Sidiki BAKABA : "L’acteur est très banalisé dans notre cinéma"

Sidiki BAKABA : "L’acteur est très banalisé dans notre cinéma"

Si les acteurs n’ont pas encore eu leur place ici, c’est qu’il y a injustice ou mauvaise interprétation du rôle de l’acteur. En Afrique, l’acteur c’est quelqu’un qu’on prend dans la rue et qu’on met devant la caméra et c’est le réalisateur qui compte. Ouagadougou par exemple a été pendant longtemps un cinéma de réalisateurs mais pas d’acteurs. Avec le film “BAKO”, nous avons attiré des foules de ouagalais à l’hôtel Indépendance. Dès que je suis là, tout le monde est là. Le public n’est là que pour moi. Certains réalisateurs ne voyaient pas cela d’un bon œil à l’exception des grands comme Moustapha DIOP auteur du film “le médecin de Gafiré”, “Mami Wata” tourné dans le nord du Burkina et “DESSEBAGATO” qui a été la première coproduction entre le Burkina et Cuba avec d’un côté, le camarade Thomas Sankara et de l’autre, Fidel Castro. J’ai eu le privilège aussi de jouer le premier rôle dans “DESSEBAGATO

Sidiki BAKABA accueilli aux celebrities days

L’acteur est très banalisé dans notre cinéma. On se dit que ce n’est pas important, on met le nom du réalisateur en haut et les noms des acteurs (la plupart des amateurs) à la suite. On nous disait de ne pas faire de cinéma de stars à Ouaga et je me suis battu pour que l’acteur ait réellement sa place parce que notre métier d’acteur est plus ancien que celui des réalisateurs. Grâce à Philippe SAVADOGO, lorsqu’il était aux commandes du FESPACO, il a décidé de faire connaître les acteurs. Habib BENGLIA, le premier comédien noir jouait dans les années 1924. Il y en a eu d’autres tels Douta SECK, Bachir Touré, Robert Lionsol. C’est ainsi qu’on a eu des prix d’interprétation dont le premier pour toute la première fois, a été décerné à une jeune fille “Wendkuuni”, une actrice du film de Gaston GABORE. Puis, Philippe SAVADOGO a invité pour la première fois tous ces monuments du cinéma dont je viens de vous citer à Ouagadougou autour de la piscine de l’hôtel Indépendance.

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Si l’art ne nourrit pas encore son homme au Burkina, c’est que l’industrie cinématographique ne s’est même pas développée de sorte à pouvoir nourrir son homme. Les réalisateurs même vivent très difficilement. J’en eu la preuve lorsque j’ai voulu réaliser mon  film. Et Thomas SANKARA disait en ce temps qu’il faut absolument réaliser des films où on ne regarde pas seulement l’Afrique rurale mais aussi l’Afrique moderne. C’est avec le soutien de mes camarades et amis du Burkina que j’ai pu tourner mon premier long métrage qui s’appelle “Les guérisseur”. Pour la circonstance, le gouvernement burkinabé a dépêché en Côte d’Ivoire, le doyen des cameramen, THIOMBIANO (paix à son âme”). Il est arrivé à Abidjan avec une caméra 35 mm toute neuve pour tourner mon film. Je profite encore dire merci au Burkina Faso.

” La crise financière qui secoue le cinéma est une crise de volonté culturelle et politique “

Mon premier FESPACO était en 1969. J’étais de passage avec la troupe de Côte d’Ivoire et j’ai entendu dire que des cinéastes africains SEMBENE Ousmane, Oumarou GANDA, Désiré Carré, Timité BASSORI étaient là pour fêter la semaine du cinéma africain. Je suis resté et j’ai pu voir quelques films avant de continuer notre tournée théâtrale. De retour en 1977 avec le film “BAKO”, j’étais heureux de voir ce pari gagner du terrain. Les gens se demandaient comment on pouvait faire un festival dans un pays où il n’y a même pas la mer. De régime à régime donc, le Burkina a maintenu le pari et les réalisateurs ont toujours été là pour présenter leurs films. Je voyais enfin naître la fête du cinéma comme à Cannes. C’était lent à démarrer parce que sans acteurs professionnels, sans stars, c’est un cinéma sans visage, un cinéma presque sans âme. Le public aurait été heureux de voir de grands acteurs tels que Douta Seck, Bachir TOURE, qu’on n’écoutait qu’à la radio à partir des pièces radiophoniques. C’est par ce canal également que j’ai aussi appris à les connaître avant de les voir en chair et en os et avant d’avoir eu la chance de jouer avec eux. Souvent on découvre des comédiens magnifiques et après ; on ne les voie plus parce que les réalisateurs avaient une certaine réticence à les utiliser ; peut-être, de peur que les gens ne disent “on ira voir le film de tel ou de tel acteur”. Je crois que les réalisateurs n’aimaient trop cela. Du coup, on n’a pas de stars, on n’a pas une industrie cinématographique développée, les salles ne sont pas fréquentées à souhait pour que les producteurs trouvent de l’argent et que les acteurs soient à leur tour rémunérés et qu’ils puissent vivre réellement de leur art.

Oui ! Notre cinéma balbutie. Mais avec la deuxième édition des “celebrities days”, il y a beaucoup d’espoirs et c’est à l’honneur de Gorette Paré l’initiatrice de cet évènementiel. Je crois que quelque chose d’important est en train de naître.

La crise financière qui secoue le cinéma est une crise de volonté culturelle et politique, une crise de manque d’ambition parce que ce qui rapporte le plus d’argent, c’est le cinéma. C’est avec le cinéma qu’on s’impose dans le monde entier. Si dans la rue, tout le monde est en jeans, c’est le cinéma qui fait cela. L’Amérique nous vend sa culture et son image et impose ce qu’ils ont envie d’imposer à travers le cinéma. L’Afrique est un continent très riche et il faut que nous sachions que faire de notre richesse.

Je suis donc très optimiste quant à l’avenir du cinéma africain avec les courts métrages burkinabè que j’ai vus dans quelques festivals en Europe. Ils sont nombreux les jeunes Ivoiriens ou sénégalais qui excellent dans la réalisation. Ils vont plus loin que nous, les anciens (comme ils nous appellent) et j’adore cela. Avec la nouvelle technologie, ce ne sera plus un cinéma balbutiant.

“Dans le domaine du cinéma, il faut vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tuer”

Il faut qu’ils comprennent que l’industrie du cinéma apporte plus d’argent que l’or, le diamant, les armes et le pétrole. Il n’y a que l’image qu’on utilise partout, dans la science, dans l’armée. Pour vendre, on a besoin d’images. C’est ce qui rapporte le plus d’argent. Je leur demande d’ouvrir leurs yeux, de faire confiance à ceux qui ont du talent. Qu’ils mettent désormais l’argent dans le cinéma. Mon premier film a coûté un milliard de francs CFA avant la dévaluation. C’est l’équivalent de deux milliards aujourd’hui. Grâce à mon épouse Ayala BAKABA, Alain DEPARDIEU, Berthe Buschi et le soutien du Burkina Faso, j’ai réalisé ce pari. Le film a été amorti avant même sa sortie à l’écran. Au Cinéma, c’est comme on le dit, il faut “vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué”.  On vend le film avant sa sortie avec des noms de stars et des talents. L’Afrique manque de tout, sauf des talents.

Et à ce propos justement de talents, je vous informe que nous venons d’avoir en Côte d’Ivoire un colloque qui porte sur ma carrière. D’imminents professeurs d’université (34 ) venus d’un peu partout, y ont participé. C’est encourageant pour beaucoup de jeunes et je partage cet honneur à tous ceux qui nous ont quittés et qui n’ont pas eu cette chance. Je ne suis que leur ambassadeur.

ArtistesBF

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