directeur général du BBDA, Balamine Ouattara

directeur général du BBDA, Balamine Ouattara

La piraterie des œuvres littéraires et artistiques fait encore des émules en Afrique et partout dans le monde. La situation s’empire avec l’avènement des nouvelles technologies. Comment est-ce que le Bureau burkinabè du droit d’auteur (BBDA) arrive-t-il à contrer le phénomène ? Qu’en est-il de son plan triennal de lutte pour freiner cette pratique  ? Voilà autant de préoccupations qui nous ont valu un entretien avec le directeur général du BBDA, Balamine Ouattara.

Sidwaya(S.) : Monsieur le Directeur, quelle acception avez-vous de la piraterie ?
Balamine Ouattara ( B.O.) : Je voudrais d’abord vous remercier d’être venus vers nous afin que nous puissions échanger sur cette question très préoccupante, très essentielle qu’est la piraterie. La piraterie a été souvent comprise comme étant le fait de dupliquer ou de faire des exemplaires des œuvres notamment de cassettes, de CD , de DVD de manière frauduleuse. La compréhension générale de la piraterie, c’est que lorsqu’on parle de la piraterie, c’est la reproduction d’une œuvre de l’esprit sans le consentement, à la fois de l’auteur lui-même ou de son mandataire notamment le Bureau burkinabè du droit d’auteur (BBDA).
Mais il faut comprendre que la piraterie est plus large que cela. Si je rentre dans les considérations d’ordre juridique , la loi 032 AN du 22 décembre 1999 portant sur la protection de la propriété littéraire artistique a donné le champ de ce qui est d’abord la contrefaçon en disant que si cette contrefaçon était à grande échelle et dans un but commercial, en ce moment nous sommes dans le domaine de la piraterie.
Dans beaucoup d’autres pays, vous verrez que la législation n’utilise qu’un terme unique qui est la piraterie. Alors dans le cadre de notre contexte, le délit de contrefaçon comme je l’ai dit, est réalisé lorsque toute édition écrite de composition musicale, de dessin, de peinture, etc. a été réalisée au mépris des lois et règlements en vigueur.
Ces lois et règlements organisent la sécurité des auteurs. Ensuite, notre texte dit également qu’il y a contrefaçon lorsque la reproduction, la traduction, l’adaptation, la représentation ou la diffusion par quelques moyens que ce soit d’une œuvre est faite toujours sans que les auteurs qui devraient autoriser ou la structure mandatée ne l’a pas autorisé.
Cela veut dire que ceux qui ont posé ces actes ne sont ni connus par les auteurs ni connus par la société des droits d’auteurs. L’on parle de piraterie lorsque la contrefaçon est à grande échelle. Ensuite, il y a la représentation ; celle qui s’assimile le plus à la contrefaçon est celle indirecte.
C’est lorsqu’une radio, une station de télévision, lorsqu’un night club se met à jouer, à exploiter les œuvres musicales par exemple sans qu’au préalable, il y ait eu un contrat entre cette radio et ses auteurs regroupés au sein d’un bureau qui est le bureau par exemple du droit d’auteurs et sans qu’il y ait au préalable un contrat signé entre ce bureau et cette radio.
Une autre forme de piraterie est l’adaptation. On peut prendre un texte littéraire et l’adapter en une scène de théâtre. Cela peut se faire mais celui qui l’adapte doit avoir l’autorisation des auteurs, lorsque cela n’est pas fait, on est dans une phase de contrefaçon qui peut être aussi une piraterie si elle est à grande échelle et dans un but commercial. L’importation et l’exportation des œuvres contrefaites sans l’autorisation des titulaires.
On est dans la phase de contrefaçon ou de piraterie lorsque vous devez payer la rémunération pour copie privée et que vous ne payez pas cette redevance. Avec les nouvelles technologies de l’information, nous avions énormément de matériels aujourd’hui qui permettent d’enregistrer le son et l’image. Avec cette nouvelle donne, le législateur a mis en place un système( la redevance) qui permet de compenser le manque à gagner que subissent les artistes

Il y a un intérêt à faire la différence entre le contrefaiseur et le pirate en ce sens qu’au terme de la loi, le contrefaiseur qui commet une infraction le fait à un degré inférieur. Il peut être puni de deux mois ou un an par exemple ou peut être tenu au payement d’une amende qui peut aller jusqu’à 300 000 F.
Mais le pirate, lui, peut être condamné à une peine privative de liberté qui va de deux mois à 3 ans et d’une amende qui peut aller de 500 0000 F à 5 000 000 F.
Ces différents modes d’exploitation sont connus du BBDA ; c’est la raison pour laquelle nous faisons des contrats ,nous percevons des redevances pour limiter le champ de la piraterie.

S. : Quels sont les modes opératoires les plus fréquents au Burkina ici ?
B.O. : On peut rencontrer en fait tous les modes d’exploitations des œuvres que j’ai tantôt décrits. Le mode sur lequel nous rencontrons peut-être beaucoup plus de difficulté, c’est la piraterie dans sa forme cachée, c’est-à-dire le mode d’exploitation par reproduction.
Une radio, une station de télé peut être facilement identifiée, ou encore un bar pour l’exploitation des œuvres musicales. Mais lorsque quelqu’un dans son anti-chambre a un appareil qui lui permet de dupliquer, de faire des exemplaires, il est inutile de pouvoir s’en rendre compte si vite. C’est ça qui fait un peu la complexité. Au niveau de la reproduction, pendant un bon bout de temps, l’essentiel des supports piratés était réalisé par l’effet de l’importation.
En 2003, le BBDA a signé un accord de partenariat avec la douane qui fait qu’aujourd’hui on a réussi à cerner un peu les frontières. Je ne dis pas que c’est total parce qu’il y a des gens qui arrivent à s’extirper ; mais l’importation ne se faisait plus comme par le passé. Cependant, on s’est rendu compte les gens ont changé de stratégies. Ils ont importé du matériel qui permet de dupliquer sur place et de constituer des réseaux comme le réseau que  nous avons démasqué hier (mardi 30 mars) par exemple.
Il faut cependant relever que la reproduction lorsqu’elle est faite légalement, permet à l’auteur d’avoir ce qu’on appelle des droits de reproduction mécanique. De manière générale à travers le monde ses dix dernières années, ils n’ont fait que chuter. Lorsque le pirate de son côté reproduit des quantités sans autorisation, sans payer des droits, l’artiste qui paye des frais de studio, des taxes, lui, perd.
Ajoutées à cela, les nouvelles technologies qui font qu’aujourd’hui il y a des moyens pour dupliquer, pour écouter la musique et les gens n’ont plus besoin de se surcharger avec les cassettes, avec les CD etc.
Un autre phénomène qui explique le fait qu’il y a la chute des droits de reproductions mécanique, c’est le fait qu’en réalité, les modes de consommation ont changé. Avec l’Internet, la consommation des œuvres de l’esprit en ligne a pris tellement d’importance que la maîtrise de la protection des œuvres même pose problème. S. : Comment se fait la gestion collective des droits d’auteurs et des droits voisins par le BBDA ?
B.O. : Le bureau burkinabè du droit d’auteur est ce qu’on appelle un organisme de gestion collective qui intervient dans un contexte africain. Le contexte est important parce que les bureaux de droits d’auteurs en Afrique diffèrent un peu dans leur forme et dans leur statut généralement des bureaux d’auteurs en Europe. En Europe, le droit d’auteur a commencé il y a très longtemps depuis le 17ème siècle, alors qu’en Afrique c’est dans les années d’indépendance sinon dans les années 80 pour la plupart. Le BBDA a été créé en 1985, alors donc le droit d’auteur est encore nouveau et sa gestion est encore nouvelle.
En Europe par exemple, on parle de spécialisation fonctionnelle ; cela veut dire qu’il y a différentes catégories, la musique, la littérature, le théâtre, les arts graphiques et plastiques, etc. Il existe une société pour gérer chaque catégorie. En Afrique et plus particulièrement au Burkina Faso, nous avons un seul bureau qui gère à la fois les droits de la musique, les droits du cinéma, les droits graphiques et plastiques.
Nous faisons partie des bureaux en Afrique qui arrivent à assumer pratiquement la plénitude des droits. Déjà au niveau des droits voisins, nous sommes parmi les trois premiers en Afrique qui gérons cette catégorie de droits. Les autres sont dans les droits d’auteurs et même à ce niveau ce n’est pas toutes les composantes de droits d’auteurs.
Nous avions pris pratiquement en charge toutes les composantes. Au niveau des droits voisins depuis 1999 nous appliquons une ordonnance. Aujourd’hui, nous gérons les droits voisins du sonore ; c’est très important de le signaler parce que ce sont ces droits voisins qui ont permis de gérer la copie privée.
Il n’y a que le Burkina, l’Algérie et l’Afrique du Sud qui gèrent ces trois catégories de droits. A l’heure où je vous parle, nous avons une émission du BBDA qui séjourne en France pour bénéficier de l’expérience d’une société française qui gère les droits voisins de l’audiovisuel. Nous comptons mettre en place cette gestion pour qu’elle soit opérationnelle d’ici le prochain FESPACO.
Je crois qu’en la matière, nous sommes le seul pays en Afrique à s’élancer dans la gestion des droits voisins de l’audiovisuel, ce qui va permettre de compléter totalement la gestion totale des droits voisins c’est-à-dire le sonore et l’audiovisuel. Au niveau du Burkina, nous avons quasiment mis en place la gestion des catégories, ce qui fait que le champ de la contrefaçon et de la piraterie se rétrécit au niveau du Burkina Faso.

S. : Avez-vous suffisamment les moyens pour accomplir cette tâche ?
B.O. : Nous ne travaillons pas seuls parce que le BBDA n’a que 64 agents sur l’ensemble du territoire national. Si nous devons travailler seul, ça allait entièrement difficile pour nous.
Nous faisions ce que les sociétés en France font ; ils ont souvent recours à des personnes, de manière contractuelle pour les aider à accomplir leurs tâches. Je vous ai parlé de la copie privée et de la convention que nous avons signée avec la douane depuis 2003 ; par cette convention par exemple, la douane perçoit pour le BBDA les rémunérations pour copie privée et les rémunérations pour reproductions reprographiques.
À l’intérieur du pays, il y a certaines opérations pour lesquelles nous sollicitons l’intervention de la gendarmerie, de la police pour nous aider à recouvrir nos droits.
Le ministère en charge de la Culture a érigé beaucoup de directions régionales de la culture ; toutes ces structures sont également des partenaires du BBDA qui nous appuient dans l’accomplissement de certaines tâches. En plus , nous avons nos représentants qui sont dans au moins sept (7 ) chefs-lieux de régions.

S. : Vous projetez la mise en place prochaine d’une structure adéquate de lutte contre la piraterie. De quoi s’agit-il ?
B.O. : Je pense que la lutte contre la piraterie a besoin d’une main armée. Nous , nous ne sommes pas une structure de répression ; nous travaillons beaucoup dans le sens de la sensibilisation. Mais il y a des moments où la sensibilisation seule ne suffit pas et en ce moment on a besoin d’une structure qui est une sorte de bras armé.
La lutte contre la piraterie de mon point de vue est une lutte qui nécessite encore plus du temps et c’est pour cela que le besoin d’avoir une structure autonome résolument engagée dans cette lutte s’est avéré nécessaire. Nous sommes en train de mettre en place cette structure- là ; je crois qu’elle aura une compétence nationale qui pourra se déployer sur le territorial national et qui pourra être plus dissuasive .
Mais encore une fois, je pense que nous avions toujours voulu partager cette philosophie en disant qu’on va continuer à mettre beaucoup l’accent sur la sensibilisation.

S. : Est- ce que vous avez recours à la justice pour régler certains cas ?
B.O. : Oui, à l’heure je vous parle, je pense qu’on doit avoir plus d’une dizaine de dossiers répartis dans différentes juridictions au niveau du Burkina Faso. Le BBDA n’est pas une structure contentieuse ; lorsque nous sommes en face d’une situation de piraterie, notre première réaction, c’est immédiatement recourir à la justice, saisir la police judiciaire et que justice soit rendue.
Il y a beaucoup de condamnations qui ont été prononcées contre les pirates, des amendes versées, etc. C’est une voie que nous allons continuer à suivre parce que la contrefaçon tout comme la piraterie est une infraction ; donc à traiter par la voie pénale, soit par la voie juridique.

S. : Le BBDA a lancé le plan triennal de lutte contre la piraterie ; y a-t-il eu des effets signifiants ?
B.O. : C’est le 14 février 2008 précisément que nous avons décidé de marquer un arrêt pour faire un diagnostic assez approfondi toujours dans la quête de l’assainissement de la gestion de la propriété intellectuelle au Burkina Faso. Le constat et les résultats sont contenus dans un document que nous avons appelé le plan triennal.
L’objectif visé est de mettre en place un mécanisme qui permet de limiter les effets de la piraterie. Nous ne pensons pas pouvoir totalement éradiquer la piraterie ; mais nous voulons faire en sorte que d’année en année, les effets de la piraterie soient moins ressentis par les artistes et que ceux-ci puissent créer dans un environnement favorable. Voici le but du plan triennal de lutte. Notre diagnostic a relevé beaucoup d’insuffisances dans le cadre de la lutte contre la piraterie au niveau du Burkina Faso. Ces insuffisances étaient dues au manque d’un circuit de distribution.
Cela veut dire que si vous êtes à Ouaga ou à Bobo, vous avez même des difficultés à pouvoir identifier les endroits où vous pouvez aller acheter les cassettes et des CD qui ne sont pas piratés. Vous ne trouverez pas trois ou quatre points de distribution du genre dans une grande ville comme Ouagadougou.
Lorsque vous arrivez à Bobo c’est encore pire ; si vous quittez Ouaga et Bobo, il n’en existe même plus ailleurs. Aujourd’hui, la population ne peut pas se passer de la musique et du cinéma. Mais si la seule population qui constitue le monde des consommateurs des produits culturels ne peut pas avoir accès à ce qui n’est pas piraté et le besoin étant toujours affirmé, il va s’en dire que n’ayant plus de choix, elle va évidemment vers les œuvres piratées.
Dans le temps, Seydoni , Bazar Music avaient testé à un moment donné une large distribution des œuvres déclarées au BBDA. Ces structures ont replié à cause de la piraterie. Nous pensons que le plan triennal de lutte qui a été lancé devrait permettre quand-même de rassurer encore ceux-là qui consomment les œuvres et leur signifier qu’ils peuvent avoir accès à des œuvres non piratées.
En ce moment, nous avons beau faire la répression, il y a toujours une exclusion à quelque part. C’est pour cette raison que le plan a déjà mis en relief la nécessité de développer les structures de distribution. Nous nous sommes mis en relation avec les distributeurs afin qu’on ne vit plus l’expérience du passé. Le BBDA a créé les conditions favorables à l’émergence des structures de distribution. Nous nous sommes dit qu’il faut arriver à ce stade-là pour pouvoir mieux avancer.
Il nous faut arriver à dépasser l’étape de l’élargissement et des structures de distribution. Mais en même temps, il faut qu’il y ait toujours cet instrument de dissuasion qui permet d’accompagner les autres mesures et de temps en temps effectivement exercer un réel contrôle afin d’amener certaines personnes dans les proportions qui permettent de respecter le droit des créateurs et le droit des consommateurs.

S. : 2010 marque le jubilé d’argent de BBDA ; que comptez-vous faire pour marquer l’événement ?
B. O. : Le BBDA a 25 ans et du chemin a été parcouru ; mais je crois que nous sommes beaucoup plus préoccupés par ce qui constitue la préoccupation majeure des créateurs au Burkina. Nous voulons plutôt dire que nous ne sommes pas dans un état d’esprit festif.
Ces 25 ans marquent une étape très importante dans notre avancée dans la lutte contre la piraterie. C’est notre détermination, c’est notre rêve, celui d’un combat gagnant qu’il faut considérer dans ce jubilé d’argent.
Si au bout du compte, nous arrivons à marquer, à réussir la mise en œuvre du plan triennal et permettre au Burkina Faso de constater réellement que le pas a été marqué dans la lutte contre la piraterie, nous aurons réussi un bon jubilé. Je pense que c’est en ce moment que nous tirerons satisfaction.
S. : Ouagadougou abrite ce lundi un séminaire international sur la piraterie. Quel est l’enjeu d’une telle rencontre ?
B.O : Effectivement, un séminaire se tiendra à la salle de conférences de Ouaga 2000 sur la lutte contre la piraterie en Afrique. La tenue de ce séminaire est l’expression la plus courante de tout l’intérêt et l’attention que nos autorités accordent à cette question délicate de la piraterie et partant des conditions de travail, de créations de nos artistes.
Ce séminaire dont l’organisation a été confiée au ministère en charge de la Culture, du Tourisme et de la Communication dont le BBDA fait partie est un grand rendez-vous qui va regrouper 500 artistes environ, des artistes nationaux comme des artistes étrangers . Les participants vont apprendre et réfléchir sur la question de la piraterie qui se pose en Afrique de façon drastique. Au niveau du continent africain, il y aura l’expérience des pays qui sera évoquée, il y aura beaucoup d’échanges.
Il s’agira de mettre en commun les efforts afin de multiplier les chances de pouvoir faire face à ce phénomène qui, effectivement, tue les artistes. Les échanges vont nous permettre en tout cas de marquer des évolutions significatives dans la recherche des solutions à la question de la piraterie sur le continent.

Source: Sidwaya : Entretien réalisé par Ismaël BICABA
elbicab@gmail.com

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