Gaston KABORE : " La vie de Sembène Ousmane est un véritable Odyssée"

Gaston KABORE : " La vie de Sembène Ousmane est un véritable Odyssée"

Dans la série de témoignages sur la vie de Sembène Ousmane, le Réalisateur Gaston KABORE nous a également édifié sur le passé du cinéaste dont la vie pour notre invité serait un véritable Odyssée. Et pour faire une pierre deux coups, nous avons voulu également savoir comment le Lauréat de l’Etalon d’Or de Yennenga en 1977 prépare l’édition 2023.

Gaston KABORE (GK) : Une manifestation tel que le Festival Panafricain du Cinéma de Ouagadougou  (Fespaco)  ne se prépare pas juste à quelques jours. Depuis deux ans déjà, on sait que le festival aura lieu et donc on se prépare en fonction de ses occupations, de son programme au regard des projections de films, c’est toute une réflexion qui est menée sur bien d’autres aspects.

Il y a par exemple le Tome-II du livre collectif sur le cinéma africain dont j’assure la coordination depuis 2017.  On a commencé à travailler concrètement  là-dessus depuis 2018 et il devrait être fin prêt en 2019.  Mais  ce n’est qu’en 2021 que nous avons pu le finaliser.

Après donc le VOL-I, c’est le VOL-2 qui sera publié cette année.  Il est intitulé   » ANTECEDENTS COLONIAUX : CARACTERISTISTIQUES, ENNONCES ET ARTICULATIONS « . Ce sont des mots qui paraissent trop intellectuels mais en réalité, il s’agit pour nous d’expliquer comment le cinéma s’est établi en Afrique en arrivant avec les puissances coloniales. C’est aussi de montrer comment les Africains ont pris en main leur destin cinématographique.



En dehors de la production de ce  livre,  j’ai  aussi organisé des ateliers qui ont abouti à la production de 5 films de courts métrages dont 2 ont été sélectionnés par le Fespaco. (01 pour la compétition officielle de court métrage de fiction et le second, pour la compétition « Burkina »). Ces productions nous ont beaucoup occupé parce qu’il fallait élaborer tout le matériel de communication et  publicitaire pour ces deux films.

Et ce n’est pas fini puisqu’ il y a les coups de fil des festivaliers que je reçois et que je dirige vers la délégation générale du Fespaco.

J’espère que ce sera une très belle édition de FESPACO et que l’histoire de ce festival qui est plus qu’un cinquantenaire va se poursuivre de la belle manière avec une conscience historique de son importance.

Art. BF: Pouvez-vous nous parler de la libation qui a lieu à chaque édition à la place des cinéastes. Quel es est vraiment son sens ?

GK : La libation a été créée par le Fespaco et les anciens notamment, l’aîné des anciens qui est SEMBENE Ousmane.

 La libation, c’est le fait de rendre hommage à tous les cinéastes disparus, ceux qui ont été des pionniers. Ils ne sont plus de ce monde mais leurs œuvres sont là. Cette cérémonie a vraiment beaucoup de sens pour les cinéastes. On vient certes à la fête du cinéma; mais, il faut se souvenir des précurseurs et des collègues qui nous ont quittés. Cependant, la cérémonie de libation ne fait l’objet d’aucun rituel traditionnel. Il consiste tout simplement à se tenir la main après avoir écouté un message qui souvent était donné par SEMBENE Ousmane. On se tient donc  la main et on fait 3 fois le tour de la place des cinéastes. Dans le monde, Ouagadougou est la seule ville où on a créé une place de cinéastes et c’était sous l’impulsion de Thomas SANKARA.

La libation donc n’est pas de la scénographie matérielle sur le lieu des cinéastes mais c’est surtout la communion que nous avons avec l’invisible quel que soit votre religion comme le disait Ousmane Sembène.

ArtBF : S’il vous était donné de faire le portrait robot de Sembène, comment allez- vous le présenter à la jeune génération ?

(Rires). Waou ! S’il m’était donné de faire le portrait de Sembène, il me faudrait beaucoup de temps pour en parler. Mais déjà, il faut reconnaître que Ousmane SEMBENE est très difficile à caractériser en si peu de mots. C’est un homme à multi-facettes et complexe dans son engagement. Sa vie est un véritable Odyssée. Il faut lire ses œuvres pour comprendre. Il a été écrivain avant de venir au cinéma puis tirailleur et Docker au port de Marseille.

De « BOROM SARRET » AU « MANDAT » EN PASSANT PAR  « LA NOIRE DE…. », XALA, CEDDO ET MOOLAADE » sont des films qui montrent que Ousmane Sembène est un homme de son temps avec un regard affuté pour déceler  les points de fracture et de tensions sociales d’une Afrique en pleine mutation. Il disait à ce propos justement que  » L’Afrique est le centre du monde ». Et l’histoire lui donne aujourd’hui  raison parce que toute l’humanité a commencé sur ce continent. Mais en disant cela, ce n’était pas pour que les jeunes se bombent les torses mais plutôt qu’ils en prennent conscience et prennent toutes leurs responsabilités. Et comme le disait Frantz Fanon  » Chaque génération doit dans une relative opacité découvrir sa mission, la remplir ou la trahir ».

ArtBF : Quelle a été sa contribution au rayonnement du FESPACO ?

Ah !  Sembène et le FESPACO, c’était une union sacrée parce qu’il a été dès les premiers instants favorable à la naissance du festival. Sa contribution a été phénoménale dans la mesure où il était la figure tutélaire et l’emblème même du cinéma africain. Sa parole comptait du fait qu’il avait une certaine autorité morale auprès de nombreuses autorités politiques en Afrique et dans le monde. Il connaissait la plupart des Chefs d’Etats africains issus de l’indépendance. Sembène voyait Sangoulé Lamizana, le Président qui était encore au pouvoir au moment de la naissance du festival comme il le voulait. Je peux dire qu’il a contribué à enraciner le festival. Au Burkina, il y avait une chambre qui lui était toujours réservée au niveau de l’Hôtel Indépendance (aujourd’hui Azalaï Hôtel).



Son côté écrivain et cinéaste ne sont que deux aspects qui résument le combat qu’il a mené sa vie durant pour son continent. Malheureusement comme il le disait,  » L’Afrique est une mamelle qui nourrit le monde entier mais qui ne sait pas se nourrir elle-même ». C’est un propos qui laisse à réfléchir  pour que chacun se souvienne qu’il est une fille et un fils de ce continent qui doit travailler à lui permettre d’écrire sa vraie destinée qui n’est certainement pas  celle d’un continent de guerres permanentes, un continent où on n’est pas capable de s’unir.

ArtBF : Quel souvenir marquant gardez-vous de cet homme  ?

Il y a plein de choses. Sembène ne parlait pas beaucoup. Mais quand il vous sort une parole et que vous savez être attentifs, vous en tirez beaucoup profit. Il n’est pas quelqu’un qui vous caresse dans le sens du poil; jamais !

Elise DENE (Stagiaire)

Leave a comment

Send a Comment

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *