Winson Emmanuel GOABAGA, SG/MENA

Cette semaine, nous déroulons notre tapis au Ministère de l’Education Nationale et de l’Alphabétisation (MENA) à travers un invité peu connu du monde du SHOW BIZ et des acteurs culturels. Loin des caméras, des projecteurs et des microphones, cet homme est pourtant de par ses missions, un acteur clé dans la promotion des pépinières culturelles du Burkina Faso.
Diplômé de l’Institut International de Planification de l’Education de Paris, notre invité est un homme discret, accessible, très croyant et évidemment, un grand consommateur de produits culturels. Son choix au poste de Secrétaire Général en juillet 2011 au Ministère de l’Education Nationale et de l’Alphabétisation (MENA) par la Ministre Koumba BOLY, n’est donc pas surprenant. Winson Emmanuel GOABAGA (puisque c’est de lui qu’il s’agit) est secrétaire Général du MENA, chargé de la planification, de la coordination et de la mise en œuvre de la politique du Ministère en matière d’Education et d’Alphabétisation.
A quelques jours de la rentrée scolaire 2014-2015, nous l’avons rencontré pour échanger sur l’éducation et la culture. Par cet entretien, nous avons voulu ouvrir notre page à ce ministère peu médiatisé et qui pourtant est une pépinière du savoir et de talents culturels.Que fait particulièrement ce Ministère au moment où on parle de plus en plus d’intégrer des modules culturels dans les systèmes
d’enseignement ? Aussi, l’état des lieux du transfert des collèges au MENA, l’incivisme et la violence à l’école sont autant de sujets que nous avons également abordés avec notre invité.
Winson Emmanuel est marié et père de 7 enfants; il est Chevalier de l’ordre des Palmes Académiques, Chevalier de l’Ordre National et Officier de l’Ordre National.
Avec tout ce mérite et ces distinctions honorifiques, nous restons convaincus que le meilleur reste encore à venir pour cet homme qui a montré depuis sa nomination à son poste actuel, qu’il est vraiment l’homme du consensus. En tout cas c’est notre vœu et nous le recommandons aux plus hautes autorités de notre pays.
Enfin, voici en intégralité l’entretien qu’il nous a accordé :


Artistebf (Art.:) Vous avez un look qui ne passe pas inaperçu de vos proches; c’est le port du tissu “faso dan fani”. Que voulez-vous traduire à travers cet engouement pour la cotonnade ?

Winson Emmanuel GOABAGA (W.E.G) : Pour ce qui est du port du Faso Dan Fani, la réponse est personnelle. J’ai toujours aimé le Faso Dan Fani parce que je le trouve très pratique. 70% de mes tenues sont en Faso Dan Fani. C’est vrai qu’au temps de la révolution, on l’imposait aux gens mais j’avoue que je n’en ai pas souffert parce que c’est mon tissu préféré.

Art.: A votre porte, nous n’avons pas vu de protocole fixant les heures d’audience comme c’est le cas dans de nombreux services; est-ce un signe qui montre que vous êtes réellement accessible ?

W.E.G : Tout à fait. Quand je suis arrivé, il y avait en effet des horaires de réception. Du genre ” le Secrétaire Général reçoit de 9h à 10h”. De grâce ! Si quelqu’un a eu le courage ou un problème qui l’a amené jusqu’au Secrétariat Général, je crois qu’on doit lui accorder de l’attention. Pour ce qui me concerne, si je suis là, même si je suis sur un dossier corsé, je pense que je peux le recevoir. C’est pourquoi d’ailleurs, je me suis donc débarrassé de ce protocole de restriction d’accès;et jusque-là, ça fonctionne bien.

Art.: Nous constatons également que vous êtes un familier des TIC. A chaque fois que nous vous envoyons un mail, vous répondez presqu’aussitôt; ce qui traduit véritablement votre intérêt pour l’outil internet. Quel pourrait être aujourd’hui l’importance de cet outil pour un responsable comme vous ?

W.E.G : Là également, vous mettez le doigt sur une pratique qui devrait être la-nôtre à tout moment. Nous sommes dans le domaine des TIC et je communique beaucoup, surtout avec mon Ministre via l’outil internet. A tout moment, si la Ministre a des instructions à nous donner, c’est par messagerie électronique qu’elle le fait. C’est automatique et c’est même instantané. C’est encore plus important quand elle est surtout en mission. Grâce à l’outil internet, nous continuons de travailler comme si de rien n’était et les dossiers ne traînent pas. Personne n’ignore aujourd’hui l’importance de l’outil internet qui s’impose à nous et qui rentre de plus en plus dans nos habitudes de consommation.

Art.: Aujourd’hui, plus que quiconque vous comprenez mieux la psychologie de l’enseignant. Quelle image réelle avez-vous de l’enseignant ?

W.E.G : Les enseignants sont des hommes courageux, des hommes et des femmes engagés pour le développement de la nation nonobstant les difficultés. C’est vrai, leur tâche n’est pas sans difficultés parce que nous sommes dans un monde en perpétuel changement où l’argent devient la source de tout ou si vous voulez, “le nerf de la guerre” comme on le dit. J’ai été moi-même enseignant et à notre temps, nous avons fait près de 6 mois sans salaire mais cela ne nous a pas empêché d’être à l’aise et de toujours montrer bonne mine parce que tout simplement, l’enseignant était l’hôte de tout le village. Les aînés qui connaissaient bien notre situation n’hésitaient pas à nous soutenir moralement, matériellement et même financièrement.

Art.: Il est question de plus en plus du transfert du post- primaire et du premier cycle au MENA, quel est l’état des lieux à cette date ?

W.E.G : C’est le 05 juillet 2013 précisément que le Conseil des Ministres a décidé du transfert du post primaire et du pré-scolaire au MENA. Un comité inter-ministériel a été mis en place regroupant le MENA, le MESS le MASSN, la Fonction Publique, le Ministère de l’Economie et des Finances et bien sûr, toutes les institutions impliquées dans le processus de transfert.A cette date, nous avons reçu du MESS le transfert de 350 CEG. Avec la rentrée prochaine, ce nombre va évoluer parce que nous avons en projet la construction d’une quarantaine de CEG. En collaboration avec la fonction publique, nous allons recruter du personnel en plus de celui que nous avons déjà reçu.

Art.: Au niveau de l’organigramme, qu’est-ce qui va fondamentalement changer ?

W.E.G : Parfait ! Nous avons eu un nouvel organigramme depuis 2013 qui a été déjà adopté. Cet organigramme redéfinit les missions du MENA . De nouvelles directions ont été créées telles la Direction Générale pour le développement du post primaire et des directions de coordination.

Art.: Le niveau actuel de l’enseignement primaire est très critiqué; comment relever le niveau des élèves ?
W.E.G : Bon ! Si nous comparons l’enseignement d’aujourd’hui et celui d’il y a 20 ou 40 ans, il y a un net changement. Mais quelle est la bonne mesure pour apprécier objectivement ce changement ? Je sais qu’il y a 20 ans de cela, personne ne manipulait un téléphone portable. Aujourd’hui, donnez un téléphone à votre enfant, laissez-le faire et vous comprendrez que les choses ont évolué. C’est déjà un signe très important. Bien que l’enseignement des TIC ne soit pas encore une réalité dans les écoles mais il est réjouissant de constater que les enfants ont une bonne longueur d’avance dans ce domaine.
La baisse de niveau des élèves est une réalité; d’ailleurs, pouvait-il en être autrement dans la mesure où le maître même s’exprime difficilement. Si le maître lui-même a des lacunes, il ne pourra que les transmettre aux élèves; c’est regrettable ! La situation est très criarde. Aujourd’hui, les enfants n’aiment plus lire. C’est pourquoi au niveau du MENA, nous avons institué des clubs de lecture pour inciter les élèves à la lecture. Mon appel est pressant afin qu’on puisse mettre l’accent sur la qualité de l’enseignement à travers la formation des formateurs.
Aussi, nous réfléchissons sur la perspective de trouver de nouvelles formules pour les épreuves de recrutement de nos enseignants. Les tests psycho-techniques ont fini par montrer leur limite. Je crois qu’il faut changer le fusil d’épaule, c’est-à-dire en collaboration avec le Ministère de la Fonction Publique, nous voulons trouver d’autres systèmes d’évaluation plus efficaces à même de nous permettre de retenir les meilleurs candidats avant de les envoyer en formation.
Enfin, dans le souci de toujours améliorer la qualité de l’éducation, nous avons décidé de relever le niveau de recrutement des enseignants en exigeant désormais le niveau BAC.

Art.: Le MENA, c’est aussi l’éducation non formelle. Aujourd’hui, on a comme l’impression que le programme alpha connaît des difficultés avec surtout le départ de l’OSEO (Coopération Suisse au Développement qui soutenait principalement le programme) et la fermeture des unités d’imprimerie de l’ex-IPB et de l’ex-INA. Qu’en est-il du programme Alpha ?

W.E.G : En fait, le programme alpha n’a pas de problèmes. L’OSEO, aujourd’hui « SOLIDAR-SUISSE », n’a pas abandonné l’alphabétisation puisqu’il nous accompagne toujours. Le programme alpha j’allais dire connaît une bonne progression avec surtout le FONAENF (Fonds pour l’Alphabétisation et l’Education Non Formelle) que nous avons mis en place et dans lequel nous injectons près de 6 à 7 Milliards de francs CFA. A côté du FONAENF, nous avons le programme National d’Accélération de l’Alphabétisation (PRONAA) dont l’objectif est d’atteindre 60% du taux d’alphabétisation d’ici 2015. C’est un programme d’alphabétisation qui rentre en droite ligne de la SCADD.

Art.: Quelles sont les mesures prises pour remettre sur pied ces deux unités d’imprimeries dont la fermeture a mis en chômage plusieurs ouvriers ?

W.E.G : Pour les deux imprimeries de l’Institut National d’Alphabétisation et de l’ex-Institut Pédagogique du Burkina, c’est un problème qui revient sur la table à chaque fois que nous montons le budget. Chaque année, nous essayons de montrer le volume de recettes que ces imprimeries peuvent apporter au MENA. Pour les remettre à jour, nous avons monté un dossier que nous avons transmis au Ministère des finances pour suite à donner.

Art.: Le MENA, c’est également la bonne gouvernance. Qu’est-ce qui est fait pour permettre une meilleure transparence dans la gestion de la chose publique et des ressources humaines?

W.E.G : Merci beaucoup pour cette question sur la gouvernance. Au MENA, on n’affecte pas le personnel pour un “oui” ou pour un “non “comme vous le dites (Rires). Je crois que pour cette question, nous essayons d’être objectif, être assez analytique sur ce qu’on nous dit avant de prendre la décision. D’ailleurs, une affectation n’est pas une sanction. On affecte les gens pour un meilleur rendement. Quand on sait qu’une personne ne s’épanouit pas dans le poste où il est, il est bon de lui permettre d’aller s’épanouir où on pense que ses compétences peuvent être mises en valeur. Mais il arrive que quelqu’un pour une raison ou une pour autre soit obligé de se déplacer. Souvent, l’agent n’est pas content mais nous savons qu’une fois installé dans le poste, il trouvera satisfaction sinon nettement mieux que l’ancien poste. Mais dans tous les cas, quand un agent n’est pas satisfait, nous le conseillons toujours de rejoindre le poste avant de voir ce qu’il y a lieu de faire.
Au MENA, la question de la gestion du personnel, plus précisément la gestion des ressources humaines est notre cheval de bataille parce que nous savons que si nous ne mettons pas notre confiance sur les hommes qui travaillent avec nous, nous ne pourrons pas réussir. Mais si chacun est à l’aise à son poste, généralement, nous atteignons nos objectifs.

Art.: Dans le même sens, il existe des couples qui souffrent énormément du fait de la séparation des conjoints; le mari est en service au Nord pendant que la femme se trouve à l’Ouest. N’est-ce pas un problème ?

W.E.G : C’est un problème sérieux et récurrent que nous connaissons au MENA. Vous savez que la fonction publique avait décidé de faire les recrutements régionaux pour pourvoir en personnel dans les différentes régions. Parmi les secteurs privilégiés, l’enseignement et la santé figuraient en bonne place. Dès l’arrivée de Madame la Ministre, le problème a été posé. La réponse qu’elle a donnée à cette question, c’est de voir comment alléger la durée de service dans la région (puisqu’il était question que l’agent recruté au compte d’une région reste pour y faire carrière jusqu’à la retraite). Si vous êtes recruté pour la région de l’Est, vous y resterez jusqu’à la retraite. Consciente des difficultés pratiques d’une telle mesure, madame la Ministre et son collègue de la Fonction publique ont préconisé qu’on puisse permettre un rapprochement des couples. Les négociations avec les partenaires sociaux et la fonction publique ont permis de ramener à six ans le temps de service dans une région; ce qui veut dire que si vous êtes affecté dans une région, vous devez servir six ans avant de demander une mutation pour une autre région. Ce qu’il faut aussi savoir, c’est que la fonction publique ne recrute pas sur la base du social. “L’époux est là, il faut forcément que l’épouse y soit aussi”. Si nous procédons ainsi, nous passerons à côté de nos objectifs. La gestion des ressources humaines, c’est vraiment notre plus grand souci et nous sommes aussi sensibles sur la question. Nous essayons autant que faire se peut de faire de notre mieux.

Art.: Ces dernières années, l’incivisme gagne nos lycées et nos collèges; qu’est-ce qui est fait au niveau de l’éducation pour cultiver la tolérance et la non-violence à l’école primaire ?

W.E.G : Là également, vous mettez le doigt sur un problème national. L’incivisme ne concerne pas seulement les enfants; les adultes mêmes sont interpellés. Sortez sur la voie et voyez comment les gens circulent. Bien que le feu soit rouge, un usager viendra se faufiler pour se frayer un passage et continuer; c’est un exemple qui n’est rien d’autre que de l’incivisme. Ce problème d’incivisme interpelle tout citoyen; à commencer par les parents qui laissent tout à la charge de l’école. Il faut que chacun sache que l’éducation de Base commence à la maison et avec les parents.Au niveau donc du MENA, nous voulons mettre l’accent sur l’éducation civique et morale.
En partenariat avec le ministère en charge des Droits Humains et de la promotion civique, le MENA a conçu un manuel de formation en civisme et droits humains qui sera utilisé par les écoles dès la prochaine rentrée scolaire. Mais encore une fois, je dis que ce n’est pas l’aspect théorique qui est important mais c’est surtout le côté pratique.

Art.: Quels sont les garde-fous pris pour éviter les risques de soulèvement collectifs liés au frottement des collégiens avec les petits du primaire jusque-là passifs ?
W.E.G : L’effet de masse entraîne les enfants dehors lors des manifestations. Pour éviter cela, je crois pour ma part qu’il faut mettre l’accent sur l’éducation civique sur le respect du règlement intérieur.

Art.: La culture étant le socle de tout développement, qu’est-ce qui est également fait au niveau du MENA pour promouvoir la culture à l’école primaire ?

W.E.G : Vous mettez encore le doigt sur une des missions du Ministère qui n’est pas, c’est vrai de former des artistes mais de semer la graine de la valeur culturelle chez l’enfant; c’est vraiment très important ! C’est la raison pour laquelle nous avons au niveau du Ministère, une direction qui s’occupe du sport et de la culture à l’école primaire. Cette direction a pour mission d’accompagner les régions, les provinces et les circonscriptions d’éducation de Base dans la mise en œuvre de certaines activités qu’elles soient sportives ou culturelles. Quand vous avez la chance de tomber sur certaines prestations, vous sentez réellement que l’Art est en train de s’enraciner. Je crois qu’il faut persévérer dans ce sens parce que nous avons beaucoup d’artistes parmi nos enseignants et dans toutes les catégories : peintres, musiciens, écrivains etc. En tout cas, il y a suffisamment de la matière au MENA pour assurer la relève.

Je voulais juste insister sur le sacerdoce du métier d’enseignant à l’adresse de nos jeunes collègues et collaborateurs. Le métier d’enseignant est un métier dont on ne finira pas de payer la dette. Que vous soyez infirmier, enseignant ou docteur, derrière votre réussite, il y a toujours un enseignant qui s’est sacrifié. Quand un enseignant est devant son cahier de préparation ou qu’il est en classe, qu’il sache que c’est l’avenir de tout un peuple qui se construit. Je n’imagine donc pas qu’il y ait des enseignants qui viennent en classe sans préparation. C’est véritablement mon cri de cœur. Croyez-moi, l’enseignant qui se sera sacrifié pour un enfant sera toujours récompensé.
Enfin, je voudrais assurer Artistebf que nous sommes très content de son initiative. Nous souhaitons que le journal connaisse une prospérité et gagne plus audience. C’est aussi votre pierre à la construction de la nation et nous prions Dieu que votre journal soit véritablement la pierre angulaire.
Septembre 2014
Partick COULIDIATY

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