Jean Baptiste NATAMA, le Héros de la guerre de KOLOKO

Jean Baptiste NATAMA, le Héros de la guerre de KOLOKO

C’est une grande figure de l’histoire politique du Burkina Faso que nous avons rencontrée cette semaine. Très connu au pays des hommes intègres pour son patriotisme et son engagement pour la cause de la jeunesse, cet ancien officier de l’armée burkinabé est un ancien compagnon de Thomas Sankara. De son rang de colonel à la diplomatie en passant par de multiples tracasseries administratives, Jean baptiste NATAMA puisque c’est de lui qu’il s’agit a soufflé le froid et le chaud sous le Front populaire de Blaise COMPAORE. Candidat à l’élection présidentielle burkinabè du 29 novembre 2015, cet homme de lettres, pétri d’expériences suite à ses multiples fonctions internationales et auteurs de plusieurs publications, nous donne sa vision sur la contribution de la culture au développement d’un pays. Mais avant, le héros de la guerre de la bataille de KOLOKO pendant la guerre Burkina-Mali, nous fait découvrir son parcours de combattant:


Jean Baptiste NATAMA (J.B.N): Je suis né dans la culture et j’y ai grandi. C’est vrai que je ne suis pas né dans un village mais je suis de parents fonctionnaires de brousse. A l’époque, l’éducation qu’on recevait était basée sur les valeurs culturelles de la société. La vie de tous les jours était une manifestation de la culture. Dans les villages, quand il y a une cérémonie d’initiation, c’est la culture. Quand il y a des labours dans les champs, c’est la culture parce que quand les gens se retrouvaient au champ, c’était des danses populaires et les griots étaient là pour encourager les gens qui cultivaient; tous ces faits sont culturels. Quand vous écoutez les contes et les devinettes le soir avec les anciens c’est la culture qui se manifestait.
Je me suis retrouvé au PMK pour finir mes études à un moment historique. Tous ceux qui y accédaient n’étaient pas forcément destinés à devenir militaires ; la majorité des élèves se retrouvait dans la vie civile. Mais on y allait parce que c’était la meilleure école. C’est par le biais d’un concours que j’ai été admis à l’école spéciale militaire de St. CYR et à l’école militaire du corps technique et administratif de Strasbourg. Le Président Thomas SANKARA m’a découvert sur le terrain culturel à travers notamment la pièce théâtrale de Noël N’Djequeri intitulée « Goudangou ou les vicissitudes du pouvoir ».
Depuis lors, on est resté de bons camarades et pendant la Révolution, il m’a nommé animateur politique chargé de la formation politique, idéologique et militaire. Avec cette responsabilité, j’avais gagné en popularité et de l’admiration au sein de l’armée. Cette popularité est encore montée pendant la 2e guerre du Burkina contre le Mali où je fus l’un des héros.

Artbf : Qu’entendez-vous par être héros de la guerre du Mali. Qu’avez-vous posé comme acte ?
J.B.N: J’ai mené la bataille de KOLOKO qui était une bataille décisive au cours de laquelle l’armée burkinabé a capturé un prisonnier de guerre ; c’est d’ailleurs le seul prisonnier et c’était moi qui l’avais arrêté.
Nous avons récupéré un char de combat en bon état, nous avons neutralisé un autre char et nous avons détruit 10 chars avec tout le personnel à bord et 2 camions de militaires. Ceci m’a valu une décoration par le Président Thomas SANKARA avec la médaille d’or de flambeau de la révolution. J’étais donc un héros, pas un héros fictif mais quelqu’un qui a posé des actes sur le front et c’est ce qui compte chez les militaires. Après l’assassinat de Thomas SANKARA, j’ai refusé de soutenir le Front populaire.C’est en ce moment que la valse a commencé. Après avoir reçu plusieurs affectations, on me radie finalement de l’armée par un décret présidentiel sans motif.
J’ai repris mes études pour obtenir un DESS en diplomatie et un DEA en droit et un ensemble de formations complémentaires. Voilà comment j’ai pu m’en sortir de l’armée.

Artbf: Nous venons juste de célébrer l’indépendance politique de notre pays le 5 Aout 2016 ; notre pays a donc 56 ans d’indépendance. Comment voyez-vous le Burkina Révolutionnaire si le système n’avait pas été stoppé ?
JBN: je présume que si la Révolution n’était pas stoppée, à la lumière des résultats obtenus par la Révolution en 4 ans, le Burkina aurait parcouru un meilleur chemin. Nous avions fait 4 années de Révolution et au bout de 2 ans déjà, nous avions amélioré sensiblement les indicateurs sociaux. Nous avions également amélioré le taux de croissance parce qu’on en était arrivé à un taux de croissance à deux chiffres. On a réalisé une percée au niveau du taux de scolarisation, du taux d’alphabétisation des populations et nous avions réalisé d’énormes progrès en matière d’auto-suffisance alimentaire. Le plus important surtout, c’est qu’on avait également réalisé un progrès dans le domaine de la moralisation de la vie publique. Les sociétés sont faites par les hommes, pour les hommes et avec les hommes et si vous voulez construire un type de société il faut d’abord définir le type qu’il vous faut pour construire cette société. L’éducation qu’on avait adoptée avait amené les gens à intégrer progressivement les valeurs d’honnêteté, de rigueur dans le travail, des valeurs d’intégrité. Comme je le dis souvent, le problème des pays africains, c’est que les gens ont pensé qu’il suffisait d’avoir un territoire, d’avoir une population, d’avoir des institutions au lendemain des indépendances et de dire que nous avons un Etat. Ils oublient que l’élément fondamental et fondateur d’un Etat c’est une nation. nat3.jpgPratiquement aucun pays n’a mis en avant la nécessité de construire une nation. Les gens croyaient que c’était acquis par avance à cause du fait qu’on est confiné sur un territoire avec une nation voltaïque ou une nation nigérienne ou nigériane. Mais en réalité, ces nations n’existent que de nom car une nation est fondée sur un socle de valeurs communes. Ce socle fait que lorsqu’on interpelle quelqu’un qui appartient à une nation et qu’on lui demande en quoi il se sent spécifiquement membre de cette nation, la personne pourra répondre. En quoi par exemple un malien est différent du burkinabé? Il ne sera pas capable de répondre parce qu’il n’y a pas un socle de valeurs communes et c’est cette erreur que nous avons essayé de déceler et nous avons changé le nom du pays en Burkina Faso pour mettre en avant la notion de l’intégrité qui est l’élément fondamental de notre identité nationale. Si on avait poursuivi ce travail d’éducation aux valeurs d’intégrité, je suis persuadé que le Burkina Faso serait encore mieux avancé que ce qu’il est aujourd’hui.

Artbf : Lorsque nous observons la classe politique, on se rend compte que vous et les autres Sankaristes sont divisés; vous ne vous entendez pas. Pourquoi ?
J.B.N: Nous ne pouvons pas nous entendre pour la bonne et simple raison que nous ne poursuivons pas les mêmes objectifs. J’ai toujours été un homme de conviction, un homme d’idées et je l’ai hérité de SANKARA. Il était un homme d’idées, un intellectuel de haut niveau qui acceptait le débat, qui avait une pensée, une vision. Comme vous le savez, à la Révolution sont venus des opportunistes. Il y avait des révolutionnaires convaincus, mais il y avait des opportunistes et ceux aussi qui participaient à la Révolution sans y comprendre grand-chose. Depuis la disparition du Président Thomas SANKARA et que l’on parle de l’héritage, vous trouverez aussi ceux qui sont réellement des révolutionnaires et qui peuvent se revendiquer ou se réclamer de cet héritage mais vous trouverez aussi des opportunistes qui sont là justes pour utiliser le Sankarisme comme un fonds de commerce. C’est avec ces gens qu’on ne peut pas s’entendre. Ils sont les plus virulents et quand on croit à un idéal on est prêt à faire des concessions entre camarades.
D’aucuns considèrent le Sankarisme comme leur chasse gardée parce que c’est par le Sankarisme qu’ils se nourrissent. Moi en tous les cas, je ne suis pas dans cette logique.
C’est dans le comportement qu’on voit qui est Sankariste et qui ne l’est pas. Mon petit passage dans la dernière campagne politique nous en a beaucoup appris. J’ai renoncé à prendre les 25 millions qui nous étaient destinés pour la campagne. Mais ce qui ne veut pas dire que je ne manque pas d’argent ; c’est l’esprit même Sankariste qui le veut ainsi. En tant que Sankariste, pourquoi prendre 25 millions pendant que des villages manquent d’écoles ou que des gens meurent faute de soins, de faim, ou d’eau? C’est indécent, c’est immoral, c’est inacceptable.

Artbf : C’est l’occasion pour nous de vous féliciter pour les médailles que vous avez reçues. Pouvez- vous nous parler un peu de ses distinctions?
J.B.N: J’ai obtenu le Prix panafricain des leaders 2016 dans la catégorie meilleur promoteur de la diplomatie en Afrique. Il faut dire que c’est la première fois qu’un prix est décerné dans cette catégorie diplomatie et c’est un honneur pour moi de le recevoir.
Je dédie le prix au peuple burkinabè, à mes parents, à la jeunesse burkinabè et africaine parce que ce sont les jeunes qui ont commencé à me révéler aux yeux du monde en me considérant comme leur modèle, leur mentor, leur idole alors qu’en Afrique, bien souvent il n’est pas évident d’être un modèle vivant parce que dans la réalité nous n’avons pas de héros vivant et c’est une des défaillance de notre société. Si dans une société il n’y a pas des aînés qui inspirent les générations inférieures ou les générations plus jeunes, cela pose un problème. Ça veut dire qu’il n’y a pas de référentiel. En Afrique, pendant longtemps, et même jusqu’à aujourd’hui, si vous posez la question à des jeunes de vous dire quels sont leur modèle ou héros à qui ils voudraient ressembler, ils vont vous citer à coup sûr Nelson MANDELA, Thomas SANKARA, Lumumba, Kwamé N’Krumah. Ils ne vous parleront pas de quelqu’un qui est vivant. Ils vous parleront de gens qui sont morts, qu’ils n’ont jamais connus et qu’ils en ont juste entendu parler. Cela est dangereux parce que ça veut dire que nous vivons et nous n’inspirons pas nos enfants, nous n’inspirons pas nos petits frères et ce n’est pas normal.

Artbf : Après les élections à quoi se consacre M. NATAMA sur le plan social et sur le plan politique?
J.B.N: Actuellement, je suis le vice-président exécutif pour l’Afrique de l’Alliance mondiale des PME. Ça m’occupe déjà parce que j’ai été le premier africain à être admis au sein du Conseil de direction de l’Alliance mondiale des PME à ce rang-là. Je m’occupe donc à créer une place pour l’Afrique au sein de l’Alliance et à faire reconnaitre aussi l’Alliance au niveau du continent africain. C’est ce travail que je fais actuellement car j’ai été admis pour un mandat de 5 ans. A côté de cela, je mène des activités sociales autant que je peux à travers des parrainages et en encadrant aussi ceux qui m’ont soutenu politiquement. J’étais candidat indépendant mais quelques forces nous ont soutenus dont principalement la CPRNP que nous avons accompagnée aux élections.

Artbf : Malgré votre côte de popularité au sein la jeunesse qui vous a beaucoup plébiscité pour diriger la transition, vous êtes passé à côté.
J.B.N: D’abord je remercie tous ceux qui ont cru sincèrement que je pouvais apporter quelque chose de plus au Burkina Faso.
Mais ça n’a pas abouti, certainement pas parce que je ne réunissais pas les conditions pour diriger la transition, mais pour plusieurs raisons. D’abord le régime Compaoré est parti mais qui est resté?
Sachant que M. NATAMA est un homme intègre qui n’allait jamais compromettre les principes de justice et de neutralité d’une transition, les gens n’allaient pas m’accepter. Vous comprenez que quelqu’un qui connait bien le système, qui connait bien les failles de la gouvernance, qui connait bien les zones et les acteurs politiques de notre pays comme moi ne pouvait pas faire l’objet d’unanimité au sein de la classe politique même si la jeunesse était d’accord pour ça. Cela ne m’a évidemment pas surpris qu’il y ait eu des intrigues qui aient été montées pour m’empêcher d’accéder à ce niveau-là.

n_5.jpgArtbf : Comment expliquez-vous cette montée subite de l’incivisme au Burkina Faso malgré des élections en bonne et due forme ?
J.B.N: Ce sont les valeurs qui fondent le comportement des gens. Si nous sommes dans une société où l’exemple ne peut pas venir d’en haut, comment pensez-vous avoir un comportement exemplaire en bas? L’incivisme a commencé par ceux d’en haut. Qu’est-ce que c’est que l’incivisme pour quelqu’un qui dirige un pays? C’est quelqu’un qui est corrompu, qui détourne et qui s’enrichit illicitement, qui viole les principes de justice, qui pratique le despotisme, et le népotisme. Nous voyons comment les gens manipulent les concours pour que ce soient leurs enfants et leurs proches qui réussissent au détriment des autres. On voit comment les gens se comportent quotidiennement vis-à-vis du citoyen ordinaire. On voit tous ces comportements qui montrent que les autorités ne respectent pas la règle de droit et de justice. Pour elles, ces règles ne s’appliquent qu’aux autres. Avec un tel système de gouvernance, quand le peuple observe avec les problèmes qu’il y a, quel exemple les jeunes vont-ils prendre? Ils vont prendre l’exemple qui vient d’en haut!
Aujourd’hui l’éducation a tendance seulement à permettre à l’individu d’acquérir un savoir. Le savoir ne suffit pas pour être un homme dans une société. Dans la société traditionnelle, il y avait en plus de l’initiation, l’éducation traditionnelle, l’éducation professionnelle dont la vocation était de développer en vous le savoir-être dans une société. Comment se comporter et comment agir dans la société? Comment gérer la tension entre ses intérêts individuels et les intérêts de la communauté? Comment se subordonner à l’intérêt collectif? Aujourd’hui, ce n’est pas le cas ! Et de surcroît, les parents ont démissionné, ils n’ont plus le temps d’éduquer leurs enfants. Avant, la société même intervenait dans l’éducation. Si un père et une mère n’éduquaient pas bien leur enfant, si vous le rencontrez dans la rue vous pouvez le corriger et le remettre sur le droit chemin. Aujourd’hui ça n’existe pas ! A partir de ce moment-là, l’absence des valeurs morales, sociétales fait que l’incivisme ne peut que gagner du terrain.
De nos jours, il y a des parents qui vont acheter des épreuves de concours pour donner à leurs enfants afin qu’ils réussissent. Si vous achetez des épreuves pour votre enfant, vous lui apprenez ainsi à voler et à tricher. Qu’attendez-vous demain d’un tel enfant ? Qu’il soit intègre ? Jamais ! Il faut oublier cela !
Il y a un mal qui est profond qu’il faut corriger. Il s’agit d’abord du système éducatif qui nous a été imposé par les blancs et que nous n’avons pas su réformer à temps. Si nous voulons réformer notre système éducatif, nous devons le faire en tenant compte de nos valeurs culturelles car ce que nous avons pris comme valeurs venant de l’occident a montré ses limites. L’occident aujourd’hui, nous montre une civilisation en plein déclin. Pourquoi alors suivre des gens dont la civilisation est en train de décliner? Nous devons nous ressaisir et réformer notre système éducatif en remettant notre culture au centre.
Artbf : Quelle pourrait être donc la contribution de la culture de manière concrète pour ramener le civisme au Burkina Faso?
J.B.N: Notre culture repose sur des valeurs d’honnêteté, d’intégrité, de rigueur, de discipline. Pendant l’initiation, quand on vous disait qu’une chose était interdite, vous vous conformiez à cela parce que la discipline et la rigueur avaient sérieusement pris corps et âme dans votre esprit. Dans la société traditionnelle, lorsqu’on vous disait qu’il est interdit de s’approprier de ce qui ne vous appartient pas, vous n’allez jamais détourner l’argent de l’Etat. Quand on vous apprend la parole d’honneur et que vous donnez votre parole, vous n’allez pas aller arnaquer des gens au village pour leur dire que vous allez construire 10 routes si l’on vous vote alors que vous n’allez pas le faire.
Aujourd’hui, la valeur de solidarité est extrapolée. Dans notre société, les gens utilisent abusivement cette notion de solidarité sans pour autant être réellement solidaires. Dans la société traditionnelle, la valeur de solidarité était là.Si au nom de la solidarité, vous recevez par exemple un étranger,vous allez lui donner à manger. Mais il n’y avait pas seulement que la solidarité, il y avait aussi une autre valeur qui était qu’il fallait combattre l’oisiveté. Qu’est-ce que ça veut dire ? Si vous recevez un étranger et que vous le nourrissez pendant deux jours, le troisième jour, vous devriez lui donner la daba pour que vous alliez ensemble au champ. Aujourd’hui, les gens cultivent le saprophytisme, le parasitisme parce que nos valeurs n’existent pas. Je pense qu’il faut enseigner ces valeurs à l’école en intégrant notamment nos valeurs culturelles dans le système éducatif. Il faut que dans les villages, l’école ne soit plus un facteur d’acculturation et d’inculturation. Que l’individu qui va à l’école ne soit pas au final, un étranger dans sa propre communauté. Comme le disait la grande royale dans L’Aventure Ambiguë de Cheick Amidou KANE, « il faut aller apprendre à couper le fer par le fer et revenir dans notre communauté ».Nous devons retourner à ce système où la culture est le socle même de notre système éducatif. J’imagine des écoles où la communauté joue un rôle où ce n’est pas seulement le programme scolaire qui est établi, mais la communauté s’organise pour que les contes qu’on nous faisait la nuit autour du feu continuent à être racontés à l’école. Que par exemple, le griot ait des horaires dans la semaine pour aller parler aux enfants de l’histoire du village, que le forgeron aille apprendre aux enfants les techniques de la forge, que le guérisseur du village puisse aller leur apprendre les plants … Et c’est comme ça que l’enfant quand bien même il reçoit l’éducation, va rester membre de sa communauté et il va apprendre les valeurs.
Patrick COULIDIATY et RoseMonde

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