Valerie KABORE, réalisatrice

Valerie KABORE, réalisatrice

A la faveur des Journées Cinématographiques de la femme africaine, nous avons rencontré une réalisatrice burkinabé et pas des moindres. Elle draîne derrière elle, un lourd palmarès cinématographique . Il s’agit de Madame Valerie KABORE, réalisatrice et Directrice Générale de Média 2000. Elle est auteur de plusieurs films dont la série télé “INA” plus connue des burkinabé. C’est elle notre invitée de la semaine et avec qui, nous avons échangé sur le cinéma burkinabé, ses difficultés et bien entendu, sur les Journées cinématographiques de la femme africaine qui se tiennent en ce moment dans la capitale burkinabé. Quelle est l’importance de telles journées consacrées exclusivement aux réalisatrices africaines ? La parole est à Valerie KABORE


Valérie KABORE ( V.K.) : Je vous remercie pour votre approche. C’est vrai que depuis 1969, le Burkina abrite un festival panafricain du cinéma mixte. Ce n’est pas un festival où on vient parce qu’on est femme ou parce qu’on est homme mais c’est un festival pour tous les cinéastes (homme comme femme). L’initiative est salutaire. Aujourd’hui, le FESPACO a grandi ; il a atteint un seuil où il faut quitter l’ordinaire pour innover. C’est ce qui explique la création de ces journées cinématographiques de la femme africaine (JCFA). C’est du moins mes impressions.
C’est un espace supplémentaire que le FESPACO a créé pour la promotion de la femme d’une manière générale. Comme on le dit souvent, « la répétition est pédagogique ». La femme a beau avancer au Burkina, on trouvera que rien n’est encore au point pour elle. Je crois donc qu’il faut toujours encourager la création de tels espaces destinés à valoriser l’image de la femme. C’est vrai qu’au FESPACO , les femmes compatissaient déjà avec les hommes et elles gagnaient des prix. Mais je pense que les JCFA viennent comme un plus pour attirer l’attention sur le « genre » ; une invite au public à découvrir notre particularité. Quoi qu’on dise, la femme réalisatrice, à travers ses œuvres, utilise une touche un peu particulière qui la distingue de l’homme. Valoriser donc la femme, doit être un acte quotidien. Si vous prenez par exemple les 15 OMD, (tout ce qui rentre dans le cadre de la marche mondiale pour les objectifs du millénaire), vous constaterez que les décisions en faveur de la femme sont dominantes. Pourquoi ? Parce qu’il a été démontré que toute la chaîne du développement passe forcément par l’émancipation de la femme. Ces journées cinématographiques, sont donc une source d’encouragement pour l’éclosion de jeunes talents. C’est en cela que je trouve l’initiative salutaire.
Aussi, étant donné que la plupart de nos créations sont axées sur l’éducation ou la santé, les JCFA viennent comme pour confirmer la continuité de notre mission de femme dans la vie.

Art : Vous nous parliez tantôt de la maturité du FESPACO. Mais nous n’avons pas l’impression que malgré ces 40 années de maturité, le cinéma burkinabé ait beaucoup bougé. Certains même vous parleront de cinéma que nous faisons au rabais. Quel est votre avis ?

V.K. : Bon ! Cinéma burkinabé au rabais ! Je crois qu’une telle réflexion relève d’un certain pessimisme. Je m’explique. Aujourd’hui, qu’est-ce qui fait la renommée du Burkina sur le plan culturel ? C’est le FESPACO. Que vous soyez en Thaïlande ou au Japon, on vous dira que le Burkina est le pays du FESPACO. Nous avons des renommées comme Gaston KABORE et Idrissa OUEDRAOGO, qui, en son temps ont fait parler du cinéma africain d’une manière générale. Ces deux cinéastes n’appartenaient plus seulement au Burkina mais plutôt à l’Afrique entière. En fait, ils étaient plus africains que burkinabé. Ensuite, il eut des générations comme Fanta Régina NACRO et moi-même qui avons suivi. Il faut dire qu’au Burkina, il y a peu d’espace réservé pour la valorisation de la femme ; sinon, nous sommes bien applaudies à des festivals au niveau international. Si malgré tout on nous reproche de faire du cinéma au rabais, c’est peut-être lié aux moyens et non au contenu. C’est vrai, nous n’avons pas les moyens de boucler nos productions; en plus de cela, il faut payer les comédiens. C’est un peu comme si vous donner 1000 frs à une femme en espérant qu’elle vous fera une mauvaise sauce pour que vous puissiez la répudier. A votre surprise, elle vous sert un très bon plat où toute la famille en raffole. C’est un peu ça le problème du cinéma africain. Avec un petit budget, nous arrivons à faire des miracles. Mais il faut reconnaître que c’est au prix d’un grand sacrifice de la part des comédiens, des techniciens et du réalisateur. Toute cette situation est liée au fait que notre cinéma est jusque-là assisté. Je vous rappelle que nos aides proviennent principalement de trois guichets dont l’OIF, le Ministère de la Coopération et les ACP. Si on nous donnait les moyens, nous pourrons produire des films de qualité.

Art : Quel type de cinéma produire pour relever le niveau de notre cinéma taxé aujourd’hui de cinéma au rabais et freiner du même coup, l’ardeur des vidéos clubs qui prolifèrent comme des champignons. ?

V.K. : Non ! le cinéma au rabais peut toujours exister. Un mécanicien qui a fait par exemple une école professionnelle ne va pas bricoler sur une moto ou sur une voiture comme le ferait une personne qui s’est improvisée mécanicien. C’est pareil avec le cinéma ; et le public sait souvent faire la part des choses. Je crois qu’il faut aussi tenir compte du goût du public car on peut aussi apprendre sur le tas et dépasser le maître. A la limite, je préfère que tout le monde ait l’information et la connaissance pour qu’on puisse avancer. Si le public fréquente les vidéos club, c’est qu’il y a un réel besoin de consommation. L’existence de tels milieux ne doit donc pas gêner. Aujourd’hui, il nous faut être réaliste et travailler à l’échelle d’une C’est un peu comme si vous donner 1000 frs à une femme en espérant qu’elle vous fera une mauvaise sauce pour que vous puissiez la répudier. A votre surprise, elle vous sert un très bon plat où toute la famille en raffole. C’est un peu ça le problème du cinéma africain. Avec un petit budget, nous arrivons à faire des miracles. Mais il faut reconnaître que c’est au prix d’un grand sacrifice de la part des comédiens, des techniciens et du réalisateur. Toute cette situation est liée au fait que notre cinéma est jusque-là assisté. Je vous rappelle que nos aides proviennent principalement de trois guichets dont l’OIF, le Ministère de la Coopération et les ACP. Si on nous donnait les moyens, nous pourrons produire des films de qualité.

Art : Quel type de cinéma produire pour relever le niveau de notre cinéma taxé aujourd’hui de cinéma au rabais et freiner du même coup, l’ardeur des vidéos clubs qui prolifèrent comme des champignons. ?

V.K. : Non ! le cinéma au rabais peut toujours exister. Un mécanicien qui a fait par exemple une école professionnelle ne va pas bricoler sur une moto ou sur une voiture comme le ferait une personne qui s’est improvisée mécanicien. C’est pareil avec le cinéma ; et le public sait souvent faire la part des choses. Je crois qu’il faut aussi tenir compte du goût du public car on peut aussi apprendre sur le tas et dépasser le maître. A la limite, je préfère que tout le monde ait l’information et la connaissance pour qu’on puisse avancer. Si le public fréquente les vidéos club, c’est qu’il y a un réel besoin de consommation. L’existence de tels milieux ne doit donc pas gêner. Aujourd’hui, il nous faut être réaliste et travailler à l’échelle d’une

économie de marché. Nous n’allons pas continuer de produire des services à coût de millions tout en sachant que le pouvoir d’achat de ceux auxquels sont destinés ces produits est plafonné à 100 000 francs. La logique économique voudrait que nous organisions nos productions en conséquence.
Dans tous les cas, chacun a sa place. Ceux qui ont choisi de faire les vidéos de quartier sont libres et tant mieux, s’ils trouvent satisfaction. Ceux qui choisissent de faire des films pour de grandes diffusions, c’est leur liberté également. Aujourd’hui, avec le système de globalisation, il est difficile d’empêcher certaines choses d’exister. Vous avez beau vous battre, vous risquerez d’être isolé dans vos idéaux.
C’est vrai aussi que nous n’avons pas réussi à nous imposer sur les médias occidentaux. Mais en poussant loin l’analyse, on peut se poser la question de savoir la place réelle de l’Afrique dans le monde. Il y va également de son cinéma qui ne saurait être une exception. Ce qui veut dire que le niveau culturel que nous vivons au rabais est la même perception au rabais qu’on nous donne.

Art : Quelle stratégie pour inciter le secteur privé à investir dans le cinéma ?
V.K. : A l’heure actuelle, le cinéma est devenu une industrie. Or, une industrie peut se vendre et elle est même banquable. Si vous montez un projet et vous arrivez à convaincre le banquier de la rentabilité de ce projet, la banque, après évaluation concluante ne pourra que vous accompagner.
Pour revenir à votre question, je suggère qu’il y ait une rencontre avec les banquiers et le secteur privé pour leur expliquer ce que c’est que les œuvres de l’esprit. Comme vous le savez, les artistes sont tous considérés comme des rêveurs. Or le banquier, mieux que le rêve, attend surtout du concret. C’est au cinéaste de démontrer au banquier que le rêve peut devenir une réalité. Mais pour cette question précisément, la francophonie a déjà tranché et a mis en place à Lomé en république du Togo, une ligne budgétaire qui fonctionnera comme un fonds de garanti aux prêts bancaires.
Art : Quelles sont vos préoccupations à l’heure actuelle
V.K. : Je constate avec joie une avancée réelle au niveau de nos administrations et de nos institutions. Il y a dix ans, les cinéastes ne bénéficiaient d’aucune subvention au niveau local. Il existe maintenant un fonds qui permet de venir en aide à ceux qui ont des projets. Il reste maintenant à alimenter d’avantage ce fonds pour nous rendre plus autonomes et fiers.
Ensuite, il faut que l’administration nous aide et que les professionnels s’organisent également pour espérer des meilleures fins de carrière. Nous sommes pour la plupart du secteur privé et nous n’avons pas des retraites bien organisées ; excepté quelques uns (les plus avertis) qui savent qu’il faut ouvrir des comptes d’épargne. C’est quand on est en présence d’une maladie grave qu’on se rend compte de sa vulnérabilité. C’est cette absence de sécurité sociale qui fait que les hommes du cinéma n’ont pas souvent de belles fins de carrière. Il faut que nous travaillions à mettre en place un système comme les Associations pour l’Emploi dans l’Industrie et le Commerce en France (ASSEDIC) qui permettent à l’artiste de pouvoir vivre de son art.
Prenons un exemple : si vous écrivez un scénario et que vous allez mettre dix mois pour le finir, il est clair que vous ne mangerez pas; à moins que vous n’ayez une activité annexe. En Europe, on a trouvé des mécanismes qui permettent aux créateurs de vivre en attendant de lancer leur production. Malheureusement, en l’absence de ce dispositif, l’artiste est souvent amener à frapper aux portes des bons samaritains pour crier ” famine”. C’est dommage, car ce sont les mêmes artistes qu’on applaudit à la télé, qu’on rencontre encore dans les bureaux qui demandent soit 1000 ou 2000 francs de bons d’essence. C’est une situation qui n’honore pas notre métier et qui fait qu’on ne nous respecte pas. Il faut que cela change ; car on ne peut pas se battre pour son pays, créer des œuvres, faire la musique et ne rien avoir en retour du fait simplement de notre statut de privé.. Heureusement, que nos autorités ont toujours été à notre écoute ; il nous appartient maintenant de savoir ce que nous voulons et de frapper à la bonne porte.

Artistebf, mars 2010

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