Aboudou DABO (DABS), manager

Aboudou DABO (DABS), manager

Artistesbf (Art): Bonjour Mr. DABO. Merci de nous accueillir pour échanger avec vous sur la musique burkinabé, 50 ans après l’indépendance.

Présentez-vous tout d’abord à nos internautes

Aboudou DABOS (DABS) : Je m’appelle Aboudou DABO dit DABS. Je suis manager culturel. Mais avant, j’étais d’abord un employé de la télévision Nationale du Burkina de 1989 à 1982. Ensuite, je me suis engagé dans le management à une époque où on ne parlait que peu ou presque pas de manager au Burkina. Je me suis investi à temps plein dans les recherches qui m’ont ouvert à de nombreuses formations. Je pourrais citer en exemple les formations de ODAS AFRICA de Vincent KOALA auxquelles j’ai participé en 1994. En 1995, j’ai créé une structure de management “UNIVERSEL SHOW BIZ”. En 1989, j’ai décidé dans la même lancée de m’engager dans la production. A partir de 2004, j’ai été Administrateur de la fédération des Festivals du Burkina Faso jusqu’en 2007 avant de me relancer de nouveau dans les activités de promotions culturelles. Mais il est bon de vous rappeler que je n’ai pas été le genre “manager” comme vous avez coutume de le voir aujourd’hui, qui court derrière l’artiste pour produire des spectacles. Non ! Mon rôle n’était pas forcément ça. Je faisais beaucoup plus de la recherche sur la musique burkinabé qui m’a conduit à créer aujourd’hui des instruments de gestion de carrières.

Art : Dans votre présentation, il est ressorti que vous avez été un employé de la RTB, une structure que vous avez quitté en 1992 soit 3 ans seulement de carrière effective. Pourquoi?

Je fais partie d’une vague d’employés recrutés en 1989. Par la suite, ne sachant comment nous gérer, le ministère a créé ce qu’on appelle le CRT (Centre Régional de Télévision). Il y avait les CRT de Bobo, de Dédougou, de Pô et de Banfora. Nous avons été affectés chacun selon son choix dans ces différents centres régionaux. Mais figurez-vous, que depuis que j’ai rejoint mon poste en 1989 et jusqu’en 1992, je n’ai jamais été payé. Pourquoi ? Parce qu’il y a eu comme un dialogue de sourd qui s’est installé. Tantôt, c’est la province d’accueil qui devait nous prendre en charge ; tantôt c’est la commune. C’était comme un jeu de ping pong. Vous comprenez que dans de telles conditions, je ne pouvais pas resté plus longtemps à ce poste parce que c’était un emploi sans avenir.

Art : Vous avez été aussi manager, quels artistes avez-vous managé à l’époque ?
Bon ! J’en ai fait un bon paquet. Les derniers en date sont : AOUE, Pascal KABORE, C PZ et Fat LION

Art : Alors, vous qui avez fait tant de recherches, qu’est-ce qu’un manager ?

La manager, c’est quelqu’un qui gère la carrière d’un artiste. Mais ce n’est pas la définition véritablement juridique dans la mesure où cette notion peut varier selon l’environnement, le contexte et suivant même la nature des activités de cette personne ressource. Au Burkina Faso, c’est aussi celui qui s’occupe de la promotion d’un artiste et de ses œuvres parce qu’il n’appartient pas à l’artiste de courir derrière les spectacles ni de les organiser.

Art : Votre appréciation générale sur la musique.

Là c’est véritablement une dissertation que vous me demandez. Il faut dire que la musique burkinabé s’est surtout construite à partir de l’Harmonie voltaïque en 1948. A cette date, il n’y a avait pas encore assez d’instruments. C’est plus tard, c’est-à-dire en 1960, que L’Harmonie Voltaïque a eu la chance d’être dotée en instruments de musique avec le Président Maurice Yaméogo. De là, les premières compositions en mooré ont commencé avec les Maurice SIMPORE. C’est ainsi qu’en 1970, que la première vague des disques de 33T ont commencé. Il eut de nombreux enregistrements, des interprétations et surtout des compositions qui ont amené les voltaïques de l’époque à s’intéresser de plus en plus à la musique de leur pays. La musique burkinabé a ainsi évolué jusqu’en 1983. C’est à cette date qu’ont commencé les véritables problèmes de la musique. Les différents orchestres au Burkina Faso à cette époque étaient des orchestres qui animaient les bals et les concerts. Les responsables des bars ou des salles de spectacles ne connaissaient pas du “playback”. Il y avait de nombreux orchestres qui évoluaient comme des professionnels. Dans l’HARMONIE VOLTAÏQUE par exemple, il y avait des gens qui ne vivaient que de la musique. Il en est de même pour le “SUPREME KOMBEMA”, ” LE SUPER VOLTA” et le “LEOPARD DE BOBO”. Tous les artistes de ces différentes formations ne vivaient uniquement que de la musique.
Mais à partir de 1983, une nouvelle politique s’installe. Premièrement, il y a eu le couvre-feu jusqu’en 1984. Donc, les activités ne se déroulaient plus normalement. Aussi, la révolution avait créé des orchestres satellites un peu partout sur le territoire national parmi lesquels on pouvait citer les orchestres de la police Nationale, de la Douane, de la gendarmerie, du RPC de Dédougou, du 2ème RIC de Dori, l’orchestre des petits chanteurs aux poings levés, des colombes de la révolution

Art : C’était une manière de décentraliser la musique, une véritable explosion culturelle alors ?

Non !!! Ce n’était pas une explosion culturelle comme vous le pensez. Mais il fallait casser le Rythme des créations des différents orchestres existants pour instituer des orchestres des corps constitués. C’est vrai que c’est la révolution qui a créé toutes les infrastructures de développement culturelle de l’époque. La Douane par exemple représente un corps dont la vocation première n’est pas de faire de la musique ; la gendarmerie non plus !. Les anciennes formations ont été complètement cassées et affectées à l’encadrement des nouveaux groupes d’orchestre. Or, ces nouvelles formations étant au stade de l’apprentissage, la création s’est s’arrêtée. Il n’y aura plus de création musicale, ni de bal ou du moins, il n’y avait seulement ce que les révolutionnaires appelaient “des bals populaires”. Qu’est-ce que les propriétaires de bar ont fait ? Eh bien, en lieu et place des orchestres qui jouaient les soirs, les tenanciers de bar ont fini par louer des sonorisations pour jouer avec les cassettes. Malheureusement, comme les orchestres burkinabé n’avaient pas enregistré de cassettes, quel genre de musique vont-ils écouter ?… c’est de la musique étrangère. En 1985, tous les acteurs culturels avaient été conviés à une grande rencontre avec le Président de l’époque parce qu’il avait constaté que les choses n’allaient pas dans le paysage musical. Quand il a demandé ” mais dites-moi ce qui ne va pas ! “. Les artistes, en réalité savaient ce qui n’allait pas mais personne n’a dit mot ce jour-là ! De peur de représailles ; les artistes n’ont rien dit. Sinon, c’est la révolution qui a créer l’académie populaire des arts devenue aujourd’hui l’INAFAC (situé au secteur 9 de Ouagadougou), le Théâtre populaire, les salles de ciné à Ouagadougou comme dans les autres provinces, le BBDA (Bureau Burkinabé des Droits d’Auteur), la semaine Nationale de la Culture. Le minimum a été fait, mais il restait la matière car les douaniers ni la gendarmerie ne vont pas abandonner leur corps pour la musique. La situation a stagné ainsi durant les années 80 jusqu’en 1990 où on n’a pu seulement enregistrer que quelques albums en cassettes.
Les burkinabé étaient maintenant confrontés à un nouveau problème. Ils avaient perdu l’habitude d’écouter leur propre musique. Ce qui veut dire qu’il fallait de nouveau la reconquérir. Il a fallu attendre jusqu’en 1997 pour que le paysage culturel reprenne réellement de l’élan. En effet, Mahamoudou OUEDRAOGO, nouvellement nommé ministre de la Culture convoqua tous les artistes au “stade du 4 Aout”. A travers ce forum, les artistes ont soumis à l’attention du Ministre Mahamoudou, un canevas, un ensemble de propositions concrètes pour relever le niveau de notre musique. Au titre des doléances, il s’agissait principalement d’un grand studio, une grande salle de spectacle, du matériel, une maison de duplication, un ballet national, un orchestre national. Mais le Ministre OUEDRAOGO, en plus de ces doléances, a créé les grands prix de l’humour, les grands prix du théâtre, les grands prix de la musique etc. Il ne restait que la maison de duplication de cassettes. Mais étant donné que Traoré Seydou Richard, s’était déjà lancé dans la création d’une maison de duplication, le ministre a préféré sceller un partenariat entre Seydonni Production et le ministère de la culture. C’est grâce à ce partenariat que les artistes burkinabé produisaient à moindre cout leur album à “SEYDONI PRODUCTION” dès sa création en 1998 . Malheureusement, c’est encore à cette période, c’est à dire en 1998, que d’autres problèmes de la musique ont ressurgi.

 En effet, en 1998, “SEYDONI PRODUCTION” s’installe et diminue le prix de la cassette de 1500 à 1200 frs sur le marché. Il y a donc 300f de moins ! C’était une manière de rendre accessible la cassette à un plus grand nombre et de lutter ainsi contre la piraterie. L’objectif est noble ; mais les réalités sont là !. Les 300 frs en moins sur les cassettes sont prélevés d’où ? ; c’est dans l’argent de qui ? Parce que “SEYDONI PRODUCTION” ne perd rien. En fait, c’est sur les bénéfices des producteurs et des artistes. En ramenant donc le prix de la cassette à 1200, le revenu par Cassette aux artistes et aux producteurs était maintenant de 200 frs. Pire, “SEYDONI PRODUCTION” pour de raison de charges liées au fonctionnement de sa structure, ne cèdera finalement que 150 frs au lieu des 200frs. Que s’est-il passé ? On assiste à une floraison de maisons de production telles “TAM-TAM PRODUCTION”, ABAZON PRODUCTION” “CALAO PRODUCTION” etc. Or, en tant que nouvelle structure, SEYDONI PRODUCTION était exempté de taxes pour cinq ans au moins. A terme, (à expiration des 5 ans d’exemption de taxes en 2003), il était difficile pour Seydoni, de produire un artiste. Leur Objectif était l’argent ou rien. Mais comme les taxes sont maintenant en vigueur, il fallait bien que cette maison de production augmente le cout de la production afin de supporter les charges. Qu’avons-nous fait ? Eh bien, nous sommes revenus à l’auto production. Seydoni Production fragilisé par la piraterie et la fiscalité ne pouvait plus fonctionner avec des commandes de 200 à 300 cassettes. Pour tout vous dire, la poule aux œufs d’or (SEYDONY PRODUCTION) est tuée entrainant avec elle toutes les autres maisons de production. Et jusqu’à ce jour, je ne crois même pas que le ministère soit au courant que la musique est en faillite.

Art : Quel paradoxe ? Tandis que tout le monde vante aujourd’hui la musique d’avoir fait des progrès ces dernières décennies, Mr DABO pense qu’elle est en faillite.

Évidemment, pour les hommes avertis, c’est une crise ; je dirai même une véritable crise à tous les niveaux. C’est vraiment un paradoxe. Au moment où le Burkina ne comptait que deux ou trois radios, la musique burkinabé se portait mieux. Aujourd’hui, le pays compte près de 80 radios et la musique se porte mal.

Art : Nous ne vous suivons pas bien parce que la situation actuelle avec 80 radios dans le pays devrait produire l’effet positif. Expliquez-vous mieux C’est vrai ! J’ai toujours demandé au syndicat des musiciens de faire la revendication au Conseil Supérieur de la Communication car dans aucun pays du monde, on a laissé l’espace médiatique comme ça. L’UNESCO reconnait le droit de protection de chaque pays en matière de culture. Si les français n’avaient pas protégé leur culture, il y a longtemps que le cinéma américain avaient engloutit le cinéma français. La législation française dit qu’il faut jouer à près à 80% de la musique française. Alors, pourquoi le Burkina va-t-il se privé de cette opportunité de protéger sa culture en imposant par exemple 80% de musique burkinabé ?
Jusque-là, à ma connaissance, c’était entre 35 et 40% de la musique burkinabé. Connaissez-vous quelqu’un de normal, qui s’aime, qui s’adore et qui est fier de sa culture accepté jouer dans les stations de radios 40% de la musique de son pays et 60% de musique étrangère.

Art : Mais au Burkina, depuis un certain temps aussi, la RTB fait un effort ; elle joue près de 90% de la musique burkinabé.

 Oui, vous avez vu juste ! Mais il faut savoir qu’il existe très peu d’émission culturelle notamment musicale à la TB. Les émissions qui existent font l’effort de passer la musique burkinabé. Seulement, il faut remarquer que la musique telle qu’elle est diffusée est classifiée au cours de certaines émissions. Aussi, certaines sont-elles l’éloge des rythmes importés comme le coupé-décalé. Les créneaux et les sous créneaux de la télévision ne permettent plus de voir l’étendue réelle des créations musicales burkinabé.

Art : Quel est donc l’état des lieux de la musique aujourd’hui, 50 ans après notre indépendance ; a-t-on évolué ou pas ?

Tout dépend de là où nous nous situions. Lorsque les artistes, les producteurs et les managers vivront de leur art, alors je dirai que la musique a évolué. Ce qui veut dire que le public est aussi satisfait de la musique. Or à l’heure actuelle je doute que ce soit le cas. On n’est donc pas sorti de l’ornière. Je ne suis pas particulièrement contre la musique étrangère, mais c’est regrettable que ce soit elle qui domine nos productions intérieures.
La musique burkinabé est confrontée à l’heure actuelle à un concurrent de taille. Ce concurrent c’est la politique. Au moment où les promoteurs de spectacles courent vers les sponsors pour déposer leurs dossiers d’appui, ils croisent en chemin le politicien en quête aussi de sponsoring pour organiser sa coupe. Face aux deux demandeurs, l’entreprise préfère donner son appui au député plutôt qu’au promoteur de spectacle. C’est vraiment regrettable de constater la disparition progressive du spectacle traditionnel. Aujourd’hui, au moindre projet de spectacle, il faut que le promoteur demande un parrainage ou cherche à voir le Président de l’Assemblée Nationale ou le Ministre pour que ces derniers l’aident à trouver un sponsor. Si vous ne voulez pas faire ça, alors vous avez en main un dossier mort. “Dossier no bouging “.
Il y a aussi le fait que certaines autorités administratives sont peu ouvertes aux usagers. En tant que membre même du BBDA, j’ai eu par exemple mal à rencontrer le DG du BBDA pour échanger autour d’un projet. Je crois que les responsables des services publics doivent faire un effort pour recevoir, écouter le citoyen Lambda, le conseiller et l’orienter si possible dans ses projets de créations.

Art : Votre mot de fin pour terminer cet entretien

D’abord, que les artistes fassent un effort pour éviter de cumuler plusieurs rôles à la fois. C’est difficile d’être soit même musicien, manager et producteur. La qualité de leur travail en dépend.
Ensuite, qu’à ce cinquantenaire, on trouve un cadre propice au développement de la musique. Plutôt de continuer de donner de l’argent aux artistes, le ministère peut créer un cadre de développement musical propice à l’installation des maisons de production de spectacle et d’infrastructure diverses (salles de spectacles, studio… etc.)
Enfin, que les artistes puissent avoir accès à leurs outils élémentaires de travail comme la guitare. En effet, celle-ci est jusque-là considérée comme un objet de luxe puisqu’elle est dédouanée entre 101 et 111 %. Aussi, que le Ministère plaide auprès du gouvernement afin qu’on puisse baisser le cout du dédouanement, la fiscalité et de la matière première au niveau de “SEYDONI PRODUCTION”. Ce qui favorisera, l’installation de nouvelles structures de duplication.

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