Boureima Jéremie SIGUE, Fondateur des Editions ” LEPAYS”

Boureima Jéremie SIGUE, Fondateur des Editions ” LEPAYS”

Cette semaine, Artistebf est allé à la rencontre d’un homme de culture, un homme très discret et avare en paroles. A l’allure apparemment craintive, Boureima Jérémie Sigué, c’est de lui qu’il s’agit, est pourtant très jovial, ouvert et disponible dès la première approche. Bien au contraire, c’est un homme qui aime titiller et même taquiner une fois la familiarité établie. Mr Sigué est journaliste de profession et fondateur des Editions “LE PAYS” qui se composent d’un quotidien d’informations générales, d’un magazine d’informations culturelles «Evasion», d’un magazine spécialisé «Votre Santé» et d’une Radio “Wend Panga” FM . C’est donc un grand témoin de l’histoire culturelle du Burkina Faso que nous avons rencontré dans le cadre du cinquantenaire de la culture burkinabé. Mais avant tout propos, voici l’identité de notre invité :


Boureima Jéremie SIGUE (B.J.S ) : Je vous remercie d’être venu à moi pour cette causerie amicale et fraternelle. Je m’appelle Sigué Boureima Jérémie. Le journalisme, c’est ce que je sais mieux faire au monde. J’ai fait des études universitaires pour cela. Je suis un diplômé du Centre d’études des sciences et techniques de l’Information de l’Université de Dakar. Je suis marié et père de 4 enfants. Je suis opérationnel en tant que journaliste depuis 1974. J’ai été tour à tour Chef de service, Directeur, Directeur Général. En l’occurrence, j’ai été Directeur de la presse présidentielle sous le régime du Président Colonel SEYE ZERBO, Directeur Général de la presse écrite nationale, Conseiller technique au Ministère de l’Information. Pendant le régime révolutionnaire, je suis reparti à la Présidence en tant que journaliste de la presse présidentielle, Rédacteur en chef de Radio Burkina. J’ai effectué plusieurs missions à l’étranger. En 1986, j’ai été contraint d’aller en exil ; pratiquement 7 ans à l’extérieur. Je dis contraint, parce que la révolution était à mon avis dévoyée, non pas du fait du comportement de la hiérarchie révolutionnaire mais surtout du fait du comportement des animateurs de la révolution, dans la partie inférieure de la pyramide. Il y avait trop d’exagérations, de délation, de calomnie sans qu’il ne vous soit toujours possible de vous expliquer. Donc, finalement je suis parti. En 1987, un changement est intervenu au niveau du Burkina Faso. J’ai d’abord attendu pendant 4 ans, le temps que le brouillard se dissipe totalement. C’est en 1991 quand j’ai regagné mon pays que j’ai fondé le quotidien “LE PAYS”. Voilà succinctement résumé une portion de ma vie. Je suis aujourd’hui Fondateur du Journal “LE PAYS” qui a généré d’autres produits comme “EVASION, « VOTRE SANTE » et une Radio (la radio Wend-Panga).

Artistebf : (Art. ): Contraint à 7 ans d’exil à l’extérieur, c’est beaucoup, c’est même trop pour un ancien fonctionnaire et de surcroît un chef de famille. Dites-nous monsieur le Fondateur, comment vous avez géré ce temps.
B.J.S : Eh bien, fort heureusement, quand je suis allé en exil, j’ai d’abord commencé par tâter le terrain en Côte d’Ivoire à côté (le pays voisin). Avec ma famille, ce n’était pas facile ; mais heureusement encore, j’ai chômé juste une semaine. J’ai été tout de suite recruté par FRATERNITE HEBDO où j’ai travaillé pendant quelques temps. Puis, chemin faisant, j’ai été reçu à un test organisé par une autre maison. Sur la bonne dizaine de prétendants, nous étions 2 à réussir le test. C’était pour le compte d’un grand magazine qui s’appelait “VOIX D’AFRIQUE”. Edité à Paris, le magazine “VOIX D’AFRIQUE” était distribué dans toute l’Afrique francophone. J’ai été plus tard promu au sein de la boîte, Directeur de Rédaction.

Art. : Une autre question à laquelle vous n’êtes pas obligé de répondre. Vous avez été Directeur de la presse présidentielle sous la révolution. N’est-ce pas ? Comment les choses se sont passées au point que vous soyez contraint à la démission ? Avez-vous eu, comme on le disait à l’époque, un comportement “contre-révolutionnaire ?”, réactionnaire pour tout dire ?
B.J.S : Non, je n’ai pas démissionné quand j’étais à la Présidence. J’ai d’abord servi à la Présidence par deux fois. D’abord sous le régime du CMRPN, avec le Président Seye ZERBO. J’occupais en ce temps, le poste d’Attaché de presse puis de Directeur de la presse présidentielle. Quelques temps après, j’ai été nommé Directeur Général de la presse écrite, actuel “SIDWAYA”. A l’avènement de la Révolution en 1984, j’ai été rappelé à la Présidence par le Président Thomas SANKARA. C’était Hubert BAZIE qui était le Directeur de la presse présidentielle sous le CNR. J’étais un élément constitutif du service de presse avec d’autres journalistes comme BESSIA et Taposba Daniel. C’est de là que le Président du CNR m’a envoyé à la Radio comme Rédacteur en chef ; donc Chef de services des Informations. C’était une lourde tâche à l’époque. C’est justement à ce poste que j’ai fini par claquer la porte parce que je ne supportais pas vraiment ce qui se passait au sein de la Radio.

Art. : C’était une folie de jeunesse ?
B.J.S : Non pas du tout ! Non, je ne supportais plus la Révolution telle qu’elle était pratiquée à la Radio. D’abord avant d’aller à la radio, j’avais déjà connu une suspension. Aujourd’hui, quand on parle de suspension, vous les jeunes, vous ne savez pas ce que ça veut dire. J’ai été suspendu 3 fois, des suspensions enchaînées sans qu’il ne me soit possible de m’expliquer. A l’époque, si vous étiez suspendu, vous devez continuer de venir au boulot jusqu’à ce que la suspension soit levée. Vous travaillez sans salaire; vous devrez vous débrouiller pour venir au bureau, vous débrouiller pour repartir chez vous et tout cela sans salaire. Je n’ai donc pas supporté la 3ème suspension et je me suis dis que la 4è suspension ne me trouvera plus au Burkina.(rires). J’avais donc le choix entre me suicider ou m’exiler. Ah oui ! Imaginez un peu ce que ça fait ! quand vous avez une femme et des enfants, et que vous écopez successivement de 3 suspensions sans salaire; les enfants doivent aller chaque matin à l’école et vous ne pouvez plus leur donner même 10 francs (0,015 Euros) pour qu’ils s’achètent des galettes à la récréation. Ça fait beaucoup réfléchir ! Je dois dire même qu’à l’époque, beaucoup de cadres sont partis. Donc, c’est de la radio que j’ai démissionné parce que comme je le disais, le climat n’était plus bon. On devrait applaudir même quand on débitait des bêtises, même quand on n’est pas convaincu de la véracité du propos… Toujours applaudir sinon vous êtes contre la marche radieuse de la RDP. En un mot, il fallait à l’époque, vivre contre ses propres principes. Les choses étaient claires. J’ai compris qu’il fallait faire l’âne pour avoir du foin et moi je n’étais pas prêt à ce jeu. Je suis parti parce que c’était dépersonnalisant, mais retenez que c’était surtout une affaire d’éducation de base. Il y a des choses souvent difficiles à tolérer quant on a reçu une certaine éducation.

Art. : Pourquoi en tant que journaliste, l’idée ne vous est jamais venu à l’esprit d’écrire quelque chose sur cette page sombre de votre histoire, de cette période de galère, ne serait-ce pour le besoin des générations futures ?
B.J.S : Là, c’est une œuvre auto-biographique que vous me demandez de faire. Je crois que les historiens doivent se sentir plus dans l’obligation morale et professionnelle d’écrire les pages de la révolution dans son ensemble pour la postérité. Certainement que beaucoup l’ont déjà fait même si les œuvres ne sont pas jusque-là exposées sur la place publique. Je crois qu’il appartient tout d’abord aux historiens d’écrire cette séquence de la vie nationale. Effectivement, c’était des “années de braises” et je suis d’accord avec toi que cela doit être marqué quelque part aussi bien dans les livres que dans les esprits. Cela dit, je ne vois pas dans quelle mesure mon histoire personnelle pourrait intéresser le Burkinabé, une vie vraiment de souffrance, d’humiliation. Mais aujourd’hui, je prends cela avec beaucoup de philosophie. Je me dis que c’était un plan divin. Certainement que si je n’étais pas passé par cette souffrance, je n’aurais pas réalisé ce que j’ai fait aujourd’hui, en termes de création d’entreprise.

Art. : Est-ce à dire que vous regrettez la Révolution ?
B.J.S : Non, pas que je la regrette! Mais je dis que je ne la maudis pas ! Disons que la Révolution dans sa philosophie, était une très bonne chose. Mais c’est par la suite qu’elle a été dévoyée non pas par la hiérarchie mais surtout par ceux qui étaient au bas de l’échelle et qui s’agitaient un peu trop.

Art. : De Directeur Général, vous êtes passés à Fondateur; Quels sont aujourd’hui vos nouvelles attributions ?
B.J.S : Dans la vie, il faut apprendre à avoir conscience du temps, conscience de la montée des générations. Ceci dit, à partir d’un certain moment, il faut marquer un arrêt, regarder dans le rétroviseur et penser à l’avenir. C’est pourquoi j’ai estimé qu’il fallait que je bouge un peu. J’ai eu le sentiment qu’il était temps de céder la place à mon fils Cheick Beldh’or, qui est un journaliste formé à bonne école, pour qu’il s’assume. Je ne doute pas qu’au niveau du quotidien “LE PAYS”, il existe une bonne équipe rédactionnelle et un collectif d’agents qui sont prêts à l’accompagner dans cette tâche. Cheick Beldh’or a été d’abord formé à l’Université de Ouagadougou avant d’aller à Dakar pour être formé en journalisme. J’ai donc estimé qu’il fallait lui passer le témoin. C’est ce que j’ai fait même si je suis parfois présent dans les locaux. Je veille à distance sans trop m’immiscer dans ce qu’il fait dans le souci justement de lui permettre de bien s’assumer. Mais jusque-là tout se passe bien.

Art. : Quels sont les problèmes qui se posent à la presse privée ?
B.J.S : Vous savez que nous sommes un pays sans littoral et ceci constitue un gros handicap pour les opérateurs économiques. Je parle en termes de coûts des marchandises et des autres intrants qui nous viennent de l’extérieur. Tout coûte cher. C’est déjà un premier élément
Le deuxième élément, c’est la faiblesse du pouvoir économique. Le Burkina n’est pas un pays de cocagne et les gens n’ont pas un pouvoir d’achat conséquent; ce qui fait que cela se répercute au niveau de la consommation.
Il y a également le fait que la presse privée au Burkina, sur le plan de la fiscalité est considérée comme une entreprise de fabrique de boîtes de tomates.
La presse privée est soumise aux mêmes rigueurs fiscales que les entreprises de fabrique de savonnettes et autres… Or, nos rôles sont totalement différents. Nous avons essentiellement un rôle d’éducateur, un rôle d’éveillleur de conscience et il faut qu’on nous accorde cette spécificité en faisant en sorte qu’il ait au niveau de la fiscalité quelque chose de plus adapté à la presse. C’est ce qui se fait d’ailleurs dans d’autres pays avec une fiscalité plus adaptée à la presse pour l’encourager à jouer pleinement son rôle de grand contributeur à l’enracinement de la démocratie, à l’éveil des consciences. Comme vous le savez, la presse, “c’est la fille aînée de la démocratie”; sans démocratie, pas de presse et vice versa.

Art. : Dans quelques mois, le Burkina va célébrer ses 50 ans d’indépendance, quelles critiques faites vous de la culture burkinabé sur le plan du théâtre, du cinéma ou de la musique selon le domaine où vous vous sentez le mieux ?
B.J.S : Je dois dire que depuis le temps du ministre Mahamadou OUEDRAOGO, les choses ont beaucoup bougé au niveau de la culture, particulièrement dans le domaine du théâtre et de la musique. Aujourd’hui, on n’a pas besoin d’écouter de la musique des pays étrangers pour se sentir satisfait. Nous avons au plan national des musiciens de talent qui font un travail remarquable. Il y a quelques années, c’était la musique zaïroise, ivoirienne ou même malienne; mais à ce jour, nos artistes nationaux font un excellent travail qui nous dispense de recourir forcément à l’extérieur. Dans le domaine du théâtre, il y a une dynamique qui est vraiment enclenchée depuis quelques années et qui fait bouger le Burkina en matière de culture. Par contre, dans le domaine du cinéma, les choses ne bougent pas à souhait. Et pourtant nous sommes la capitale du cinéma africain, et vu sous cet angle, beaucoup de choses restent à faire.
Pour ce qui est des opérateurs économiques, il faut d’abord chercher à comprendre pourquoi ils ne s’intéressent pas au cinéma (rires). Mais d’une manière générale, je crois qu’on ne les amène pas à s’intéresser au cinéma; et ça, c’est de la responsabilité des autorités politiques.. Si par exemple, dans le code des investissements, un chapitre était consacré à l’investissement dans le cinéma avec des clauses très attractives, les lignes pourraient bouger. Si dans le code des investissements on a à cœur d’intéresser les opérateurs économiques au cinéma, je crois que ça pourrait mieux aller.
Comme mot de fin, je dirai que les lignes bougent vraiment au niveau de la culture. Seulement il faut encore un accompagnement très fort de l’Etat. Quant à la presse, tout le monde convient que le Burkina Faso a une presse consciencieuse et responsable. Les grosses bévues des années 90 sont rarement constatables aujourd’hui. Il y a eu d’énormes progrès qui ont été faits en terme de formation, d’éthique et de déontologie. Sur le plan juridique, le code de l’information peut être amélioré. C’est vrai que la liberté est relative, mais on peut dire que le Burkina est un pays où il existe aujourd’hui une liberté de presse. Ce qui veut dire que le pouvoir a compris que la presse est un puissant vecteur de démocratisation et de développement. Sur ce plan, je crois que le Burkina a vraiment fait des progrès énormes même s’il faut continuer à améliorer les choses.

Novembre 2010

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