Exposition collective à l’IF de Ouagadougou : « AKILI KOH », ou le degré zéro de l’engagement.

Exposition collective à l’IF de Ouagadougou : « AKILI KOH », ou le degré zéro de l’engagement.

Une exposition présentant de belles pièces de 11 artistes reconnus sur la place. La plupart ont la quarantaine bien sonnée. Plus deux doyens incontournables, et un joyeux drille nouvellement arrivé sur la scène artistique surfant sur la mode Basquiat and Co. La scénographie est solide, les œuvres nombreuses, variées, plutôt captivantes en tant que telles.

Avec le titre « Akili Koh », on a une suggestion d’orientation fortement teintée de spiritualité, car il est convenu d’accepter que tout acte créateur d’un africain est forcément de haute teneur spirituelle – même si, blanc ou noir, on a envie de sa bière en début de soirée. Cela suffit-il à poser une unité ? On peut en douter.

Approché par François Deneulin qui voulait me convier à participer à cette exposition, j’ai dû humblement décliner, puisque la thématique proposée en son temps par lui, puis abandonnée par la suite semble-t-il : « retrouver ce qui fait trace dans notre travail artistique, traces du passé, traces de nos cultures, de nos héritages » ne faisait pas écho avec ma démarche actuelle.

Il faut dire que je prévoyais un autre projet d’exposition pour l’IF, qui ne sera certainement pas retenu, vous devait bien comprendre pourquoi.

Les généralités du programme de l’IF de Avril/Mai concernant la présentation de cette exposition – je ne parle pas du faux suspens concernant les artistes qui seraient présents, puisque certains, faute de directive, l’ont naturellement dévoilé – puis le texte donné au public le soir du vernissage à la Rotonde de l’IF, surprennent quant à la réduction, voire l’abandon de la thématique, passée aux oubliettes, même plus citée.

Reste seulement un (texte non signé. François ?) : « chercher des points de vue, des paysages (…) entre les œuvres, entre celles qui feront décoration et celles qui feront art » (A part la présence incongrue de meubles design sympas de Hamed B. Ouattara, certaines œuvres ne seraient que décoratives ? ah bon…), ou une : « tentative de dialogue entre les œuvres, entre les esthétiques, les parcours et les qualités des travaux » (on en est juste à la tentative là ? esthétiques, parcours… comment peut-on faire plus général, consensuel ? et… des travaux ne seraient donc pas de qualité suffisante ? alors pourquoi les exposer ?)

Cette exposition visuellement attrayante manque singulièrement d’engagement. Il est loin le temps où, quand je suis arrivé en 2001, j’ai découvert avec surprise celle de Saliou Traoré et Alassane Drabo sur les mines anti-personnelles, proposant des prémices d’installations de grande envergure, des expériences matérielles et formelles nouvelles. Ces 2 artistes, incompris au Faso, se sont depuis longtemps exilés à l’étranger.

François Deneulin est un galeriste chevronné, et il propose une exposition de galeriste : œuvres propres, policées, vendables, techniquement correctes, gentiment expressives, pas trop encombrantes, qui ont peu à voir entre elles mais qui constituent un bon cheptel de galeriste. Il n’est pas étonnant que l’IF fasse appel à un galeriste comme commissaire d’exposition : l’IF, très macroniste, ne veut prendre aucun risque artistique, et propose depuis longtemps des expositions consensuelles et gentillettes favorisant la production d’images facilement exportables au bénéfice d’acheteurs étrangers, et cible sur des valeurs sûres.

François Deneulin, qui connaît peu l’histoire artistique du pays des 20 dernières années, tombe dans le panneau, et présente des artistes souvent déjà maintes fois dernièrement exposés à l’IF, et qui y exposeront encore et encore – les exposants de juillets seront aussi (hasard ?) les sélectionnés burkinabè de la BISO in, en novembre 2021.

Outre l’absence (habituelle) de date de réalisation des oeuvres, ce qui aurait été très utile pour comprendre l’amplitude temporelle d’une telle expo collective, la présence de celles de feu Boubakar Nassere, dans un coin de la salle et sans même son nom pour l’identifier, sont à la limite de la négligence vis-à-vis de l’artiste. J’avais dit à François de contacter Sylvo Zoungrana qui prévoyait de négocier avec l’IF une vraie exposition de ces peintures. L’a-t-il fait ?

N’y a-t-il que l’Institut Goethe pour avoir osé dénicher un artiste aussi atypique et original que Oumarou Traore dit Sam Dol ?

La Voix de la France, pays conservateur, ici incarnée par l’IF, ne peut-elle pas oser parfois un peu plus l’esprit des révolutionnaires de 1789, des communards, des dadaïstes, des surréalistes ou des soixante-huitards, pourtant gravés dans la culture populaire de l’hexagone ? Et ruer dans les brancards ?

Lucien HUMBERT

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