Aï KEITA / YARA : Comédienne

Aï KEITA / YARA : Comédienne

Aï KEITA née YARA est chargée du traitement des dossiers d’évacuation au Centre Hospitalier National YALGADO de Ouagadougou (Burkina Faso ). C’est en 1985 que cette dame de 1,80 m fit son entrée au Cinéma. En 1986 précisément, elle est sollicitée par le Cinéaste MED HONDO pour son film “SARRAOUINIA”. Dans “SARRAOUINIA”comme dans les films ” LES ETRANGERS” de Djim KOALA, “L’EPOPEE DES MOSSE” de Adama Saada TRAORE , “TASSOUMA” de Daniel Kollo SANOU, Aï KEITA a toujours joué les rôles principaux. Aujourd’hui, Madame KEITA totalise à son actif près de 30 films (tout métrage confondu).
En plus de son métier de comédien, Notre invitée a été membre du Jury officiel courts métrages au FESPACO 2005, membre du Jury officiel de la compétition fiction du FICA, membre du Jury International des prix spéciaux UEMOA FESPACO 2009.
Comme le dit un adage africain “même si on n’aime pas le lièvre, il faut reconnaître qu’il a au moins de grandes oreilles “. On a beau “ne pas aimer” Aï KEITA, il faut reconnaître qu’elle a suffisamment acquis de l’expérience dans son métier. C’est donc (si on peut le dire ainsi) une grande vedette de cinéma que nous avons rencontrée pour échanger sur le métier de comédien et les difficultés de nos artistes. Mais avant, elle nous parle des ses activités professionnelles au niveau du Centre Hospitalier National YALGADO de Ouagadougou. Elle est mariée et mère de 2 enfants. Elle parle fulfuldé, Dioula, Mooré, Djerma et français.

Aï KEITA (A.K.) : Je travaille à la Pédiatrie du Centre Hospitalier National Yalgado OUEDRAOGO.
Je m’occupe du traitement (saisie à l’ordinateur) des dossiers d’évacuation, du courrier, le rendez-vous des médecins parce que nous avons plusieurs médecins qui travaillent ici. Le travail est reparti selon la spécialisation de chaque médecin. Parallèlement je suis aussi comédienne de cinéma. A ce titre, j’ai joué dans plusieurs films ( environ 27 ou 30, tout métrage confondu ). Principalement, il y a :

Les “ETRANGERS” du réalisateur Djim KOLA

“HARAMUYA” du réalisateur Idrissa TOURE

“SONDJA” du réalisateur Maurice KABORE

” TASSOUMA ” du réalisateur Daniel K SANOU

” INA ” de la réalisatrice Valerie KABORE

Artistebf (Art.): Vous avez une silhouette de Sénagalaise: Grande, Noire, mince . Dites-nous un peu votre histoire ?
A.K. : Mon grand-père maternel est venu du Sénagal. C’était un fonctionnaire international. En venant au Burkina, il était en compagnie de sa première femme. Cette dernière n’avait pas encore d’enfants. Arrivé au Burkina, il s’est marié à une femme peulh du Gourma. Ma grande mère est du village de Mardaga dans la Tapoa .

Art.: Vous êtes un agent de la Fonction publique détaché au ministère de la santé particulièrement à l’Hôpital YALGADO. L’hopital étant un Etablissement Public à caractère Administratif (E.P.A), est-ce que ça ne vous pose pas de petits problèmes ?
A.K. : Tout va bien jusque-là, sauf qu’on me dit que mes avancements au niveau de la Fonction Publique sont sans incidences financières. J’avance correctement au niveau de la Fonction publique mais aucune incidence financière n’est constatée au niveau de mon salaire.

Art.: Avez-vous cherché à comprendre les raisons ?
A.K. : Je n’ai pas moi-même vérifié; mais c’est l’agent chargé des avancements au niveau de l’Hôpital qui me l’a dit.

Art.: En tant que fonctionnaire de l’état, comment vous vous arrangez avec vos responsables hiérarchiques lorsqu’il y a un tournage ?
A.K. : Parfois, le réalisateur demande une réquisition pour ces comédiens fonctionnaires. J’ai déjà bénéficié de telles réquisitions avec Med HONDO pour son film ” SARRAWOUINIA” et de Djin KOALA avec son FILM ” LES ETRANGERS”. Ça, c’est d’un. Deuxièment, je peux aussi profiter de mon congé annuel. A l’heure où je vous parle, j’ai déjà ma décision de congé. Si aujourd’hui un contrat de tournage de film se présentait à moi, je pourrais l’ utiliser.
Art.: A première vue, vous avez une mine très sérieuse pour être comédienne. Comment se passe la métamorphose sur le plateau ?
A.K. : Sur le plateau, c’est une autre Aï KEITA. Je peux faire le sérieux comme je peux aussi faire la comédie. Tout dépend du personnage qu’on me donne.

Art.: En tant que femme, vos débuts n’ont certainement pas été faciles surtout avec le foyer. Comment vous vous êtes débattues avec Monsieur votre époux ?
A.K. : Pour le film SARAWOUINIA, MED WONDO est venu en compagnie de DJIN KOALA pour demander l’avis de mon mari. Après le CASTING, on m’a confié le rôle d’une femme qui crée “la révolte dans un camp. Nous étions deux femmes pour ce rôle et finalement, c’est moi qui ai été retenue. Ma fille qui était encore au bibéron est restée avec mon mari afin de me permettre de tourner le film. D’ailleurs, à quoi ça sert de vouloir surveiller une femme. Si elle veut te tromper; même devant toi, elle te trompe et ” y a rien ! “. Vraiment, je n’ai pas de problèmes avec mon époux dans ce sens ; il ne fouille jamais mes affairtes; il ne met jamais sa main dans mon sac, il ne prend jamais mes communications. Il n’a jamais aussi diligenté une enquête pour voir ce que je fais pendant mes tournages. Il m’a laissé libre.

Art.: Une femme très Libre ! Ce n’est pas trop risqué parce que tout peut basculer … !
A.K. : (rires) . Oui ! Mais vous savez que ce n’est pas si facile pour les artistes ! C’est vrai qu’il y a des tentations et les pressions viennent de toutes parts mais on se maîtrise. C’est difficile pour les artistes d’avoir un comportement “femme-foulée” c’est-à-dire, une femme qui trompe son mari. C’est assez difficile pour nous artistes parce que nous sommes facilement repérables.

Art.: Et pourtant, les gens pensent que c’est le métier où il y a trop le “laisser aller”; on a toujours développé une certaine méfiance à l’endroit des artistes. Comment vous l’expliquez ?
A.K. : C’est vrai qu’il y a des hommes qui le disent. J’ai personnellement entendu quelqu’un dire : ” Ah ! Moi, si c’est une artiste, je n’en veux pas ! ” J’avoue que le propos m’a choquée mais je me suis tout suite consolée en disant que c’était un homme simplement jaloux. Effectivement, les gens n’ont pas confiance aux femmes artistes; mais c’est une erreur ! Je dis que c’est une erreur parce qu’il n’y a pas plus sérieuse qu’une femme artiste. Il en est de même pour les hommes artistes. Quand un artiste demande la main d’une fille, vous entendez murmurer dans les rangs: “pardon…, qu’est-ce qu’il dit ? Celui-là …? un chanteur …?; ma fille à un comédien … ?” . Je crois que ceux qui le disent ont tort. Il faut que les gens sachent que nous sommes comme les autres professionnels des métiers. C’est vrai, il y a des gens qui nous font des compliments, qui nous adressent de petits d’encouragements ou qui nous félicitent par des SMS ou des lettres; mais ça s’arrête là !. Toutefois, je reconnais aussi qu’il y en a qui nous font réellement la cour !

Art.: Et ils sont au sérieux ?
A.K. : Bien sûr qu’ils sont au sérieux ! Mais généralement, quand le décor se présente comme ça, nous savons comment nous en tirer sans frustrer.

Art.: Même sans frustrer, vous n’avez pas peur de perdre le casting ou de ne plus être rappelée au prochain tournage ?
A.K. : Je préfère perdre le casting !; je refuse de tels contrats ! Là, je ne suis pas d’accord ! D’ailleurs, dans un tel cas de figure, il n’y a pas seulement que les artistes. Il y a aussi des filles qui sont en quête de boulot et qui vivent de pareilles situations; c’est plein aujourd’hui. Tout dépend de la personnalité de chacune. Certaines acceptent et tandis que d’autres refusent. Les exemples sont pleins. D’ailleurs, j’ai entendu d’un réalisateur étranger dire lors d’un FESPACO : ” Moi, je vends mes rôles “. Je passais juste à côté et je l’entendais parler ainsi. Voilà un réalisateur avec qui par exemple je ne pourrais pas travailler parce que je n’acheterai jamais ses rôles aussi !. C’est domage qu’il y ait des filles qui acceptent n’importe quoi pour avoir des rôles. Pire, sur toute la chaîne, du technicien en passant par le gardien ou l’agent de liaison, chacun se prend pour quelqu’un d’important et se dit capable de t’aider à avoir un rôle. Pour peu que tu les croies ou que tu prêtes le flanc, ils veulent aussi tenter leur chance. C’est terrible notre milieu !

Art.: Dans quel rôle vous vous sentez à l’aise pour interpréter un personnage ?
A.K. : Aujourd’hui, Je suis atteinte par la limite d’âge, il faut le dire comme ça ! Je veux dire qu’il y a des rôles que je ne peux plus jouer. Par exemple, être dans le rôle d’une fille de 25 ou de 30 ans ! ça va être difficile.

Art.: Même avec le maquillage ?
A.K. : Même avec le maquillage ! . je ne peux plus ; soyons réaliste ! (rires) . Le rôle qui sied avec mon âge actuel c’est d’incarner un personnage d’une femme africaine respectable, un rôle qui va dans le sens de la bonne éducation qu’une mère peut donner à son enfant, le rôle d’une bonne épouse ou d’une grand-mère. Il y a des rôles qu’on ne peut plus me confier même s’ils me tiennent à cœur. Les réalisateurs eux-mêmes vont même me les refuser parce qu’ils me diront : « nous n’avons pas une maquilleuse qui puisse vous donner l’aspect d’une fille de 18 ans (Rires).

Art.: Rassurez-vous madame ! Vous êtes toujours jeune et vous pouvez encore faire des Jaloux. Alors est-ce qu’on peut dire que Aï KEITA est une comédienne bien comblée ?
A.K. : Oui, comblée en partie parce qu’Il y a beaucoup de choses qui manquent. A quelque part, je suis déçue. Les réalisateurs ont tendance à nous délaisser. Je ne finirai pas d’en parler .Quand ils ont les financements, ils font des castings de complaisance ; Ils se font souvent du tord puisqu’à la sortie du film, les résultats sont là ; ils se rendent compte que le rendu de leur film est en deçà de leur attente. Ils sont mécontents et frustrés quand on leur fait des critiques. Mais on est désolé parce que c’est la réalité comme ça ! Il faut faire les choses selon les règles de l’Art ; c’est-à-dire, donner le rôle qu’il faut au comédien ou à la comédienne qui peut faire le boulot. Je prends un exemple ; mais je m’excuse déjà si cela s’apparente à une xénophobie. Ce n’est pas la bonne compréhension. Quand les réalisateurs amènent des comédiens étrangers pour leur film.; vous les entendez déclarer sans gêne à la presse : « cette fois-ci, je ne travaille qu’avec des professionnels » Je trouve que c’est pousser le bouchon un peu loin ! Est-ce une manière de saboter les comédiens nationaux ? Ce sont des propos pour ma part qui choquent et qui révoltent. Ne pas nous retenir dans un film, c’est de leur droit mais nous saboter de la sorte est une autre chose. Pourtant, quand ils n’ont pas d’argent, ils nous font appel. Ils disent : « ma sœur, ma tantie ou mon frère, vraiment mon budget est limité ; aide moi à réaliser mon film ; je pourrai te donner tant de francs. » Nous acceptons parce que nous comprenons la situation. Mais lorsque les financements sont là, je vous en prie “pensez aussi à nous; faites nous appel ! “. Quand ils disent « cette fois, je n’ai fait appel qu’aux professionnels … » et pourtant, c’est grâce aux “non professionnels ” que certains d’entre eux ont eu l’Etalon d’Or de Yennenga.
Ensuite, il y a comme une sorte de discrimination, une inégalité dans le traitement des cachets des comédiens. Prenons un exemple. Deux comédiens (un local et un étranger) ; ils ont presque le même dialogue avec le même temps de tournage. Vous constaterez que le cachet du comédien étranger est à près de 1 à 3 000 000 tandis que le local est à 500 000 frs sinon un peu moins.

Art.: Le comédien étranger n’étant pas chez lui peut souffrir du climat et bien d’autres difficultés telles la restauration, les frais d’hôtel. Il ne peut pas être comparé à un comédien qui est sur place. Il en est de même pour le cachet.
A.K. : Non ! Non ! Il est logé et nourri ; ça n’a pas de lien avec son cachet. iI faut que nos réalisateurs arrêtent ce genre de discrimination sur le traitement des comédiens parce que ça ne fait pas bien ! Quand on parle, ils ne sont pas contents. Je ne sais pas pourquoi, ils ne veulent pas que nous gagnons ? Je ne comprends pas ! Paix à son âme, Sembène Ousmane a été correcte avec les comédiens et ils les payaient très bien. Pour un long métrage, Sembène prend 4 mois pour le réaliser. Ici, nos réalisateurs prennent 5, 6 mois pour le faire et ça fatigue le comédien. Quand on met trop de temps sur le plateau, la fatigue se fait sentir sur les visages. Or, lorsqu’un comédien est fatigué ou qu’il a faim, cela joue aussi sur le film.
il faut aussi que le comédien mange bien. Quand l’homme a faim ou fatigué, il n’est plus rentable. Il faut bien nourrir les comédiens ; c’est important. C’est bien dommage que certains réalisateurs négligent cet aspect. Même pour des boissons sucrées, il y a des réalisateurs qui ne veulent pas débourser un centime ! Je souhaite que tous ceux qui me liront prennent mes propos en bien parce que c’est dit dans le sens de l’amélioration. C’est un cri de cœur !. En principe, quant on projette un film à l’écran, le réalisateur doit être fier. Dans un film, au-delà de l’histoire, il y a la technique, le jeu des comédiens, la beauté des comédiens, bref… quand un film est beau, même quand l’histoire est nulle, le public reste accroché jusqu’à la fin.

Art.: ça fait longtemps que nous ne sommes plus dans les compétions internationales, les festivals de Cannes par exemple.
A.K. : Voilà ! Vous allez nous faire dire toutes les vérités et c’est nous qui récoltons les pots cassés. Pour ma part, nos échecs ne sont qu’apparents. Le problème n’est pas ailleurs; il est ici !. C’est le résultat de petits conflits, de « petits coups bas » internes au sein même des acteurs du cinéma. En fait, il ne reste plus qu’à sortir les couteaux pour se poignarder face à face pour que le citoyen Lamda découvre les réalités. Le climat n’est pas si saint entre réalisateurs, ce n’est pas rose du tout. En clair, les réalisateurs ne s’entendent pas ! C’est le mot ! S’il y avait l’entente et la solidarité entre les acteurs du cinéma, nous aurions pu continuer à présenter des films à Cannes.
Mais avant de terminer, je demande au ministère de la Culture de faire confiance à nos réalisateurs et de les aider a travailler. En retour, il faut que les réalisateurs soient plus sérieux et qu’ils travaillent à mériter la confiance que le Ministère a placée en eux surtout quant ils reçoivent des financement.
Enfin, je souhaite que nous comédiens, soyons solidaires. Il faut qu’on s’entende; il faut qu’on valorise notre métier en faisant en sorte que les réalisateurs ne nous divisent pas autour du gain pour mieux régner. Ne soyons pas des ” comédiens de 10 000 frs ” !
Merci pour être venu me voir

Patrick COULIDIATI

Leave a comment

Send a Comment

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *