Marie Odile BONKOUNGOU, ancien ministre

Marie Odile BONKOUNGOU, ancien ministre

Dans nos randonnées culturelles, nous avons rencontré lors d’un concert, une Dame et pas des moindres. Ce qui nous a marqués, ce n’est pas la présence de la dame en pareil lieu et à une heure si avancée de la nuit, mais elle nous a surtout marqués par sa très grande modestie. En effet, arrivée aux environs de 20h pour assister au concert d’Eudoxie MOUNDERE, son Excellence Marie Odile BONKOUNGOU à qui nous faisons allusion, a attendu près d’une heure avant de voir le début du spectacle. Mieux, pour suivre son concert, elle n’a pas exigé de chaises pour s’asseoir ( il n’y en avait même pas ). Elle a simplement prit place comme tous les autres spectateurs sur les banquettes en ciment, après les avoir épousseter et souffler hâtivement. La leçon, nous vous laissons l’écrire vous-même. Seulement, prenez bien soin de ne pas terminer la rédaction de la leçon sans vous poser intérieurement la question suivante : ” nous sommes combien du rang de cette Dame, à accepter (comme elle l’a fait), descendre de nos grands chevaux pour boire à la même source que le citoyen LAMDA ? ”
Notre invitée donc, il n’ y a plus à déviner; c’est bien Marie Odile BONKOUNGOU qui, de prime abord aime bien la musique en témoigne ce que nous venons de dire plus haut. Elle a été directrice générale de la fonction publique (1992-1998) , inspecteur général des services (1998-2001) avant de rejoindre le gouvernement en qualité de Secrétaire Général adjoint , puis secrétaire général . De là, Madame BONKOUNGOU est nommée le 5 septembre 2005, Ministre de l’Enseignement de Base et de l’Alphabétisation, aujourd’hui, ministère de l’Education Nationale et de l’Alphabétisation (MENA) de 2005 à 2011). Elle est nommée à un moment où ce département ministériel avait réellement besoin d’oxygénation et ce n’est pas les enseignants qui diront le contraire. Que s’est-il maintenant passé pendant les six ans aux commandes du MENA ? Est-t-elle satisfaite de sa mission au MEBA, a-t-elle traumatisé par moment comme elle le dit ? C’est autant de questions que nous avons posées à son Excellence Marie Odile BONKOUNGOU, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire du Burkina Faso auprès de la République fédérale d’Allemagne depuis le 28 septembre 2011.


Artistebf (Art) : Merci Excellence de nous avoir reçus. Une question peut-être embarrassante. Etes-vous politicienne ou une professionnelle du droit ?
Excellence Marie Odile BONKOUNGOU (Ex.M.O.B) : Ben ! Bonjour ! Je pense qu’il faut peut-être choisir les mots qui me conviennent parce que je n’aime pas le mot “politicienne”. Le mot “politicienne” a une connotation négative. Effectivement, l’expérience que j’ai du terrain politique montre que la politique politicienne n’est pas vraiment ce dont notre pays a besoin pour son développement. Donc, je souhaite que tout au long de l’entretien qu’on ne parle pas de politicienne mais de politique. Même en rattachant le mot à des individus, on peut parler d’homme ou de femme politique mais pas de femmes politicienne; en tout cas pour ce qui me concerne. Ceci dit, je voudrai vraiment vous remercier d’avoir pensé à moi pour ces quelques moments d’échanges.
Pour répondre brièvement à votre question, bien sûr dans le cadre de ma présentation, je voudrai vous dire que je suis une citoyenne burkinabé, animée d’un esprit patriotique prêt pour apporter ma contribution à la construction nationale. Mon pays ayant beaucoup fait pour moi, j’estime donc que c’est un devoir pour moi de le faire. Aujourd’hui, j’ai un diplôme universitaire mais avant d’en arriver là, il a fallu que l’Etat consente d’énormes sacrifices pour moi. Ce sont là des faveurs et autant de privilèges que j’ai bénéficiés et qui n’ont pas de prix. Maintenant, il ne me reste qu’à me mettre au service de la nation.

” Combien d’hommes sont préoccupés quand ils se lèvent les matins de se poser la question de savoir ce qu’on va manger à midi ? ”

Art : Est-ce facile pour la femme politique que vous êtes de concilier le foyer et les activités politiques. Pouvez-vous nous partager votre expérience ?
Ex.M.O.B : Vraiment vous avez trouvé le mot juste. Ce n’est pas facile mais je ne dis pas que c’est impossible ! Ce n’est pas du tout facile pour une femme d’être engagée au plan politique et de bien gérer dans le même temps son foyer. Mais en tant que citoyenne, il y a parfois des choix que je qualifierai de douloureux à faire sans pour autant vouloir dire qu’il faut sacrifier le foyer au profit de la politique. Non, ce n’est pas ce que je veux dire. Je prends un exemple. Ce n’est pas facile c’est vrai; mais je dis aussi que ce n’est pas impossible ! Toutes les femmes ont le devoir de s’engager dans la politique. Maintenant il appartient à chacune de savoir choisir le bon moment. On ne se jette pas dans la politique comme ça ! ça demande un minimum de préparation. Par expérience, les femmes quand elles sont engagées se jettent pieds et mains liés tout simplement parce qu’elles veulent montrer qu’elles sont disposées à bien faire. Mais ce n’est toujours pas facile. Dieu merci, je vois que de plus en plus, beaucoup de femmes s’engagent dans la politique. Seulement, elles ont besoin d’être accompagner, d’être encourager. Je ne dis pas que les hommes n’en ont pas besoin. Ce n’est certainement pas facile pour les hommes aussi. C’est vrai ! Mais Combien d’hommes sont préoccupés quand ils se lèvent les matins de se poser la question de savoir ce qu’on va manger à midi ? Vous pensez que c’est une affaire simple. Voilà..! Vous revenez à midi et vous trouvez que tout est prêt; mais ce n’est pas facile. Chaque matin et chaque jour que Dieu crée, il faut que la femme sache ce que la famille va manger à midi, l’entretien de la maison. Combien d’hommes sont attachés à la propriété de la maison ? Ils ne sont pas nombreux ; on les compte au bout des doigts.

Art : Contrairement à Dame rumeur, il n’y a donc pas de différends entre Mr et Mr BONKOUNGOU ?
Ex.M.O.B : Non ! (rires) moi je n’ai pas de problème particulier au niveau de mon foyer. Mais je vous dis que ce n’est pas facile. Quand je dis que ce n’est pas facile, je ne dis pas que ça ne vas pas ; Non, C’est différent ! Je pense que dans un foyer, le dialogue est essentiel. Par moment, il faut accepter de faire des concessions si tu veux réellement qu’au niveau du foyer il y ait la stabilité et que l’éducation ne prenne pas un coup. En fait, le mariage n’est pas un fait banal ! Quand on choisit de vivre ensemble, on dit que c’est pour le meilleur et pour le pire. Je ne pense que le travail soit source de discorde au sein d’un foyer à moins qu’il y ait d’autres problèmes de fond. Bien au contraire, que ce soit l’homme ou la femme qui accède à un certain niveau de responsabilité, c’est une fierté pour la famille; et c’est mon cas.

Art : Cela fait depuis quelques temps que vous avez quitté le MEBA aujourd’hui, MENA. Comment vous sentez-vous ?
Ex.M.O.B : (rires ) Benh, je me suis toujours bien sentie. Ce n’est pas parce que je ne suis plus ministre aujourd’hui, que je me sentirai mal dans ma peau. Je me sens toujours bien et je ne sens pas de changement en moi tant sur le plan moral que physique. Aucun problème à ce niveau dans la mesure où ma nomination n’est pas le fait d’un concours de recrutement de ministres; pas du tout !. J’ai été choisi parmi des milliers de femmes et d’hommes compétents. C’est d’abord une grande marque de confiance. Ce qui est essentiel lorsque vous accédez à un poste de responsabilité, c’est de prendre tout de suite conscience que :
Primo, c’est une marque de confiance qui vous a été faite.
Secundo, qu’on vous a confié une mission.
Tertio enfin, que vous n’avez pas le temps à perdre.
Il faut donc se mettre tout de suite au travail. Etant donné que tu n’es pas venu par concours, demain, tu peux aussi partir comme tu es venu. Mais ce qu’il faut éviter, c’est de ne pas se sentir mal à l’aise au moment où tu dois partir parce que tu réalise à cet instant que tu as perdu trop de temps: “je voulais ceci ou cela”; ” je n’ai pas pu réaliser ça ..” Quand vous chercher les raisons pour lesquelles vous n’avez pas pu faire le ” ceci” ou le ” cela” , vous vous rendez compte que vous avez énormément perdu du temps; et moi, ça n’a pas été mon cas. Je dois vous avouer que j’ai été agréablement surprise quand j’ai été appelée à ce poste de ministre. Pour moi, c’est une grande marque de confiance que j’ai pris comme un défi et j’ai travaillé en sorte à ne pas décevoir les plus hautes autorités qui ont placé leur confiance en moi. Je me suis investie pleinement, j’ai fait de mon mieux. En quittant le ministère, j’étais comblée et satisfaite non pas d’avoir pu relever tous les défis au niveau du ministère mais d’avoir fait de mon mieux. Je l’ai fait en collaboration avec tous les acteurs du système éducatif en commençant bien sûr par mes plus proches collaborateurs pour engranger des résultats. Le bilan est là pour attester que nous avons obtenu effectivement des résultats. Franchement, je dois ces résultats grâce à la parfaite collaboration que j’ai eue au sein du ministère et grâce aussi à cette grande disponibilité dont les plus hautes autorités ont fait preuve à mon endroit.
Ex.M.O.B : Très sincèrement, je garde de très beaux souvenirs de bonne collaboration avec tous les acteurs du système éducatif. Particulièrement à l’endroit des enseignants, je voudrai leur dire que j’ai eu beaucoup d’admiration à leur endroit. Vous savez durant tout mon mandat au ministère, j’ai assez fait le terrain. J’ai été toujours heureuse de trouver dans les classes des enfants tout gais et joyeux d’être à l’école. Quand on vit de telles situations, on ne peut que féliciter les enseignants parce que ce sont eux qui ont trouvé les bonnes astuces qui “accrochent ” les enfants. C’est l’occasion de saluer l’action de certaines institutions internationales comme plan BURKINA qui travaille au côté du Gouvernement pour enrayer la violence à l’école primaire. Je saisis donc l’opportunité que vous m’offrez pour leur présenter mes vives félicitations et leur souhaiter du courage. Eduquer un enfant, n’est pas chose facile et ce n’est pas un parent encore moins un enseignant qui dira le contraire. L’enfant passe toute la journée à l’école et c’est l’enseignant qui doit l’aider à se construire. C’est pourquoi, je demande aux parents d’accompagner consciencieusement les éducateurs. Aussi, je leur tire mon chapeau.

Art : Si on vous demandait de faire votre auto-critique durant ces 6 ans passés au MENA, que direz-vous ?

Ex.M.O.B : J’ai été ministre pendant près de six ans. Comme je vous le disais tout à l’heure, je pense que j’ai donné le meilleur de moi-même. J’ai fait mes premiers pas dans l’administration publique en 1987 et je me le rappelle comme si c’était hier. J’ai appris avec tout le monde, avec les différents agents de différentes catégories. C’est là que j’ai compris qu’il y a un écart entre les connaissances théoriques que vous avez apprises à l’université et les réalités sur le terrain. Il faut savoir profiter des talents insoupçonnés chez un agent de catégorie inférieur à vous. Quand je suis venu au ministère, c’est ce que j’ai fait. Ce qui a été véritablement ma force, c’est d’avoir su écouter. Ensuite il y a le dialogue et la concertation que je dois surtout à ma hiérarchie. Cette inspiration m’est venue des méthodes de travail que j’ai pu observées au niveau du Président du FASO et du Premier ministre. Mais j’avoue que tout n’était pas rose; je crois que par moment j’ai aussi traumatisé (rires). Aujourd’hui, je le dis en riant parce que ce n’était pas méchant de ma part. Beaucoup de mes collaborateurs ont d’ailleurs découvert que ce n’était de la méchanceté mais parce que tout simplement, j’aime toujours le travail bien fait.

Art : Quel genre de traumatisme par exemple ?
Ex.M.O.B : J’aimais bien suivre les dossiers au niveau de mes collaborateurs. Il est arrivé que par rapport à certains dossiers, au regard du délai imparti pour le traitement du dossier, que rien n’était pas encore fait. De telles situations me mettent hors de moi. C’est vrai que j’ai eu des moments de regrets mais j’ai aussi de formules pour me rattraper et remonter le moral de mes collaborateurs.


Art : Il y a aussi ces enseignants qui sont passés en conseil de disciplines pour fait de vols de livres pendant que ceux qui pillent le riz des cantines scolaires ne sont pas inquiétés. A la limite, on permet à ces derniers de rembourser. C’était comme une justice à double vitesse.

Ex.M.O.B : Franchement pour ça, je ne le regrette pas ! Nous avons pris tout le temps pour informer et sensibiliser. Je pense que pour un éducateur, le vol quelque soit son ampleur doit être proscrit. En fait, le vol en lui-même est une infraction pénale. Maintenant en fonction de la qualité de l’auteur, il peut même y avoir des circonstances aggravantes. On vous donne des manuels scolaires pour les écoles. Je sais quels efforts le gouvernement a consenti pour ces livre; ce sont des milliards que nous avons dépensés !. il faut que ces manuels arrivent aux destinataires premiers que sont les élèves. Comment un enseignant peut-il se permettre de vendre ces livres ? En tout cas tous les cas de vols portés à ma connaissance ont été sanctionnés au même niveau. Il y a eu des conseils de disciplines relatifs à bien d’autres malversations et à d’autres comportements déviants qui ont également été sanctionnés.

Art : Vous êtes aujourd’hui ambassadeur du Burkina en Allemagne, est-ce que vous vous attendiez plus ou moins à cette nomination ?

Ex.M.O.B : Pas du tout ! Je ne m’attendais pas du tout à cette nomination. Tout comme le poste de ministre, je ne m’attendais pas à ça et je n’en rêvais pas. A propos justement de cette nomination, j’allais dire que c’est encore une grande marque de confiance; les mots me manquent pour exprimer ce que je vis en ce moment. Ce que je puis vous dire, c’est que le travail paie; la loyauté et l’amour pour le travail bien fait paie toujours.

Art : Vous avez été aperçue au jardin REEMDOOGO lors du concert de l’artiste Eudoxie. Est-ce une visite ponctuelle ou un réel engagement pour la culture ?
Ex.M.O.B : Ni l’un ni l’autre. J’ai néanmoins une petite réflexion que je voudrai partagée avec vous. Je me suis rendue effectivement au Jardin de la musique suite à l’invitation de ma filleule Eudoxie. C’est une fille que j’admire pour son talent et pour son esprit de combativité. C’est pourquoi, j’ai estimé que c’était mieux de la soutenir moralement plutôt que financièrement. Voilà ce qui explique mon déplacement au REEMDOOGO. Donc, j’adhère à tout ce qui pourrait contribuer à la promotion et au rayonnement de la culture burkinabé. On dit souvent que ” quand on a tout perdu, ce qui nous reste, c’est la culture”. Tout individu s’identifie à sa culture et les valeurs culturelles sont essentielles pour une nation. Notre pays l’a compris et c’est pourquoi on est engagé aujourd’hui dans un processus d’introduction et de valorisation de la culture à l’école. Je souhaite vraiment que tous les acteurs du système éducatif prennent conscience de l’importance de l’introduction de la culture à l’école primaire.

Art : De ces 4 disciplines : Cinéma, Mode, Musique, Théâtre, laquelle de ces 4 disciplines vous intéresse le plus ?

Ex.M.O.B : J’aime bien la musique et le théâtre !.

Art : Comme vous le savez, les comédiens jusque-là ne vivent pas tellement de leur art ; à votre avis, comment apporter de l’amélioration dans ce secteur ?
Ex.M.O.B : C’est une question d’organisation. Il faut que le secteur du théâtre soit mieux structuré et cette tache incombe d’abord aux acteurs eux-mêmes. Ensuite, il y a la responsabilité de l’Etat qui est celle d’accompagner le secteur. C’est vrai qu’il y a beaucoup de manifestions culturelles; mais on ne sent toujours pas une bonne organisation. Dans une telle situation, c’est-à-dire quand un secteur n’est pas organisé, l’accompagnement de l’Etat est difficile. Au lieu de dire que l’accompagnement de l’Etat est insuffisant, il serait encore mieux si le secteur était organisé pour faciliter l’accompagnement du Ministère en charge de la Culture.

Art : Excellence, vous avez de forts penchants pour le théâtre au détriment de la Mode. Bien habillée que vous êtes vous ne manquerez pas d’écorcher votre styliste. Elle vous en voudra pour n’avoir pas choisi la mode.
Ex.M.O.B : (rires). Pour moi la question ne se posait plus dans la mesure où on sait qu’une femme doit toujours être bien habillée. Si on est bien habillé, c’est grâce aux stylistes et ce n’est pas ça qui va manquer au Burkina. Je tire donc mon chapeau à nos stylistes.

Art : Une fois en poste en Allemagne, comment comptez-vous contribuer au rayonnement de la culture burkinabé ?
Ex.M.O.B : Je ferai quelque chose. Mais je ne pourrai pas vous dire aujourd’hui et de façon concrète ce que je ferai. Ce qui est sûr les allemands ne manqueront pas de montrer leur richesse culturelle. En retour, il faut bien que nous travaillons à leur montrer également nos valeurs culturelles. A ce sujet, j’engagerai la réflexion avec les personnes indiquées afin que nous puissions trouver ensemble les bonnes stratégies pour faire la promotion de la culture burkinabé en Allemagne. En tout cas, je prends cet engagement !
Je voudrai lancer un appel à l’endroit de tous les burkinabé pour la paix dans notre pays. Nous parlions tantôt de culture, mais nous devons nous servir de la culture pour cultiver et préserver la paix. Sans paix, on ne peut rien faire. Rappelez-vous ces moments de crises que nous avons vécus et mesurez combien d’années cela nous a ramené en arrière. Personne n’y gagne dans une telle situation. A mon avis, les burkinabé doivent continuer de travailler pour consolider la paix dans notre pays parce que la paix n’a pas de prix. C’est cet appel que je voulais lancer aux burkinabé et je ne dirai plus autre chose parce que c’est la condition sinequanon pour le développement.

Novembre 2011

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