Abou SIDIBE: La sculpture sous d’autres facettes.

Abou SIDIBE: La sculpture sous d’autres facettes.

Dans la ville de Ouagadougou, il y a des personnes qui s’évertuent à métamorphoser des objets et des matières premières en des objets d’art magnifiques.  C’est le cas d’Abou SIDIBE, sculpteur, entrepreneur et créateur qui utilise le bois et des gadgets pour en faire de multiples œuvres d’art qui suscitent l’admiration. Pour en savoir davantage sur cet artiste plasticien, une équipe de ArtistesBF lui a rendu visite. Voici son parcours de combattant :

Sponsorisé par l’Agence Deneulin – www.deneulin.fr

D’origine malienne, notre invité Abou SIDIBE est né en Côte d’Ivoire. Après trois ans de formation à  l’école des beaux-arts d’Abidjan, il ressort diplômé d’un brevet d’étude en art appliqué (BTA). Installé à Ouagadougou en 1999 où il s’est depuis lors naturalisé burkinabè, Sidibé vit avec sa femme et ses deux jumeaux. Dans le quartier Gounghin où il a définitivement établi son atelier, il nous explique son parcours artistique :

Abou SIDIBE (AS) : Je suis Abou SIDIBE, plasticien sculpteur, marié et d’origine Malienne, né en Côte d’Ivoire. Avant d’intégrer l’école en Côte d’Ivoire, j’étais d’abord dans un centre culturel basé à la Rivéra II, à Cocody. C’est une école bien structurée qui forme des artistes nationaux comme internationaux. Je suis sorti avec un BTA (brevet d’étude en art appliqué). C’est donc après l’obtention de ce diplôme que je me suis installé à Ouaga depuis 1999 où je vis actuellement. Car,

J’avais envie de toucher un peu le bronze et à l’école je n’avais pas la possibilité.

L’école des beaux-arts est une structure purement académique parce qu’elle ne nous apprend pas à créer. C’est seulement des b.a.-ba qu’on nous apprend qui se résument à la taille du bois ou de la pierre pour du dessin, la déco, la peinture.

Abou SIDIBE, sculpteur, entrepreneur et créateur©Sponsorisé par l’Agence Deneulin – www.deneulin.fr

Mais la création proprement dite dépend maintenant de l’artiste lui-même, de son inspiration et de sa capacité à libérer son génie. Entre l’école et le terrain, c’est vraiment deux univers complètement différents. Alors l’expertise que j’ai aujourd’hui s’est capitalisée au fil des années, avec les expériences des voyages, des expositions et le fait de côtoyer d’autres artistes aussi.  L’on découvre d’autres univers et c’est ce qui me nourrit dans cette démarche personnelle.

Et c’est la somme de toutes ces rencontres et expériences que j’utilise pour réaliser mes œuvres.

ABF : Qu’est-ce qui vous a véritablement donné envie de suivre cette voie ? le déclic si vous voulez ?

AS : J’ai d’abord commencé par les bricolages. Avec deux bouts de ficelles, un fil de fer, un morceau de bois, j’essayais toujours de faire quelque chose tout comme les gamins de mon âge en ce temps. On fabriquait des lance-pierres, des voitures miniature (jouets) avec des boîtes de conserves. Tout est parti de là et le reste est venu avec le temps. Soutenu par la passion et  les petites formations, on finit par arriver.

Moi j’aimais bien bricoler de mes dix doigts. Avec le recul, je pense que cela a été possible grâce à mon cadre familial.  En effet, notre cours était à Anyama dans “la banlieue” d’Abidjan. Dans ladite cour, nous avions une scierie où les gens découpaient du bois à longueur de journée. Ainsi, étant tout petit, j’étais imprégné par cette odeur du bois. J’ai toujours vécu dans le ‘’popo’’ du bois. Donc, je me demande si le travail du bois, ma passion pour la sculpture, n’est pas venue de cet environnement. Ce sont des questions que je me pose par moment mais sans avoir forcement la réponse.

Abou SIDIBE, sculpteur, entrepreneur et créateur©Sponsorisé par l’Agence Deneulin – www.deneulin.fr

ABF : Etes-vous d’une famille à forte culture traditionnelle ?

AS : Je suis issu d’une famille Wassolo et dans cette tribu, il n’y a pas d’artiste excepté Oumou SANGARE qui est originaire de cette localité  (Wassolo). Mais, personnellement dans ma famille nucléaire, il n’y a pas d’artistes. Je suis pratiquement le seul qui fait de la sculpture et de l’art. Au début, cela n’a pas été facile comme pour tout métier d’ailleurs parce que les gens ne comprennent pas souvent le métier de l’artiste. Pour certains, si les parents te mettent à l’école c’est pour que tu sois un cadre, un fonctionnaire et qu’un jour vous puissiez être utile financièrement. Cette idéologie est bien formatée si bien qu’il est compliqué de sortir de ce cadre.

ABF : Où est-ce que vous aviez appris ces différentes techniques de travail ?

AS : Les techniques viennent au fil du temps. C’est sur le tas qu’on apprend plus. Car l’école m’a donné la base et la création dépend maintenant de mon imagination, de mon génie créateur. Il y a un talent qui se forme sur le terrain avec le contact d’autres artistes. C’est aussi le travail et l’abnégation qui m’ont forgé car je n’ai pas de jour de repos, Je n’attends pas une exposition ou un voyage pour travailler. Quand je peux bosser, je bosse et à force de bosser, les gestes et les imaginations viennent de façon mécanique et c’est ce qui simplifie les choses. Quand, je suis en contact avec le bois, le plastique ou du bronze, les gestes et autres réflexes viennent tout naturellement parce qu’à force de se répéter, on acquiert une certaine maitrise de la chose.

ABF : Parlez-nous de vos sources d’inspiration

AS : Au départ, je ne visais pas la sculpture. Je voulais être ébéniste ; c’est vrai que tout revient au bois.

Je devais intégrer une école d’ébénisterie à Abidjan, mais c’était hyper cher pour les enfants des pauvres.  L’école d’ébénisterie était réservée aux enfants de l’élite ivoirienne ou de riches. Et mon père ne pouvait pas se permettre de me payer les cours là-bas. Grace à un ami, je me suis inscrit dans  une école de sculpture, proche de l’ébénisterie avec un cout très abordable.

ABF : Qu’avez-vous commencé par fabriquer au tout début de votre carrière ?

AS : C’était une statuette en bois et à cette date je ne sais plus où elle se trouve.

Abou SIDIBE, sculpteur, entrepreneur et créateur©Sponsorisé par l’Agence Deneulin – www.deneulin.fr

ABF : Quelles ont été les réactions des gens après la présentation au public de votre toute première œuvre ?

AS : Les gens ont aimé et j’ai été encouragé. Je pense que c’est à partir de cette statuette que les choses ont commencé à devenir roses pour moi avec notamment les encouragements des uns et des autres car, « ils me disaient continue ! ça peut t’envoyer loin !».

ABF : Votre engagement et votre dévouement viennent-ils de cette première œuvre ?

AS : Oui, en partie, même s’il y a eu d’autres créations après mais, elle a été au départ un grand succès pour moi.

ABF : Quels sont vos moments clés (rencontres, symposiums, documentations ?

AS : En 2004, je me retrouve en Amérique du sud dans un bled perdu dans l’Amazonie avec des gars qui font des grands totems en bois. C’était à la fois impressionnant et passionnant. Je partage les expositions avec d’autres artistes américains à Bogota, Medellin en Californie et à Paris. Ce fut des moments forts et inoubliables pour moi.

ABF : D’où vient cette inspiration ?

AS : Au départ, j’intégrais les puisettes dans une sculpture entière dans du bois. Mais au fil du temps, j’ai constaté que cela était de trop et je me suis dit que les puisettes elles-mêmes sont des œuvres à part entière. C’est à partir de ce moment-là que je les ai détachées en prenant du recul. Et j’ai réalisé qu’elles remplissaient les conditions d’une œuvre à usage décoratif.ABF : Est-ce que ces moments vous ont permis d’évoluer dans votre travail ?

AS : Bien sûr, parce que j’ai rencontré d’autres personnes qui ont d’autres démarches plastiques qui n’ont rien à voir avec ce que je fais. Cela me permet chaque fois de me remettre en cause c’est ce qui me permet de progresser. Quand tu ne sors pas, tu penses que tu es fort, mais quand tu sors, tu comprends qu’il y a d’autres réalités. C’est pourquoi, quand tu as la possibilité de voyager, il faut le faire pour découvrir, apprendre et confronter d’autres réalités, car ça te permet de redoubler d’ardeur dans le travail et d’être modeste.

 ABF : Est-ce que ces voyages vous ont permis de réaliser d’autres créations que celles que vous aviez l’habitude de faire ?

AS : Oui, bien sûr ! ça forme et impacte mes créations de façon consciente ou inconsciente. Mais, la transition ne se fait pas immédiatement mais progressivement.

ABF : Qu’est-ce qui fait la particularité de vos créations ?

AS : Ma particularité, c’est le fait que j’arrive à lier différents matériaux. Mes œuvres sont une accumulation d’objets avec le bois. Vous voyez que mon atelier n’est pas seulement que gorgé de bois ; mais il y a plein d’autres objets autour tels que la pierre, le bronze, les plaques, etc. Ma particularité, je peux dire que ce sont les puisettes et le travail sur les seaux avec les boutons. C’est un choix qui marque une certaine rupture avec les sculptures qu’on a l’habitude de voir et c’est ce qui fait ma particularité. Pour l’instant, je pense que je suis le seul à le faire au Burkina Faso. Beaucoup me reconnaissent d’ailleurs à travers mes œuvres pendant les expositions.

ABF : Pourquoi Abou SIDIBE a-t-il choisi spécifiquement la sculpture et non des tableaux ou la vannerie?

AS : C’est tout simplement parce que le travail du volume me passionne. J’aime quand il y a du volume ; on peut tourner autour. C’est une bosse ronde qui a plusieurs dimensions dont on peut tourner autour. J’aime bien ça ; parce que les tableaux sont plats, ils sont sur une surface plane et on ne voit pas ce qui se passe derrière. C’est la passion pour les volumes qui m’a conduit à la sculpture.

ABF : Quelle est votre richesse artistique actuelle ou si vous voulez, votre nouvelle découverte ?

AS : Ma nouvelle découverte, c’est le travail des boutons sur les puisettes avec un mélange (incrustation) des petites statuettes africaines. C’est une manière pour moi de rester dans la culture africaine dans laquelle je puise énormément mes inspirations. Je suis fasciné par ces statuettes africaines, de beaux objets que je m’en approprie en les détournant. Je ne les utilise pas pour le simple plaisir de les utiliser mais en leur donnant surtout un autre sens.

ABF : Dans quels pays exposez-vous vos œuvres ?

AS : J’expose au Burkina, dans la sous-région, à Paris, à Bruxelles. Ma dernière exposition était dans le Sud de la France, à Avignon où je suis resté pendant deux mois et demi. Après le sud, je suis allé au nord de la France en île et terminé par Paris. Ce sont des expositions tournantes, et mes œuvres voyagent beaucoup.

ABF : Y a-t-il un engouement autour de ces objets ?

AS : les gens aiment bien, mais ils les trouvent étranges à la fois. A la limite, ils ont peur et se demandent parfois si ce ne sont pas des fétiches ? Voici autant de questions qui me sont posées, à chaque fois que les gens visitent mon atelier, mais je les ai toujours rassurés. Ce sont des simples sculptures qui ne cachent rien derrière. Des sculptures qui sortent de l’ordinaire.

ABF : Avez-vous une idée du nombre d’objets que vous écoulez au Burkina ou à l’extérieur ?

AS : Franchement, je ne compte pas tout ça. Ça sera trop prétentieux qu’après une exposition, je commence à compter combien j’ai vendu. Je sais personnellement ce qui rentre, mais après, je ne compte pas les objets écoulés. Mais vraiment ça se vend bien. Parce que les gens aiment bien mes œuvres. Ils achètent bien.

ABF : Quel est votre public cible ?

AS : C’est dommage que nos compatriotes burkinabè et les africains en général  ne s’intéressent pas à l’artisanat, encore moins à mes œuvres. La majorité de mes clients sont des européens, américains, asiatiques, etc. Chez moi, la plus part de mes clients sont des expatriés, des agents  de l’Union Européenne, de l’ambassade de France, etc. Parlant des burkinabè, beaucoup ne s’intéressent pas, sauf quelques-uns. Mais cela se comprend, parce que  le coût n’est pas permis à un  burkinabè moyen d’acheter une œuvre, vu le niveau économique des ménages.

ABF : Est-ce que vous recevez des publics curieux qui viennent vous visiter, faire du tourisme, chercher à savoir comment monsieur SIDIBE travaille ?

AS : Oui, nous recevons de toutes nationalités. Elles sont toutes curieuses de savoir comment se font mes créations.

ABF : Pouvez-vous nous donner le nom de trois artistes travaillant au Burkina ou burkinabè dont vous aimez bien leur travail ?

AS : Au Burkina, le plus connu, c’est KI Sidiki, qui a travaillé sur Laongo. Il est l’initiateur du site de Laongo, et il a même reçu un prix au Sénégal, remis par le Président Maki Sall. Il est très bien connu en Afrique et dans le monde entier. Souvent, quand il a le temps, il passe dans mon atelier pour m’encourager et donner son avis.

ABF : Quel artiste, jeune, ancien ou disparu semble être important pour vous ? Par ses œuvres, ses créations, sa vivacité ?

AS : Moi, je n’ai pas de jugement sur les créations des artistes, parce que c’est une question de goût. Il y a des artistes que j’aime bien pour leur travail, comme KI Sidiki, Christophe SAWADOGO pour ses peintures.  A cette liste, s’ajoute également Hamed OUATTARA,  qui est connu par son design et le mobilier et  bien d’autres. Mais sachez que cela reste une question de goût.

ABF : pouvez-vous nous parler d’une œuvre africaine actuelle ou traditionnelle que vous trouvez importante?

AS : J’ai bien aimé les marcheurs de DARELO, un sculpteur sénégalais qui, malheureusement est décédé. Il a fait une série de sculptures sur les personnages qui marchent comme ‘’diacometi‘’ personnes élancées en métal, et il a plusieurs fois remporté la biennale de Dakar.

ABF : Qu’est-ce qui vous manque pour progresser dans votre activité ?

AS : c’est le quotidien de tous les artistes au Burkina. Il faut que les autorités s’impliquent d’avantage. Il faut qu’il y ait une vitrine, une  galerie nationale au Burkina pour permettre aux visiteurs de découvrir toutes les œuvres qui sont produites au Burkina. Pour qu’ils sachent que les artistes travaillent, que les ateliers sont en mouvement. En un mot qu’il y’ait plus de promotion des artistes burkinabè. Je dis toujours que nous n’avons pas de pétrole au Burkina, mais notre pétrole c’est le secteur culturel. Qu’il y’ait plus de zoom sur les artistes. Il faut nous aider à faire la promotion de nos œuvres à travers des expositions ou d’autres opportunités.

ABF : Votre mot de fin !

AS : Mon mot de fin c’est de demander de vraiment accompagner les artistes. Ici, ce ne sont pas les moyens qui manquent pour soutenir les artistes. Ce ne sont pas les talents non plus qui manquent. Il y a beaucoup de talents partout dans les quatre coins du Burkina. Mais ces talents ne sont pas passés par des structures de formation académique et donc, on a besoin d’être accompagné. Ce ne sont pas les moyens qui manquent; mais c’est une volonté politique qui n’est pas présente et qui fait que les artistes n’arrivent pas à décoller.

NDLR : Cet article a été rendu possible grâce au soutien financier de l’Agence Deneulin – www.deneulin.fr

Interview réalisée par Patrick COULIDIATY et Mariam CONGO

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