Mahamat-Saleh Haroun

Mahamat-Saleh Haroun

Mahamat-Saleh Haroun est un réalisateur bien connu des professionnels de cinéma. En 2010, il était le seul Africain sélectionné au Festival de Cannes.Pour son film “Un homme qui crie”, Mahamat-Saleh a obtenu le 1er prix du Jury à CANNES.Après les “BYE BYE AFRICA”, “ABOUNA”, “DARAT” et bien entendu, ” un homme qui crie “, le réalisateur Tchadien nous revient cette fois avec son film “GRIS GRIS”, son 5è long métrage. Nous l’avons rencontré au festival de séries télévisées africaines organisé en février 2014 par l’Institut Français de Ouagadougou.
Avec Mahamat-Saleh Haroun, nous avons échangé particulièrement sur son film GRIS GRIS qui lui a couté près du milliard de francs CFA .

Mahamat-Saleh Haroun ( M.S.H) : Je suis Mahamat-Saleh Haroun,réalisateur Tchadien. Je suis à mon 5ème film avec Gris-Gris que vous avez pu voir à l’institut Français.J’ai fait mon premier long métrage en 1999 qui s’appelle “BYE BYE AFRICA” réalisé en 1998. Je suis également auteur des films “ABOUNA” (2002), “DARAT” en 2006, et ” un homme qui crie ” (2010).

Artistebf (ART.) : “Gris-Gris”, c’est votre dernier film; pourquoi ce titre ?
M.S.H : En fait ” gri-gris” ce n’est vraiment pas les amulettes comme vous l’imaginez; c’est plutôt le fait que ce jeune homme, quand il était enfant, était comme le gris-gris de tout le quartier. Il était en quelque sorte un porte bonheur des gens de son quartier.Quand les gens lui faisaient du bien, en lui faisant de petits cadeaux par exemple ou en lui caressant tout simplement la tête, ils étaient sûrs d’avoir en retour quelque chose de bien; en tout cas, les gens se disaient que leur journée allait bien se passer. C’est pour cela que tout le monde l’appelle” GRIS-GRIS” et c’est devenu un peu son sobriquet.

ART. : Malgré tout, l’esprit du gris est toujours là !
M.S.H : Oui, c’est tiré en effet de cet esprit. Ce n’est pas une croyance absurde, c’est une croyance liée au mystique, une croyance logique et raisonnée. Chez moi, chacun à une balance: la balance des bons points et celle des mauvais points. Les gens ont compris que faire du bien à cet enfant handicapé, c’est forcément gagner de bons points. Or le gris-gris mystique dont vous faites allusion, rien n’est sûr; on vous le donne et on vous dit que si vous l’utilisez, le fusil ne va pas vous tuer et pourtant, il arrive des fois qu’il vous tue.

ART. : De quoi parle le film “GRIS-GRIS” ?
M.S.H : Le film” gris-gris” est un film dont le personnage principal est hors pair. Il se trouve qu’il a une particularité et en cela, il est unique; c’est qu’il est handicapé de la jambe, il survit en dansant dans les bars et dans les maquis. Un jour, son beau-père tombe gravement malade et il n’a pas les moyens de se faire soigner. Donc, “gris-gris” va essayer de trouver de l’argent pour les soins de son beau père.

ART. : Le personnage principal est une personne qui souffre d’un handicap physique. Est-ce à cette personne que vous avez pensé avoir comme acteur principal quand vous écriviez le film ?
M.S.H : Non, pas du tout ! Moi quand j’écrivais le scénario, j’ai plutôt parlé de ces jeunes qui font le trafic d’essence entre le Cameroun et le Tchad.Mais quand j’ai vu Souleymane DEME à OUAGA en 2011 danser sur scène, je me suis dit voilà c’est ça mon personnage, c’est un jeune comme ça qu’il me faut. Ainsi donc, j’ai décidé de modifier toute l’histoire et tout le scénario pour donner le rôle principal à Souleymane. Effectivement, au départ, je n’ai jamais pensé parler de handicap.
ART. : A la fin du film “gris-gris”, les femmes se sont fait justice; est-ce là un message que vous laissez aux femmes ?
M.S.H : A un moment donné de la vie, il faut faire face à l’adversité. Mais il ne faut pas le prendre comme un message pour dire que les femmes doivent se comporter de la sorte; non, je ne pense pas. Mais j’ai voulu montrer comment en fait la communauté arrive à intégrer un couple. C’est un sacrifice qui montre à quel point elle veut intégrer ce couple dans la communauté et en retour, ce couple devient redevable à vie à cette communauté. C’est l’idée d’interdépendance dans la solidarité que je voulais évoquer.

ART. : Sur quel format avez-vous tourné le film ?
M.S.H : J’ai tourné le film en numérique; c’est d’ailleurs mon premier en numérique. Sinon, jusque-là, j’ai toujours tourné mes films en 35mm.

ART. : Les films en numériques sont économiques en termes de coût pour les réalisateurs. Or le film ” gris gris” bien qu’il soit tourné en numérique a coûté près du milliard. On se demande finalement si vous avez fait le bon choix
M.S.H : Oui, en fait ceux qui utilisent le numérique bas de gamme, le coût est moindre. Aujourd’hui, il y a des caméras numériques qui coûtent aussi chères que les caméras 35 mm. La plupart des gens aujourd’hui ne traitent pas le SON en numérique. Or travailler le son en numérique demande un travail colossal et les mixages qu’on fait en Afrique n’ont pas la même qualité qu’on fait en Europe.

ART. : Quelle appréciation faites-vous de la vie des comédiens ?
M.S.H : Si vous voyez la vie des comédiens burkinabé de ces 20 dernières années, ils ont plutôt gagné moins d’argent. Donc on ne peut pas se réjouir à faire des films moins chers parce qu’on veut économiser; c’est une économie qui ne génère pas un épanouissement du comédien. Il faut que les gens qui font le vrai boulot, les professionnels donc, soient les premiers bénéficiaires, mais personne ne donne la parole aux comédiens.
Il ne faut pas qu’on dise que les coûts de production augmentent pour donner moins aux comédiens. Le coût de la baguette de pain a augmenté en 10 ans et ce sont les comédiens qui sont les premières victimes.

ART. : Cette affaire de cachet faible dont personne ne veut qu’on en parle est finalement lié à quoi; à la faiblesse des budgets ?
M.S.H : Il m’arrive souvent d’avoir un petit budget; et quand c’est le cas, je dis aux gens “voilà le budget dont je dispose et voilà ce que je vous donnerai par rapport à ce budget-là”. Lorsque c’est fait comme ça, les gens sont contents. Mais si vous leur cachez la vérité en disant que vous n’avez pas les moyens, c’est là le problème. Je trouve que ce n’est pas ” FAIR-PLAY” puisque vous avez en face de vous des gens qui doivent manger; vous les tenez par la barbichette et vous leur dites ce que vous voulez ! ce n’est pas “fair-play”. Quand on est digne de ce métier-là, on doit respecter les comédiens parce que sans eux, il n’ y a pas de cinéma. Donc, on doit les respecter, les payer correctement. Le jour où, on n’aura pas les moyens, ils seront là pour nous aider. Au Burkina, vous savez bien que les gens qui vivent le mieux, ce sont les réalisateurs, ce ne sont pas les comédiens donc, il y a un problème.
ART. : Question un peu indiscrète; le plus bas cachet dans le film “GRIS GRIS” est de combien ?
M.S.H : Je vais vous donner le cachet journalier. Le plus bas cachet par jour s’élève à200 000 francs CFA. C’est ce que je donne.Je prends l’exemple du football quand vous voulez gagner, il faut avoir les meilleurs et pour avoir les meilleurs, il faut bien les payer; il n y a pas de secret en fait! Un comédien qui n’est pas content, le film peut ne pas exister et un comédien qui est épanoui, il joue le double de ce qu’il peut vous donner; ça, je ne l’oublie pas. Je crois que c’est l’une des bases de cette profession. Je rappelle que mon plus gros cachet dans le film Gris-gris, a été 1. 000. 000 (un million) de frs CFA par jour. C’est vrai que la personne n’a pas fait plus de 10 jours mais parce que j’avais beaucoup de respect pour ce comédien-là. Alors pour ces quelques jours qu’il est resté avec moi, j’ai décidé de le payer un million par jour de tournage.

ART. : Vous faites des films à hauteur du milliard alors que les salles de cinéma se ferment en Afrique; quel avenir pour le cinéma ?
M.S.H : Il faut que les Etats s’investissent pour permettre aux gens de vivre. Je pense que les associations de comédiens et de cinéastes au lieu de parler, doivent réfléchir encore pour trouver des solutions àleurproblème

ART. : Quel est votre message à l’endroit des comédiens qui veulent travailler avec vous ?

M.S.H : Moi je travaille avec ceux qui sont bons et sincères parce qu’il y en a qui travaillent dans l’insécèrité permanente et cette insécèrité ne travaille pas la profondeur. J’aime bien les gens qui sont profonds. Je cherche des comédiens sobres et intelligents. Sincèrement, je n’existe que par ces gens –là, sans eux, je n’existe pas non plus. Ma porte reste ouverte aux comédiens qui veulent venir.

Avril 2014

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