains de tirer le meilleur parti de leurs ressources sans sacrifier leur contribution à la biodiversité planétaire. De même, les objectifs climatiques mondiaux ne seront jamais tenables si le développement économique africain n’est pas fortement décarboné.

En même temps que les investissements, mobiliser les territoires

Il en résulte des opportunités considérables, pour des investissements communs en Afrique et en Europe, afin de viabiliser les techniques et les énergies propres. Mais il ne s’agit pas seulement de mobiliser de grands bailleurs internationaux, publics ou privés. La ville et les territoires durables concernent au premier chef les acteurs territoriaux qui doivent se rassembler dans de nouveaux partenariats en Afrique afin d’apporter des solutions concrètes, ici et là-bas, aux défis de l’adaptation et de l’atténuation du réchauffement climatique. La région des Hauts-de-France a par exemple lancé un appel à projets « Acteurs de l’énergie pour l’Afrique » permettant de cofinancer l’alimentation des bâtiments publics en énergie renouvelable ou la formation professionnelle à la maintenance des équipements et à la gestion des ressources.

Densifier les relations avec l’Afrique

Pour que la relance économique soit compatible avec nos objectifs de transition écologique, il faut donc conjointement relocaliser et réorienter nos échanges commerciaux, en densifiant les relations entre l’Europe et l’Afrique. Cette transformation appelle des financements importants : nous proposons donc d’identifier, dans le plan de relance européen et le « green deal », des mesures à l’appui des projets renforçant les liens économiques euro-africains, comme les investissements partagés en Europe et en Afrique, ici et là-bas.

Une relance efficace appelle également de nouvelles méthodes, en impliquant les acteurs économiques, les sociétés civiles, dont les diasporas, et les collectivités territoriales. L’échange commercial et l’investissement doivent devenir des leviers de coopération et de développement durable, mêlant l’économie, l’environnement et le social au sens large, au plus près des territoires.

Le développement de l’agroécologie fournit un exemple emblématique. Pour la filière du cacao, le confinement pendant la période de Pâques a fortement affecté les artisans et industriels chocolatiers en France tout en diminuant le cours des matières premières aux dépens de la Côte d’Ivoire. La sortie de crise fournit une occasion majeure pour réorganiser les filières agroécologiques et accroître les retombées territoriales du commerce du cacao.

Identifier les spécialités des territoires

De même une agroécologie à l’appui des entreprises et les communautés locales doit fonder le projet de la « grande muraille verte », cette ceinture de végétation multi-espèces devant traverser le Sahel d’ouest en est, promue par le Conseil présidentiel pour l’Afrique et l’Agence française de développement. Il faut embarquer les collectivités et les communautés locales pour garantir la sélection et le suivi des projets, pour créer de l’emploi dans le secteur informel, pour orienter les transferts de fonds des diasporas vers l’investissement durable et pour que la jeunesse africaine exploite tout le potentiel du micro-financement, notamment numérique. Pour que l’Afrique (re)devienne un horizon de nos petites et moyennes entreprises, il faut identifier les spécialisations de nos territoires dans des relations de pair à pair en activant tous les leviers : depuis l’initiative « Choose Africa » qui doit lever les freins à l’accès aux financements bancaires par les entrepreneurs africains, jusqu’au renouvellement des compagnonnages des chambres consulaires françaises et africaines.

Migrations circulaires

Nos politiques régaliennes doivent favoriser les migrations circulaires afin que le passage par l’Europe assure la montée en compétence des jeunes professionnels, soit un accélérateur de développement et change durablement les regards sur les migrations. Les nouvelles générations d’élus locaux doivent être rapidement initiées aux enjeux des relations à l’Afrique, par exemple en systématisant des tandems « préfet-ambassadeur » franco-africains chargés de connecter leurs territoires, et en instituant un espace de communication directe pour les maires français et africains : « le Skype des maires ».

Dans cette relance des échanges commerciaux, ancrée dans les territoires, la France se doit d’être exemplaire. Elle pourra ainsi congédier les derniers spectres de la « Françafrique » qui abîment nos liens de cœur à l’Afrique subsaharienne. Et c’est en étant au plus vite à l’initiative, et en faisant partager ce défi par nos concitoyens, que nous pourrons entraîner nos partenaires européens.

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