Lorsque je fus ministre en 1996, l’une de mes premières actions, c’était de faire les États Généraux du Cinéma burkinabé en 1997. Mais il y a tellement de problèmes et d’urgences au point qu’un seul être, quelque soit son intelligence et sa puissance cérébrale ne peut pas résoudre. Il faut recourir à d’autres compétences pour réfléchir sur la question. Ce sont les États Généraux du cinéma en 1997 qui ont permis de mieux cerner les problèmes du cinéma burkinabé.
Après des études primaires et secondaires respectivement à Ouagadougou et à Kaya, M. Mahamoudou OUEDRAOGO entreprend en 1975, conformément à sa passion, des études supérieures en journalisme et information à l’Université de Ouagadougou, à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, puis en France à l’Institut Français de Presse de l’Université Paris II.
Son cursus universitaire est sanctionné par un Diplôme Supérieur de Journalisme, le diplôme de l’I.F.P. et un D.E.A. en Sciences de l’Information et de la Communication.
Il parfait son expérience par des stages professionnels au Québec et en France.
Parallèlement à ses études, M. Mahamoudou OUEDRAOGO, entre dès 1981 dans une vie professionnelle entièrement consacrée aux médias et à la communication.
Il sera successivement : journaliste-reporter, rédacteur, présentateur du Journal Télévisé et producteur à la Télévision Nationale du Burkina.
Il y occupera de hautes fonctions : Rédacteur en chef, puis en septembre 1992, Directeur de la TNB avant de devenir en octobre 1994, Directeur de la Communication et des Relations publiques à la Présidence du Faso, avec rang de Conseiller.
Communicateur mais aussi pédagogue, il ne s’éloignera jamais du monde universitaire.
Il fut enseignant au Centre de Formation Professionnelle de l’Information, à l’URTNA et au département des Arts et de la Communication de l’Université de Ouagadougou.
En septembre 1996, lui est confié le Ministère de la Communication et de la Culture.
Il sera renouvelé dans ces hautes fonctions en octobre 1999, puis en novembre 2000, comme Ministre des Arts et de la Culture et le 10 juin 2002 comme Ministre de la Culture, des Arts et du Tourisme.
Monsieur Mahamoudou OUEDRAOGO est l’auteur de nombreux articles et communications sur l’information et les médias.
Il contribue aussi à la rédaction d’ouvrages collectifs de prospective économique et politique.
On lui doit les « Prolégomènes pour l’action au sein du Ministère de la Communication et de la Culture », ouvrage de réflexion de type programmatique et prospectif.
Il a récemment publié deux ouvrages aux Editions de l’Harmattan : « Culture et développement en Afrique : le temps du repositionnement », et “Internet et le Burkina : utopie et réalité” et En 2003, “Roogo”, aux éditions de l’Harmattan.
Il est Officier de l’ordre National,
Chevalier de l’ordre du Mérite des Arts
et des Lettres de la République française.
Source: petiteacademie.gov.bf
Artistebf (Art: ) – Comment vous portez-vous ? parce qu’il eut un moment où plus d’un burkinabé s’est préoccupé de votre santé. Certains n’ont pas hésité à avancer la thèse de mauvais sort lancé à votre endroit.
Mahamoudou OUEDRAOGO (M.O.) : Vous le voyez vous-même ! vous pourrez témoigner. Il y a un passage biblique qu’on aime souvent citer en parlant de la résurrection de Jésus. Quand Jésus est ressuscité, tous les apôtres ne l’avaient pas vu et parmi ceux-ci , un certain Thomas qui dit qu’il ne croira que s’il pouvait pas seulement mettre le doigt dans les plaies laissées par la crucification sur le corps du Christ. Et voilà que Jésus lui apparut et lui dit : “heureux ceux qui croient sans m’avoir vu”
Alors vous êtes là ce soir et vous me voyez. Grâce à Dieu et aux hommes de bonne volonté, la santé m’est revenue. C’est vrai qu’à l’époque, j’ai entendu tellement de rumeurs selon lesquelles, je suis malade parce que je me suis beaucoup donné à la culture. C’est juste ! Mais si tel était aussi un sort qu’on m’a lancé comme le pensaient certains, Dieu merci, les ancêtres m’ont sauvé. Ce qui est important dans la vie, c’est de se consacrer à quelque chose, c’est d’avoir une passion. On ne réussit jamais dans un domaine donné sans un minimum de patience et Dieu merci car je l’ai pour la culture.
Art : – Vous êtes reconnu comme étant un homme de terrain. Or vous êtes aujourd’hui enfermé entre quatre murs dans vos fonctions actuelles de conseiller à la présidence du Faso. Ne sentez-vous pas souvent des fourmillements au pied, l’envie de bouger ?
M.O. : (Rires) Je crois que même si l’envie est là, il faut être raisonnable en reconnaissant que l’organisme a quelque fois besoin de temps de pause pour se régénérer afin de mieux accomplir les missions futures. Ma raison me commande de faire attention à moi et j’écoute vraiment ma raison. Je travaille, mais je n’oublie pas pour autant le proverbe qui dit que : “qui veut aller loin, ménage sa monture”
Art : – Votre passage au Ministère de la Culture de 1996 à 2006 a marqué positivement le paysage médiatique et culturel du Burkina Faso. Quelle était l’activité qui vous tenait encore à cœur et que vous n’avez pas pu réaliser au moment de votre départ ?
M.O. : Le ministre exerce une mission et non un mandat. C’est là la spécificité lorsqu’on vous nomme ministre. Le mandat c’est quoi ? Un député à l’assemblée Nationale par exemple, sait qu’il est élu pour un certain nombre d’années. A moins d’un imprévu de taille comme la maladie, le décès, ou la démission, le député siège jusqu’à la fin de son mandat. Ce qui est différent dans le cas du ministre. A ce niveau, on parle surtout de mission. On peut vous nommer ministre aujourd’hui et vous démettre le lendemain. Au Burkina, il y a eu des ministres de 28 jours. Ils sont là et ils vivent toujours ! Pour revenir à votre question, même après dix ans à la tête d’un ministère comme ce fut mon cas (de 1996-2006), il y a toujours des projets inachevés. Vos devanciers vous ont aussi laissé des projets inachevés. Toute la vie doit être perçue comme un passage de “témoin” entre un ministre sortant et un entrant). Ce qui est important, c’est qu’en étant ministre, vous puissiez donner le meilleur de vous-même pour mieux accomplir les missions qui te sont confiées par les plus hautes autorités de l’Etat. Et lorsque le moment viendra de quitter le poste, que vous puissiez le faire sans jamais ressentir un seul regret. Au titre des activités initiées et que je n’ai pas pu terminer, c’est d’abord l’inscription de nos sites sur le patrimoine mondial. Pour ce qui est du patrimoine matériel, j’ai déposé le dossier du site de Lorépéni à l’UNESCO et malheureusement je suis tombé malade. Fort heureusement, un de mes amis, l’actuel ministre a pu achever le travail. Le second projet, était celui du quartier traditionnel de la ville de Bobo Dioulasso, qu’on appelle couramment “Dioulasso-bâ”. Je voulais qu’on puisse aussi l’inscrire sur le patrimoine matériel mondial au même titre que la belle architecture de Tiébélé (Pô). Enfin, il y a la cérémonie de faux départ du Moro Naaba qui a lieu tous les vendredi matin que j’ai également soumis à l’UNESCO. Nous espérons un jour que tous ces projets connaîtront un aboutissement heureux.
Art : – Vous avez publié quelques ouvrages dont : INTERNET AU BURKINA FASO : RÉALITÉS ET UTOPIES, CULTURE ET DÉVELOPPEMENT EN AFRIQUE, ROOGO. Nous nous intéresserons au premier, dans lequel vous parlez d’internet au Burkina. Pourquoi ce choix ? :
M.O. : Vous savez qu’on parle de plus en plus d’une nouvelle race d’analphabète !. Il ne s’agit pas de ceux qui n’ont pas été scolarisés ni de ceux qui ont fait le “bantaaré”. Il s’agit plutôt de ceux qui ne savent pas encore manipuler l’outil internet. Pour moi, l’avenir appartient à ceux qui maîtrisent l’outil internet. Si vous ne savez pas vous débrouiller avec cet outil c’est que vous êtes l’analphabète du 21è siècle. C’est pourquoi, j’ai choisi d’étudier cette nouvelle réalité afin de mesurer l’impact de l’internet sur le développement de notre pays.
Art : – Monsieur le conseiller, malgré vos engagements dont tout le monde s’accorde à reconnaître et les efforts du Ministre actuel, notre musique, notre cinéma et notre théâtre semblent encore balbutier. Pouvez-vous nous faire sans détour un diagnostic complet de notre paysage culturel actuel du point de vue cinéma, musique et théâtre ?
M.O. : Je vais encore me référer à la bible pour vous citer ce qui est devenu comme une maxime et qui dit que “nul n’est prophète chez soi”. En fait, Les yeux des nationaux ne voient pas suffisamment ce qui est bien chez eux. Ailleurs, on cite le Burkina comme la capitale de la culture africaine. Rien que ce matin, j’ai lu dans la presse, l’article d’un observatoire panafricain qui dit que “Ouagadougou est la plus grande capitale culturelle de l’Afrique”. Ce qui veut dire que tout le monde reconnait que des efforts ont été faits en matière de culture bien que cela ne soit guère proportionnel à la richesse du pays. Si c’était en fonction de la richesse, c’était la ville la plus riche de l’Afrique qui serait déclarée pays culturel par excellence du continent africain. Cet observatoire a mis en exergue les efforts du Burkina en matière de culture malgré la pauvreté des moyens pour faire vivre au quotidien une nation. Voilà la jauge, l’indicateur qui nous permet de dire qu’un pays est culturel ou pas ou s’il vit sa culture ou non . C’est vrai que des problèmes subsistent, parce que tout simplement, nous venons de loin !. Seul un recul permet de constater le chemin parcouru. Si nous regardons l’existant sans recul, nous risquons de nous tromper. La Haute-Volta (actuel Burkina Faso) à la veille des indépendances n’avait pas mis d’accent sur la culture. C’est vrai aussi qu’avec la crise économique grandissante, la culture est le premier secteur à pâtir du fait qu’elle n’est pas perçue comme étant une priorité par bon nombre de gens. Il y a un fameux adage qui dit : ” il faut d’abord manger et ensuite philosopher”. Si vous êtes ministre de la Culture, et que vous soumettez au gouvernement un projet culturel en même temps que le ministère de la santé ou de l’Agriculture, vous avez toutes les chances que votre projet soit mis en “stand by” . Je me souviens un jour, lorsque j’étais ministre de la Culture, pendant que je me battais pour trouver de l’argent pour le site de Laongo, un ministre a déclaré devant tout le monde : « pendant qu’au au Burkina les gens ont faim et soif, pendant que les malades souffrent à l’Hôpital, Mahamoudou Ouedraogo, lui, parle de ses cailloux de Laongo ». (Rires)
Art : Le milieu culturel se frottait les mains lorsqu’on vous a nommé Conseiller auprès du Président du Faso parce qu’ils voient en vous un excellent plaidoyer pour la culture et que vous alliez peser de tout votre poids pour que le Président du Faso accorde autant d’intérêt à la culture qu’au sport qu’il aime apparemment bien.
M.O. : (Rire). Et qui vous dit que je ne le fais pas ? (rires). En fait, l’erreur serait de mettre en opposition le sport à la culture. Je crois que ce serait une erreur parce que la culture a une dimension sportive, et inversement, le sport a une dimension culturelle!. Nous sommes riches de nos ethnies certains diront de nos nationalités. mais ce n’est pas pour autant que la lutte, en tant que discipline sportive est uniformément vécue dans toutes les ethnies. Pourquoi ? parce que la lutte est spécifique à chaque ethnie donc à chaque culture. La lutte fait partie de la culture. Voilà pourquoi, le sport a une dimension culturelle. A l’inverse, nous avons la culture dans le sport à travers certaines disciplines culturelles comme la dance. Qui dit danse, dit aussi sport !. Donc, autant la culture peut épanouir l’homme, autant le sport peut aussi contribuer au mieux être de l’individu.
Art : – Notre cinéma comme les autres domaines souffrent de financement. L’Etat à lui seul n’arrive plus à satisfaire ce secteur. Les réalisateurs se battent comme ils peuvent ; certains se rabattent sur le numérique(le plus accessible et le moins couteux). Le résultat, nos films ne seraient plus compétitifs dans les grands salons de cinéma. A votre avis, y a-t-il une solution?
M.O. : Il y a sans doute des solutions. Lorsque je fus ministre en 1996, l’une de mes premières actions, c’était de faire les Etats Généraux du Cinéma burkinabé en 1997. Mais il y a tellement de problèmes et d’urgences au point qu’un seul être, quelque soit son intelligence et sa puissance cérébrale ne peut pas résoudre. Il faut recourir à d’autres compétences pour réfléchir sur la question. Ce sont les Etats Généraux du cinéma en 1997 qui ont permis de mieux cerner les problèmes du cinéma burkinabé.
Mais ce qu’il faut d’ores et déjà savoir c’est qu’à l’heure actuelle, le cinéma mondial est en crise du fait de l’avènement de nouveaux médias comme les vidéos clubs qui prolifèrent partout dans la ville. A cela, s’ajoute l’internet par lequel, on peut pirater des films. Les films de Hollywood et bolywood (en inde) sont vus à l’avance aux Etats Unis et en inde par des milliers de personnes avant même d’être projetés dans les salles de cinéma. Il y a, voyez-vous, une nouvelle donne qui vient en rupture avec le schéma classique habituel. Cette situation n’est pas forcément liée à l’argent mais c’est une question de copyright (droit d’auteur), une question d’accès au trésor cinématographique de manière indigne. Vous comprenez donc, que c’est tout le cinéma mondial qui est en crise dont la solution ne pourrait être qu’une solution mondiale.
Art : D’accord monsieur le conseiller ! en attendant justement la solution mondiale quelle stratégie mettre en œuvre pour inciter les opérateurs économiques à investir dans le cinéma ?.
M.O. : Je crois qu’il faut que nous creusions d’avantage les méninges pour nous faire comprendre avec les opérateurs économiques burkinabés qui sont pour la plupart semi-analphabètes. Il faut que nous ayons le même langage pour prendre en considération leurs désidératas. Les gens aiment dire : “si c’était ailleurs …!”; “ailleurs, le problème ne se poserait pas…”!; mais nous ne sommes pas ailleurs ! nous sommes au Burkina. Dans le domaine du cinéma, il faut intégrer la donne actuelle de nos opérateurs économiques. Évitons de faire des comparaisons. Je prends un exemple. Il y a 15 à 20 ans, lorsqu’on interviewait les étalons, la plupart des joueurs ne parlaient pas le français. C’était soit en langue mooré, dioula ou gulmanceman . Mais aujourd’hui, tous comprennent le français.
Au niveau des cyclistes, c’est pareil ; tous ne comprennent pas encore français ! Par contre, si vous interviewez les cyclistes ivoiriens ou camerounais, vous constaterez que tous s’expriment en français. Chaque chose en son temps et il faut toujours prendre en compte les réalités de chaque pays.
Art : Avez vous un dernier mot à l’endroit de tous ces jeunes talents ( comédiens, réalisateurs, ou musiciens) qui, malgré la précarité des moyens, sont en quête de promotion.
M.O. : Humilité et courage ! Les artistes doivent être humbles parce que le succès “tourne” la tête . J’ai connu des jeunes artistes très doués et qui, après leurs premières œuvres sont retombés dans l’anonymat tant le succès leur a “tourné” la tête. Lorsque vous êtes dans une salle de concert et que 3000 spectateurs vous ovationnent, si vous ne prêtez pas attention, vous aurez la grosse tête. Vous oubliez souvent que c’est grâce à l’effort, à la recherche et à la persévérance que vous êtes arrivés à bout de succès. Vous vous croyez déjà au sommet; mais non, vous êtes toujours à la base. C’est pourquoi, je leur recommande l’humilité, toujours l’humilité. Même quand on est parmi les grands, laissez les gens vous dire que vous êtes grands.
Ensuite, je leur souhaite du courage parce que c’est un chemin parsemé d’embûches, d’épines et de Ronces. Il n’ y a jamais un chemin facile. La rose qu’on vous tend comporte des épines. Il faut savoir la prendre par la tige sans vous écorcher. Si vous avez le courage, vous disposez de tous les atouts pour parvenir à vos fins et magnifier ainsi la culture de votre pays.
P.K