Cinquantenaire du Fespaco : Aujourd’hui, Edouard OUEDRAOGO

Cinquantenaire du Fespaco : Aujourd’hui, Edouard OUEDRAOGO

” Le Fespaco, un argument touristique et culturel…”

Nouvelle année, nouveaux défis ! ArtistesBF  souhaite à toutes et à tous une bonne année 2019. Santé, paix et  cohésion sociale au Burkina Faso sont entre autres les vœux que nous formulons pour vous et pour l’ensemble des Burkinabè. C’est en cela que notre pays pourra relever véritablement les défis et être au rendez-vous de la célébration du cinquantenaire du Fespaco, un évènement que notre pays  prépare activement. En attendant la tenue de cette grande messe du 7ème Art en février prochain dans la capitale Burkinabè, nous vous emmenons en immersion dans les coulisses du premier quotidien privé d’information, la doyenne de la presse écrite au Burkina qui a ouvert ses colonnes à la biennale de l’Image et su Son. Il s’agit bien entendu de l’observateur Paalga. Son Directeur de Publication Mr Edouard OUEDRAOGO nous a fait d’étonnantes révélations …

Edouard OUEDRAOGO : Directeur de publication de l’Observateur Paalga

Merci pour votre question et pour l’occasion que vous me donnez d’évoquer mes souvenirs sur ce prestigieux festival. A vrai dire, c’est dans les années 70 que j’ai participé  aux activités de ce FESPACO qui ne s’appelait pas encore FESPACO. Je crois que c’était encore la Semaine Nationale du Cinéma Africaine ou bien la Semaine Africaine du Cinéma. En tout cas, cela ne s’était pas encore formalisé en tant que FESPACO. Je crois que le premier festival dont je me souvienne c’était dans les années 72 ou 73 où la séance inaugurale a eu lieu au ciné Oubri avec le film “Mandat” de Sembène Ousmane. Globalement ce que je peux dire, c’est que le Festival, sur le plan institutionnel, a joué un très grand rôle dans le développement de l’activité cinématographique au niveau de notre pays.  C’est sur la lancée de ce festival que les salles de cinéma ont été nationalisées dans les années 70. Il y avait des problèmes fiscaux, des problèmes de prix … mais disons que c’est pour commencer à assoir la vocation cinématographique de notre pays qu’on a procédé dans les années 70 à la nationalisation des salles de cinéma. Les acteurs de cette épopée sont toujours là, à commencer par le général Bila ZAGRE qui était le ministre de l’information, des postes et télécommunications. C’est sous son mandat qu’est intervenue la nationalisation des salles de cinéma. Ensuite s’en est suivi le baptême de ces salles en noms authentiques. Sinon, il y avait à l’époque deux salles de cinéma. Il y avait le ciné NADER et le ciné OLYMPIA. Le ciné “Nader”, c’est la salle qui se trouvait à côté du Commissariat central de Ouagadougou et OLYMPIA (la deuxième salle) se trouvait à côté du marché.

Par contre à Bobo Dioulasso, il y avait jusqu’à quatre salles de cinéma. A Ouagadougou, il n’y avait que ces deux salles. Après la nationalisation des salles, le ciné “NADER”  prit le nom de “Ciné Oubri ” et le ciné OLYMPIA devint “Ciné Rialé”.

Une fois de plus sur la lancée du FESPACO, on en est venu à construire la salle climatisée qui existe aujourd’hui encore sous l’appellation de “Ciné Burkina”. Mais à l’époque de sa création, elle s’appelait “Ciné Volta” parce que justement, les festivaliers estimaient que les deux salles qui étaient à Ouagadougou, n’étaient pas suffisamment et professionnellement performantes pour restituer vraiment la qualité de leurs œuvres. Ils ont beaucoup insisté en disant “on est d’accord on est bien accueilli à Ouagadougou, les autorités s’investissent, le pays s’investit mais on pourrait faire davantage   pour que vraiment nos œuvres puissent être projetées dans les salles conformes à la vocation d’un festival comme celui de Ouagadougou”. C’est ainsi que le “Ciné Burkina” a été construit et aurait officiellement ouvert ses portes au public en 1976. Voilà en tout cas  un des bénéfices sur le plan institutionnel que nous avons tiré avec le FESPACO.

J’ai encore en souvenir quelques figures pionnières de ce Festival

Ce festival, est forcément parti de la quinzaine du cinéma africain et toutes les projections avaient été faites en 69 au centre culturel franco-voltaïque dont le directeur était Claude PRIEUX soutenu par monsieur MIFSUD, (Conseiller culturel de l’Ambassade de France).

Du côté voltaïque, il y a des personnalités comme Madame Alimata SALEMBERE, YONLI Réné Bernard et malheureusement une des chevilles ouvrières de cette semaine, c’était Feu François BASSOLET. C’était l’un de nos aînés, Directeur à l’époque du Service de l’Information ; c’est-à-dire, l’ancêtre des éditions Sidwaya.  C’est dans ce service qu’était logé la cinémathèque et c’est de là-bas également qu’on a tiré   les premières œuvres pour alimenter la première quinzaine du Cinéma.

A l’époque, il y avait certes de l’engouement mais pas comme aujourd’hui …

J’avoue qu’en 1969 je n’étais pas là. J’étais en France dans le cadre de mon cursus universitaire. Je n’étais pas là mais, on a quand même eu des échos dans le Carrefour Africain qui était le journal l’hebdomadaire gouvernemental de l’époque. Il y avait certes un engouement mais pas à la dimension de ce que nous connaissons aujourd’hui puisque le festival est né d’un club de cinéma. Ce club animé par  YONLI René Bernard et ses camarades se réunissait au centre culturel Franco-voltaïque qui avait une salle de projection dans laquelle étaient projetés les grands classiques  du cinéma français.  Evidemment, la projection était suivie de débats et des explications. Disons que le club était surtout un petit groupe d’intellectuels et de cinéphiles essentiellement composés d’étudiants et d’élèves. Donc, ils ont été les premiers acteurs et téléspectateurs de cette grande messe du cinéma dans notre pays. Mais à partir de 71-72, l’événement devient une manifestation publique avec l’implication de l’Etat voltaïque. A l’époque, l’organisation était évidemment ce qu’elle était. On faisait surtout appel aux jeunes filles des établissements publics comme le cours normal des jeunes filles de Ouagadougou pour faire office d’hôtesses d’accueil ; il fallait faire avec les moyens de bord.

“Le FESPACO a été et est aujourd’hui une des grandes identités remarquables de notre pays ..”

De l’Afrique, je ne peux pas l’affirmer ; mais parlons plutôt du Burkina. Et à ce titre, le FESPACO a été et est aujourd’hui une des grandes identités remarquables de notre pays. C’est un argument touristique, c’est un argument culturel. Disons grosso modo que pour l’image de notre pays, on ne pouvait pas faire mieux. Aujourd’hui encore, quand vous allez dans les pays comme les USA qui sont quand même historiquement assez loin du Burkina et que vous dites “Ouagadougou”, les gens pensent directement au FESPACO. Quand vous dites par exemple “Ouedraogo”, ils pensent directement à Idrissa Ouedraogo. En tout cas, cela a bien vendu la destination Haute Volta en son temps et le Burkina Faso aujourd’hui.

Il fallait produire des œuvres de belles factures selon les critères que je viens d’énoncer ; c’est à dire, la culture africaine, l’authenticité de notre personnalité etc…

Ce que je sais, c’est qu’en son temps, le festival de Ouagadougou, encourageait surtout des films militants, des films qui avaient pour vocation d’exalter la culture et la personnalité africaine. C’est la raison pour laquelle, il fallait vraiment que cela soit des films d’auteurs, qui ne se versent pas dans la facilité et qui sont tournés de préférence dans les langues du terroir pour beaucoup plus d’authenticité. Je veux dire que ce n’était pas forcément des films commerciaux. Le plus souvent d’ailleurs, les films commerciaux ne pesaient pas lourds aux yeux des membres du Jury par rapport aux films d’auteurs qui mettaient en valeur la personnalité africaine. Et les gens ne comprenaient pas cela. Mais le jury était assez exigeant parce qu’il tenait vraiment à ce qu’on produise des œuvres de belles factures selon les critères que je viens d’énoncer ; c’est à dire, la culture africaine, l’authenticité de notre personnalité etc…

Maintenant, est-ce que ce sont des films qui se vendent ? ça, c’est un autre problème. Ce qui m’emmène justement à me poser d’autres questions. Est-ce qu’aujourd’hui, la jeunesse est friande de ce genre de films, des films qui font réfléchir ? Est-ce que la tendance n’est pas justement de faire plutôt des films qui se vendent que des films qui sont souvent des films d’école ? des films qui s’adressent surtout à des spécialistes et qui ne font pas forcément le plein des salles de cinéma. Je m’interroge ! c’est une question qui pourrait faire l’objet de discussion dans les colloques. Je ne sais pas à quelles conclusions on est parvenu. Mais en tous les cas, disons que  ceux qui produisent et qui  veulent rentabiliser sont obligés d’aller  dans le genre films commerciaux qui se vendent et qui distraient.

“Il faut que nous soyons comme le festival de Cannes …”

Il faut faire les deux; c’est  à dire, réaliser des films d’auteurs et les films commerciaux. Il faut que nous soyons comme le festival de Cannes. Il y a du tout et on sait qu’historiquement et statistiquement, les films qui sont primés à Cannes ne sont pas souvent d’accès facile pour le cinéphile ou pour celui qui, le Week-end va avec sa petite amie ou son épouse pour se distraire. Les films qui passent et qui sont primés et qui ont la Palme d’or, le plus souvent déçoivent pour le commun des mortels. Je me rappelle du film d’un japonais.  Quand je suis allé le voir, je suis ressorti totalement bouleversé. Bien que je n’aie pas bien perçu le message que l’auteur a voulu faire passer, j’avoue tout de même que c’est un beau film, poétique, un film réussi sur le plan de la réalisation.

Je crois donc qu’il faut faire les deux ; c’est-à-dire à la fois des films qui se vendent et ceux qui font aussi réfléchir.  Il faut que nous ayons de grands réalisateurs qui vont nous amener à réfléchir, qui vont faire des œuvres inégalées et inégalables, qui vont traverser les générations. Et comme le cinéma nécessite de l’argent, il faut donc penser à faire des films commerciaux, des films qui permettent d’en produire d’autres. Mais la grande question aussi qui se pose, c’est l’avenir du grand écran ! Parce que déjà, les gens ne se bousculent plus pour aller au cinéma comme quand nous étions jeunes. Les week-ends, le ciné volta refusait du monde et souvent même pour être sûr d’en avoir et d’être certain de ne pas rater la projection de tel ou tel film, on envoyait les plus jeunes pour occuper les places. Les tickets d’entrée se vendaient même au marché noir ; mais tout ça, c’est fini ! Aujourd’hui, c’est à peine si les salles sont pleines au tiers et donc, il y a un problème …

J’ai peur pour l’avenir du grand écran car les nouveaux formats numériques lui livrent une concurrence impitoyable.

Il y a comme une rude concurrence des autres formats telles la vidéo, la télévision contre le cinéma, ; c’est plus facile en effet de rester dans son salon et de suivre un film. Il y a également le piratage car un film à peine sorti, se retrouve sur les réseaux sociaux et même sur votre petite tablette. Sur le plan économique donc, ces formats livrent une concurrence impitoyable au grand écran. Donc, tout cela m’emmène à justifier les doutes que j’ai pour le grand écran. On peut craindre, mais peut-être que cela offre aussi beaucoup d’opportunités pour le cinéma. Ce qui paraît aujourd’hui comme étant des facteurs de risques peuvent être même des opportunités à exploiter pour valoriser les œuvres cinématographiques. Mais tout de même, c’est la question de rentabilité qui pose problème. Il faut absolument rentabiliser les films. Or, les technologies aujourd’hui telles qu’elles se présentent sont plus axées sur la culture “du gratuit ” qui va toujours grandissant. On se pose toujours la question de savoir si ces supports publicitaires pourront générer suffisamment de recettes à même de désintéresser les cinéastes comme le fait le Bureau Burkinabè des droits d’Auteur pour les créateurs au prorata du nombre de passages de leurs œuvres sur les antennes de radio ? La question est là !

Ce cinquantenaire ne doit pas être et ne sera pas décevant

Ce cinquantenaire ne doit pas être et il ne le sera pas. Je crois que l’un des avantages comparatifs de notre pays, c’est quand même l’excellence que nous cultivons en matière d’organisation. Et s’agissant d’un FESPACO comme celui que nous allons vivre bientôt, nous allons redoubler d’ardeur pour que cette réputation ne soit pas démentie.  Plutôt qu’elle soit décuplée pour faire de la célébration de ce cinquantième anniversaire, une étape repère qui restera un exemple pour nous, mais aussi pour nos enfants et nos petits enfants et les générations à venir. Je crois qu’il faut qu’on y travaille tous.

Nous sommes en fin d’année, quels sont vos vœux pour les burkinabé ?

Mes vœux sont des vœux de bonheur, de prospérité, de santé.  Dans une conjoncture comme celle que nous vivons aujourd’hui, une conjoncture marquée par l’insécurité qui plombe actuellement notre pays, j’adresse des vœux de courage, surtout de patriotisme pour nos forces de défense et de sécurité et pour l’ensemble de la population qui doit comprendre que la lutte contre l’insécurité n’incombe pas seulement aux seules forces de défense et de sécurité.  Eux, ils sont techniquement formés pour aller à l’assaut de l’adversaire et de l’ennemi. Mais, ils doivent y aller avec nos bénédictions et notre participation active à travers les informations que nous devons contribuer à leur donner pour justement savoir où ils mettent les pieds et débusquer le moindre indice permettant de remonter jusqu’à ces terroristes qui ont décidé de se sanctuariser dans notre pays.

Que vouliez-vous que nous souhaitons ?

A mon âge, c’est souhaiter que je vive encore quelques temps et en bonne santé. Etre toujours intellectuellement, moralement et physiquement utile à soi-même et à son pays. Etre utile à soi-même parce que quand on est là et qu’on vit de manière végétative, on devient un poids pour sa famille et pour la société.

Courage à vous pour ce que vous faites parce que vous auriez pu utiliser l’énergie dont vous disposez pour vous investir ailleurs, vous orienter dans des voies beaucoup plus faciles et vivre plus aisément. Mais ce n’est pas la facilité qui va construire ce pays. Je sais ce que vaut l’Energie. Mais vous avez choisi une voie qui vous honore. En signe d’encouragement, je vous retourne le célèbre dicton tiré d’une œuvre de Victor Hugo ” AD AUGUSTA PER ANGUSTA ” qui veut dire “au sommet par la voie étroite”. En effet, pour aller au sommet, la voie n’est pas souvent facile d’accès en d’autres termes, la gloire ne s’acquiert pas facilement.

ArtistesBF

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