Béatrice DAMIBA, Présidente du Conseil Supérieur de la Communication

Béatrice DAMIBA, Présidente du Conseil Supérieur de la Communication

Cette semaine, Artistebf est allé à la rencontre d’une dame et pas des moindres connues surtout des burkinabé pour son engagement politique. Journaliste de profession, Madame Béatrice DAMIBA puisque c’est d’elle qu’il s’agit, ne s’est véritablement révélée dans le milieu politique qu’en 1984. Nous pouvons même dire que sa plume de journaliste ne l’a servie en définitive que 5 ans.

Béatrice DAMIBA (B.D.) : Comme vous le savez, je suis la présidente du Conseil supérieur de la communication (CSC). Nommée le 8 juillet 2008, j’exerce la fonction depuis octobre 2008. Je suis journaliste de formation. J’ai fait le terrain pratique successivement comme Rédacteur au Bulletin Quotidien et à Carrefour Africain de1979 à1982, Rédacteur en chef adjoint de l’hebdomadaire Carrefour Africain (1982-1983), Attachée de presse du Premier ministre en 1983, Rédacteur en chef du quotidien national Sidwaya en1984.
Au plan administratif et politique, j’ai été Haut- commissaire de la province du Bazéga de1984 à1985, Ministre de l’Environnement et du Tourisme de 1985 à1989, Ministre de l’Information et de la Culture de 1989à 1991 et Conseiller en communication à la Présidence du Faso de 1992 à 1994.
Puis j’ai servi mon pays successivement en qualité d’Ambassadeur et représentante permanente (FAO, FIDA, PAM) à Rome en Italie, de 1994 à 2003, et à Vienne en Autriche, avec compétence sur l’Office des Nations Unies, l’ONUDI, l’AIEA et l’OTICE.

Politicienne ou journaliste ? On ne saurait mettre sur le même plan un choix d’opinion et un choix professionnel. Il n’y a pas d’antinomie.

Artistebf (Art.) : Comment vous êtes-vous retrouvée dans la politique ?
B.D.: De par ma personnalité, de par mes convictions et de par mon engagement naturel en faveur des causes nobles et justes.

Art : Pourquoi la création du Conseil supérieur de la communication ?

B.D.: Le Conseil supérieur de la communication est une instance de régulation des médias, créé comme bien d’autres similaires, à partir de la décennie 1990 et le retour massif à la démocratie en Afrique. Ce retour à la démocratie s’est accompagné de l’institution de nouveaux mécanismes de protection et de renforcement des libertés publiques au nombre desquels en particulier celui de l’information et de la communication à travers la création des instances de régulation.
L’instance a été créée au départ sous la dénomination de Conseil supérieur de l’information (CSI), par décret du 1er août 95 et remplacé le 28 juin 2000 par la loi n°020-2000/AN.
Et pour mettre l’institution en adéquation avec l’évolution constatée dans les techniques de diffusion de l’information, le Parlement a adopté, le 14 juin 2005, une nouvelle loi avec des innovations dont la nouvelle dénomination de l’instance de régulation qui s’appelle désormais Conseil supérieur de la communication (CSC).

Art : Comment s’exerçait le contrôle de l’Etat sur les médias avant la création du CSC ?
B.D.: Il faut souligner qu’il n’y avait pas beaucoup de médias privés avant la création du Conseil supérieur de la communication. L’Etat avait quasiment le monopole surtout en matière de médias audiovisuels et le gouvernement gérait ces organes de presse selon la politique du moment. Il n’y avait donc pas, ni dans la forme ni dans le fond, une régulation comme aujourd’hui. Je vous ai indiqué plus le contexte de création et l’intérêt des organes de régulation.
De nos jours, on ne parle pas de contrôle des médias mais de régulation, il existe une grande nuance. Par exemple, dans la régulation de l’audiovisuel, on a le respect de la grille des programmes, une analyse des contenus au regard des dispositions légales et règlementaires.

Art : Comment se fait concrètement le contrôle sur les médias ?
B.D.: Parlons de régulation. Elle se fait à travers ce qu’on appelle le monitoring des médias audiovisuels et de la presse écrite. Il s’agit principalement de suivre l’ensemble des médias afin de vérifier :
le respect de la législation et de la réglementation ;
le respect du principe du pluralisme et de l’équilibre de l’information ;
le respect des règles d’éthique et de déontologie ;
le respect des principes fondamentaux régissant la publicité ;
et le respect des droits de la personne humaine.

bea2.jpgArt : N’avez- vous pas l’impression d’être un gendarme pour la presse ?
B.D.: Pas du tout. Le gendarme est un agent de sécurité qui a une mission et des objectifs nobles pour l’accompagnement et la quiétude des citoyens. Le Conseil supérieur de la communication, lui, joue un rôle majeur dans l’élargissement des espaces de liberté et le renforcement de la démocratie puisqu’il protège à la fois le journaliste et le citoyen grâce à des balises et un mécanisme qui rappellent chaque fois que de besoin que notre liberté s’arrête où commence celle d’autrui. Les actions qui sont menées dans ce sens visent davantage à accompagner les médias à travers la formation et la concertation, au besoin l’interpellation. Car réguler, c’est principalement gérer, déterminer, animer, orienter des actions dans un domaine bien précis, au nom de l’Etat, de telle sorte à canaliser les intérêts des citoyens, des opérateurs et de la société dans sa diversité.
Politicienne ou journaliste ? On ne saurait mettre sur le même plan un choix d’opinion et un choix professionnel. Il n’y a pas d’antinomie.

Art : Parlez-nous du rapport annuel que vous remettez au Président du Faso. Si ce n’est pas discret, qu’est-ce qui est dit dedans ? Pourquoi n’est-il pas rendu public ?
B.D.: Au terme de la loi N° O28 citée tantôt, l’institution adresse au président du Faso, une fois par an, un rapport public sur l’exécution de ses missions, décisions et recommandations et l’état des médias au Burkina Faso. S’agissant d’un rapport public, évidemment il est largement diffusé, distribué et exploitable par tous. Mais vous semblez l’ignorer. Sachez que, une fois qu’il est officiellement remis au Président du Faso, tout citoyen peut en disposer pour peu qu’il se rende dans nos locaux. A défaut de repartir avec un exemplaire, il peut exploiter le document au niveau du centre de documentation du CSC.

Art : Vous avez institué la carte de presse en mai 2009. Pouvez-vous dire les raisons qui ont conduit à cette prise de décision ?
B.D.: Lors du lancement officiel de la carte, le 4 mai 2009, je disais qu’enfin « une anomalie est réparée et un vide comblé » aussi bien pour le CSC que pour les professionnels des médias. J’ai conduit à terme un projet qui a été initié par mon prédécesseur avec les différents acteurs de la profession. Il s’agit d’une carte d’identité professionnelle qui permet au journaliste de prouver son activité, d’accéder facilement aux sources d’informations (lieux, personnes-ressources….) et de faire valoir son droit à la protection prévue dans sa profession. C’est un outil de travail, un symbole et une preuve d’appartenance à un corps. Elle permet enfin aux journalistes de mieux se connaître, d’organiser la profession et d’en faire un corps à l’image des autres corps de la société.
Elle pourrait donner droit à des avantages spécifiques en cours de négociations.

Art : Un de nos invités nous disait que la presse privée au Burkina Faso, sur le plan de la fiscalité est considérée comme une entreprise de fabrique de boîtes de tomates. Elle est soumise aux mêmes rigueurs fiscales que les entreprises de fabriques de savonnettes et autres… Avez-vous un plan d’allègement fiscal pour ces organes de presse privés qui ont un rôle d’éducateur, donc différents des autres entreprises à but essentiellement lucratif ?

“De nos jours, on ne parle pas de contrôle des médias mais de régulation, il existe une grande nuance.”

B.D.: Il faut dire que nous souhaitons que les médias privés d’une manière générale et singulièrement les commerciaux se comportent comme des entreprises à part entière. Mais elles ont une spécificité : celle qui consiste à assurer un minimum de service public. De par leur rôle d’information, de sensibilisation et d’éducation des citoyens, elles ne peuvent être mises dans la même catégorie que les autres entreprises. C’est pourquoi, le Conseil supérieur de la communication a toujours fait un plaidoyer auprès du gouvernement pour un soutien accru à la presse. Et vous aurez constaté qu’au fil des ans, le gouvernement consent des efforts pour augmenter l’enveloppe d’aide annuelle à la presse privée. En outre, avec la signature de la convention collective en janvier 2009 sous la houlette du CSC, des démarches ont été entreprises afin que le gouvernement accompagne sa mise en œuvre. C’est ainsi qu’en 2010, le gouvernement a procédé à la détaxe à l’import d’un certain nombre de matériels utilisés par les médias.

Art : Votre passage au ministère de la Culture a été de courte durée de 1989-1991. On n’a pas eu l’impression que le poste vous intéressait vraiment, puisqu’après, vous êtes restée en stand by à la présidence avant d’être nommée au poste d’ambassadeur une année plus tard. N’est-ce pas vrai madame la Présidente ?
B.D.: Je vous corrige car la dénomination exacte était ministère de l’Information et de la Culture. Je m’inscris ensuite en faux sur un soi-disant désintérêt de la chose culturelle mais voudrais vous rappeler qu’il y avait une secrétaire d’Etat à la Culture rattachée à mon ministère en la personne de Madame Alimata Salembéré. Elle gérait plus directement les dossiers culturels pendant que moi je mettais l’accent sur le volet Information.
Ceci étant, je suis fonctionnaire au service de l’Etat et m’efforce de servir au mieux partout où le devoir civil m’appelle.
Aussi au niveau du ministère de l’Information et de la Culture (1989-1991), nous avons pu à deux, avec des collaborateurs dévoués, mener à bien la mission qui nous était confiée.

Art : Entre le cinéma, le théâtre, la musique et le stylisme, dans laquelle de ces quatre disciplines vous plaisez-vous le mieux ?
B.D.: Le cinéma sans hésiter. Il est pour moi à la fois un loisir et la possibilité de rêver, de s’évader tout en ayant les pieds sur terre, donc de pleurer aussi. J’ai toujours dit que si je n’avais pas fait du journalisme, j’allais à coup sûr faire du cinéma.
Au FESPACO dernier par exemple, j’ai pu voir quelques films comme “En attendant le vote… de Missa HEBIE, notre étrangère de la réalisatrice Sarah Bouyain .

bea3.jpg” Mais tant que notre cinéma ne sera pas une industrie qui produit de la marchandise prisée sur le marché international, il aura du mal à être financé puisqu’il y va des bénéfices à en tirer. “

Art : De 1989 à nos jours, avez-vous l’impression que les choses ont beaucoup bougé au niveau de la culture ? Comment appréciez-vous notre industrie culturelle ?
B.D.: Quand on regarde l’environnement culturel de notre pays, l’on se rend compte qu’il est très dynamique. A côté de manifestations d’envergure comme le FESPACO, la SNC, le SIAO, les Kundé et les divers festivals thématiques, nous avons beaucoup d’autres qui embrassent les différentes facettes de la culture. C’est le signe que la culture est très vivante dans notre pays. Les autorités gouvernementales tout comme des personnes et structures privées ont compris la place centrale qu’occupe la culture dans le développement et dans la vie tout court des peuples.
Ces dernières années, on assiste à un incroyable bouillonnement qui fait place à la timidité qui nous faisait envier d’autres pays.
Cependant, l’on doit repenser la structuration de ces différentes expressions afin d’en faire de véritables industries culturelles. Dans beaucoup de pays de référence, la culture est un business à part entière qui, outre ses premières fonctions d’expression de la diversité culturelle, de ferment de l’unité nationale, génère de l’argent. C’est pourquoi, ils travaillent désormais à leur conférer un caractère professionnel : on gagne en matière d’organisation événementielle et on peut surtout arriver à convaincre les bailleurs potentiels et autres sponsors.

Art : Le cinéma connaît en ce moment des difficultés de financement à telle enseigne que les réalisateurs tournent au ralenti. Les hommes d’affaires qui pouvaient relever le défi sont réticents à investir dans le cinéma. Selon vous quelle est la stratégie à mettre en place pour impliquer les hommes d’affaires dans la culture ?
B.D.: Je constate comme vous que le cinéma et bien d’autres domaines de la culture au Burkina Faso souffrent du manque de bailleurs et de mécènes. Notre pays est un grand carrefour culturel et nous devons trouver les voies et moyens pour consolider l’existant et faire émerger d’autres expressions pas encore très connues. L’Etat a naturellement sa partition à jouer mais également le privé.
Vous ne le savez peut-être pas, le Conseil supérieur de la communication veille également au respect par les médias de la législation et de la réglementation en matière de protection et de promotion de la culture nationale. Dans l’accomplissement de cette mission, il dispose d’une commission spécialisée chargée du Suivi de la Promotion culturelle. Le CSC travaille en étroite collaboration avec le BBDA pour la récupération des droits d’auteurs.
Pour le cas spécifique de la production audiovisuelle, l’institution est en train de proposer un avant projet de loi sur la communication audiovisuelle au Burkina Faso. Le CSC est également en train de mener un plaidoyer pour la constitution d’un fonds de soutien à la production audiovisuelle.
Il a décerné pour la première fois un prix spécial au FESPACO 2011 pour encourager les réalisateurs. Mais tant que notre cinéma ne sera pas une industrie qui produit de la marchandise prisée sur le marché international, il aura du mal à être financé puisqu’il y va des bénéfices à en tirer.
Du même coup, nous produirons plus et moins cher et ne serons plus contraints de consommer les productions d’ailleurs qui n’obéissent pas souvent à nos références culturelles.

Art : Votre mot de la fin
B.D.: Je vous félicite pour la création et surtout pour les efforts d’animation du site web des artistes. C’est un outil qui permettra de faire davantage connaître les artistes, de faire la promotion de leurs œuvres en vous ouvrant davantage au monde. Comme vous le savez, le monde est devenu un village planétaire où chacun doit savoir se positionner et surtout pouvoir partager avec les autres. Je me réjouis de votre engagement à montrer que nous devons « être au rendez-vous du donner et du recevoir » au lieu de nous contenter d’être de simples admirateurs et consommateurs.
Merci enfin pour l’occasion qui nous été offerte d’échanger avec vous sur toutes ces questions.

P.K

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