Les “Bacchantes”, la pièce qui divise les comédiens…

Les “Bacchantes”, la pièce qui divise les comédiens…

Depuis le 14 septembre 2012, nous n’avons cessé de recevoir des mails en provenance d’artistes comédiens. Les premiers mails ont été classés sans suite parce que nous avions pensé que nous n’étions certainement pas les véritables destinataires. Mais au fil du temps, au regard du contenu et du volume des mails journaliers, nous nous sommes dit qu’il ne pouvait s’agir d’erreur parce que les destinataires étaient bien ciblés. Aussi, l’objet de ces mails (les Bacchantes ) a fini par nous convaincre de la nécessité de rentrer en contact avec les auteurs pour mieux comprendre. C’est ce que nous avons fait dans la mesure où ces mails s’apparentaient à un mouvement de révolte au sein des artistes, appelant les uns et les autres à la mobilisation et au travail. Le jeudi 11 octobre 2012, nous avons pu effectivement rencontrer quelques artistes auteurs des mails en question. Nous avons été directement introduits chez Madame Irène TASSEMBEDO, la Directrice de l’Ecole Internationale de Danse de Ouagadougou qui a accepter nous relater les origines de la polémique créée autour de la pièce “les BACCHANTES” et qui divise aujourd’hui les comédiens.

Loin de jeter de l’huile sur le feu, notre souhait serait que ces comédiens et ces comédiennes puissent s’asseoir autour d’une même table pour finir enfin avec ce problème qui les échoeur au plus haut point. Nous savons qu’Irène Tassembédo peut œuvrer à cette paix et qu’Etienne MINOUNGOU en a aussi la capacité. Nous croyions que c’est possible …


En attendant ce voeux si cher, voici le récit ou si vous voulez, la part de vérité d’Iène TASSEMBEDO sur cette fameuse pièce ” les Bacchantes” :
Irène TASSEMBEDO :

Il y a deux ans, Etienne Minoungou m’a contactée pour me proposer une « carte blanche » dans le cadre de son festival des Récréatrales. Il y avait en fait 2 « cartes blanches » : l’une m’a été attribuée et l’autre attribuée à Martin Ambara. J’ai été surprise mais aussi très honorée par ce geste parce qu’au Burkina, on me connaît bien plus pour le travail que je fais dans le domaine de la danse que pour celui que j’ai fait dans le théâtre. J’ai ensuite demandé à Etienne ce que signifiait une “Carte blanche” et il m’a expliqué que cela donnait la possibilité à un artiste de faire ce qu’il voulait en termes de création, sans restriction artistique et avec un accompagnement complet du Festival sur la production. Tous les moyens nécessaires à son travail de création sont mis à la disposition de l’artiste par le festival, en lui laissant toute liberté pour créer un spectacle, en choisir les textes, la scénographie, les décors et les costumes… J’ai trouvé cela formidable et nous avons donc commencé à travailler courant 2011 sur mon projet : la mise en scène de la pièce du tragédien grec Euripide qui s’intitule « Les Bacchantes », une pièce aussi puissante que fascinante, écrite au IVème siècle avant JC et qui est d’une étonnante actualité.
La première étape de mise en œuvre du projet est intervenue au début de 2012. J’avais déjà constitué préalablement mon équipe artistique et j’ai pu travailler sur la traduction du texte, la structuration du spectacle, mais aussi constituer le casting des comédiens et musiciens. Le soutien des Récréâtrales a été sans faille : le séjour du directeur musical, de mon assistante à la mise en scène et de la dramaturge ont été organisés sans difficultés et le travail a bien avancé.

Un premier problème est survenu lorsque j’ai appris que les comédiens que j’avais choisis et avec qui j’avais déjà travaillé à Bruxelles en 2011, sur le projet d’une metteur en scène belge, Isabelle Poulseur, serait finalement programmé pendant le festival dans la pièce créée en Belgique. Il n’est pas possible de travailler avec des comédiens engagés dans plusieurs pièces en même temps, bien évidemment. Les Récréatrales auraient dû m’informer plus tôt de cette situation car j’ai été contrainte en juin d’organiser de nouvelles auditions pour changer toute la distribution. Encouragée par Hildevert Méda et Etienne Minoungou, j’ai malgré tout eu la chance de trouver une autre équipe talentueuse et dynamique.
Une seconde période de travail destinée à commencer les répétitions de la pièce était prévue en juin par les Récréatrales. Elle a dû être annulée pour prendre en compte les difficultés de financement du festival. J’ai interrogé Etienne Minoungou en mai-juin sur les risques pesant sur la production de nos créations et sur le festival, celui-ci m’a assuré que le Festival aurait bien lieu, que les « cartes blanches » seraient prioritaires et préservées, même si le financement n’était pas suffisant pour toutes les activités prévues.

Malgré ces premiers accrocs, nous avons continué la collaboration en bonne intelligence, en communiquant régulièrement par mail ou par téléphone, jusqu’à la fin du mois d’août où Etienne m’a appelé pour m’exposer ses problèmes financiers.
J’avais entre temps essayé par moi-même de monter quelques dossiers pour obtenir des financements complémentaires, car nous avions consenti déjà d’importantes coupes dans le budget à la demande des Récréatrales, les salaires proposés aux comédiens me semblaient faibles et le budget prévu pour les décors et les costumes (1 000 000 CFA) était très insuffisant (il y a plus de 20 acteurs et musiciens dans le spectacle). Quelques jours plus tard, Etienne Minoungou m’a demandé où en étaient mes recherches de financement. La question m’a alors beaucoup embarrassé, car cela commençait à inverser les rôles : j’étais sensée être la bénéficiaire d’une carte blanche, pas la coproductrice du spectacle, encore moins la personne en charge de la mobilisation des ressources pour la production du spectacle. Fin août, exactement 10 jours avant le démarrage de la dernière phase de préparation du spectacle, Etienne Minoungou est venu chez moi pour m’expliquer ses problèmes de financement et me demander de reporter la création à plus tard. Il a expliqué qu’il n’avait que 10 millions disponibles et qu’il en manquait 6 pour boucler le budget de mon projet. Or, l’équipe artistique burkinabè et française était mobilisée sur le projet depuis des mois, les billets des européens émis, le planning de répétition établi, etc. J’avais par ailleurs des engagements sur d’autres projets importants jusqu’en fin 2013 qui s’enchaînaient directement après la création des « Bacchantes ». Etienne Minoungou savait donc que sa proposition de report revenait à annuler purement et simplement ce projet.
Malgré les propositions de conciliation et alors que le festival avait pourtant déjà lourdement investi dans la préparation de ce spectacle (environ 7 millions), que d’autres choix pouvaient être faits pour faire des économies sur des activités moins essentielles, Etienne Minoungou a unilatéralement et sans autre forme de procès décidé d’écrire à mon équipe artistique pour annuler le spectacle, prétextant de la crise alimentaire au Burkina, de la crise politique au Mali et de la crise économique internationale (sic)… Il n’a cependant pas eu le courage d’affronter les comédiens pour leur annoncer sa décision.
Je lui ai alors signifié que je rejetais catégoriquement sa décision parce que j’estimais que c’était le devoir des Récréatrales et de son Directeur de rechercher des financements pour les créations prévues et qu’il était inadmissible d’annuler un spectacle une semaine avant le démarrage des répétitions, après près d’une année de travail et sans le consentement de tous les artistes. Etienne qui aime bien utiliser l’expression “de façon collégiale”, aurait pu choisir d’expliquer la situation à toute l’équipe de façon transparente, afin de rechercher des solutions « de façon collégiale » !

Mais décider unilatéralement d’arrêter la plus grosse production du festival, de mettre plus de 24 artistes dans une situation critique (la plupart ayant refusé d’autres offres pour pouvoir participer à cette production), c’est vraiment choquant !
Si des difficultés de financement devaient amener à repousser le festival des Récréâtrales, j’aurais accepté parce que tous auraient été dans le même bateau. Mais décider d’écarter uniquement mon équipe, quelques jours avant le début des répétitions, je ne pouvais l’accepter.
Aussi, l’ai-je informé en retour du fait que j’allais continuer mon travail tout en lui demandant de faire le sien. Le dernier contact que j’ai eu avec lui date de ces entrefaites, puisqu’il m’a répondu par SMS qu’il restait sur sa position pour ” ne pas perdre plus de 10 ans de travail et plus de 100 personnes ” (sic). Depuis ce dernier contact, c’est malheureusement jusqu’à aujourd’hui le silence radio ! Un silence avec les comédiens, ce qui m’a sans doute le plus choqué car Etienne est un comédien qui ne semble plus se souvenir des réalités de l’exercice de ce dur métier, un silence avec moi-même et avec toute l’équipe artistique.
Ce comportement a profondément choqué les comédiens, qui ont unanimement décidé de poursuivre le travail avec moi, y compris le grand comédien togolais Béno Sanvee qui est venu du Togo malgré ces incertitudes. J’ai la chance de disposer de locaux de répétitions à l’Ecole de Danse que j’ai créée il y a 3 ans et nous avons donc démarré comme prévu le travail le 10 septembre avec l’équipe au grand complet.
A ce jour, je peux dire que le travail artistique avance bien. Nous faisons appel depuis lors à la bonne volonté d’amis, familles, sympathisants et amateurs des arts vivants. Nous frappons à toutes les portes afin de parvenir à produire ce spectacle, dans le but que sa qualité l’impose de facto. Toute l’équipe vit une aventure extrêmement difficile, mais accepte de grands sacrifices pour produire une belle œuvre qui honorera le public et les artistes. C’est aussi une manière de dire à tous les artistes que nous sommes une famille et que nous devons nous respecter en tant que famille, nous entraider et être là quand les uns ont besoin des autres. C’est aussi pour honorer le très beau thème qu’ont choisi les Récréatrales qui est celui de « l’insoumission », un concept que les artistes ne doivent jamais oublier, et qui était sans doute prémonitoire… Notre meilleure façon de traiter avec l’incompétence et la couardise est de réussir un très beau et fort spectacle.

Artistebf : Vous avez ainsi décidé de faire cavalier seul c’est-à-dire sans les Récréatrales, comment comptez-vous boucler ce budget ?
Sur ce plan, on en est à trouver des solutions au jour le jour. C’est difficile, mais je suis certaine d’une chose : la pièce sera jouée !

Artistebf : Pour finir la pièce, il faut bien des financements or vous n’avez rien apparemment dans vos poches.
Nous n’aurons sans doute pas d’autres financements que les aides de quelques amis et mécènes, c’est sûr. Le seul soutien institutionnel pour l’instant est venu de l’Ambassade de France qui a pu in extremis nous apporter 2500 euros. Mais il est important pour nous de pouvoir présenter coûte que coûte ce spectacle au public, même si nous nous endetterons pour le faire.

Artistebf : Avez-vous une idée du budget ?
Il nous faut 16 millions pour boucler le budget, nous avons pu réunir déjà quelques contributions en nature comme en espèces, à hauteur de 4,5 millions.

Artistebf : Combien de temps vous reste-t-il pour terminer la pièce ?
Nous démarrons les représentations publiques à l’Arène de Lutte de l’INJEPS le 2 novembre, c’est-à-dire en même temps que les Récréâtrales, et jouerons tous les soirs jusqu’au 10 novembre 2012.

Artistebf : Madame, après tout ce qui vient d’être dit, il y a comme une fracture entre vous et l’équipe d’Etienne? Vous le confirmez ?

Moi, je ne parlerai pas de fracture entre moi et l’équipe d’Etienne. C’est plutôt une trève jusqu’au 10 novembre prochain ! Après cette date, je tirerai les conclusions de l’attitude des uns et des autres. Je n’ai pas envie de perdre un temps précieux que je dois à notre création pour régler ces problèmes maintenant. La décision arbitraire et injustifiée qui nous a été imposée et l’absence de dialogue qui s’en est suivi, est le fait d’une seule personne alors que les Récréatrales ne lui appartiennent pas. C’est en effet le Cartel, qui compte 4 compagnies de théâtre, qui est promoteur de ce festival. Si j’avais su que le sort de tout notre projet artistique actuel dépendait d’une seule personne, j’aurais sans doute agit autrement.

Artistebf : Avez-vous toujours des contacts avec Etienne ?
Nous ne travaillons plus pour les Récréâtrales; nous ne faisons plus partie de leur programmation et c’est ma propre compagnie qui assume la responsabilité de ce beau projet. Tant pis pour ce festival, s’il est capable de faire des choix si peu éclairés et d’être animé dans un tel esprit dictatorial. Pour ma part, je ne reconnais pas le droit à Etienne Minoungou de se positionner en un quelconque monsieur théâtre africain, encore moins en défenseur de ses frères comédiens, du haut de ses agissements en tant que directeur des Récréatrales.
Lorsque l’on a créé quelque chose, on n’en est déjà plus le propriétaire. Etienne Minoungou n’est pas plus propriétaire des Récréatrales que je ne le suis de l’Ecole de Danse que j’ai créée.

Artistebf : Avez-vous un appel à lancer à toutes les bonnes volontés qui voudraient bien vous soutenir ?
Je dis à tous ceux qui croient en l’art, au théâtre, à la danse et à la musique que leurs soutiens seront les bienvenus, quelle que soit la forme et le montant de leurs participations. Un bureau est ouvert à l’EDIT (quartier Cissin, tel : 70 00 10 51) pour recueillir ces soutiens. Nous serons très honorés de leur aide et les assurons que tous nos efforts sont tournés aujourd’hui vers le public et donc vers eux. Chacun pourra nous retrouver à l’Arène de Lutte de l’INJEPS du 2 au 10 novembre 2012. Le soutien du public sera également très important.

Que dire finalement de cette polémique qui déchirent les artistes au moment où les récréâtrales sont en pleine résidence de création?. A notre avis, le moment est très mal choisi . C’est pourquoi, nous ne doutons pas un seul instant qu’Etienne Minoungou avec la sagesse que nous lui connaissons trouvera une issue heureuse à cette histoire; d’abord pour son image personnelle, ensuite pour le respect des récréâtrales qu’il dirige, enfin, pour le respect des partenaires des récréâtrales. Du côté d’Irène Tassembédo comme du côté d’Etienne, il n’est pas tard pour se ressaisir …
En attendant, les “Bacchantes”, version Irène Tassembédo, sera sans doute, la pièce de l’année la mieux vue et la plus recherchée parce qu’une pièce à polémique ne manque pas de draîner du monde; chacun voulant voir à quoi ça ressemble et jusqu’où va le courage des “Bacchantes” (Irène et son équipe). Tous les ingrédients sont donc là : Volonté, engagement, détermination et sacrifice des comédiens.
Aussi, les images de la page actuelle nous donnent -elles déjà un apperçu de ce que seront les “Bacchantes” au soir du 2 novembre 2012.

Octobre 2012

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