Vincent KOALA

Vincent KOALA

Vincent KOALA est un ingénieur des Eaux et Forêts de l’Institut de Développement Rural ( IDR )de l’Université de Ouagadougou. Après son Bac série D, Mr Koala, comme bon nombre d’enfant de paysans révait d’embrasser des métiers qui, dans le temps fascinaient le monde paysan. Il s’agit des métiers d’agriculteur, de médecin, d’agronome, de vétérinaire ou de forestier. Finalement, c’est ce dernier métier, c’est à dire celui du forestier qui a enchanté notre jeune bachelier. Malheureusement, son séjour dans le corps des Eaux et Forêts n’a été qu’un feu de paille. En effet, après son Service National Populaire (SND), il n’a servi qu’une année dans la fonction publique burkinabé avant de demissionner pour la culture.

Contre vents et marées, Vincent KOALA, notre invité de la semaine a réussi à se frayer un passage et se faire une place au soleil puisqu’il est aujourd’hui le Directeur pour ne pas dire le fondateur de l’Organisation des Dynamisations des Arts et Spectacles en Afrique (ODAS-AFRICA).

C’est donc cet grand homme de culture, passionné de musique et des lettres que nous avons rencontré pour échanger sur la culture et sur la musique burkinabé en particulier. D’ingénieur des Eaux et forêts à opérateur culturel, quel est vraiment le lien ? En attendant de le lire dans notre ouvrage en cours d’écriture, voici ce qu’il nous dit :


V.K: Je suis ingénieur des Eaux et Forêts de l’Institut de développement rural de l’Université de Ouagadougou. C’est par la suite que je me suis formé dans le domaine de la culture, en tant que manager de l’entreprise culturel à Montpellier pour pouvoir exercer dans le domaine comme professionnel et responsable d’entreprise. Voilà ce qui est de la présentation. Je mène des activités d’ingénieries culturelles depuis pratiquement 1988. Mais en tant que professionnel, c’est depuis 1991. J’ai exercé de nombreuses responsabilités dont le poste de Directeur de l’Association “ODAS AFRICA” que j’occupe depuis 1994. Cette association a pour objet, la formation, la production artistique ou évènementiel, les études les champs de la culture et de manière générale, l’aide à la professionnalisation des acteurs culturels. Notre champ d’action, c’est vraiment la gestion et le management des activités culturelles car nous estimons que cette dimension au sein des activités culturelles est très faible; ce qui, évidemment joue sur la compétitivité, la performance, la réussite des projets et des structures qui les portent.

Art: Bien avant que vous ne rejoignez le secteur culturel, combien d’années avez-vous servi sur le terrain ?

V.K: Après mon service National Populaire qui a duré un an, j’ai servi au maximum une année dans le domaine du développement rural en tant que travailleur du secteur. Mais quand je partais pour la France, j’avais plutôt l’intention de m’inscrire à INSTITUT des Etudes Tropicales de Montpellier pour continuer le cycle d’ingénieur. Malheureusement, ce qui n’a pas été possible pour de multiples raisons. C’est pourquoi, j’ai profité faire autre chose.

Art: D’ingénieur des Eaux et Forêts à Opérateur culturel, il n’y a vraiment pas de lien. V.K: Est-ce qu’on peut savoir pourquoi ce revirement ?

Vous savez quand vous avez un bac D, vous n’avez la possibilité que de faire des études scientifiques. En tout cas, en 1985, il n’était pas conseillé de m’orienter en droit ou en lettre parce qu’avec un bac D, les Ecoles les plus indiquées étaient l’IDR, la Santé, l’IMP ou les Sciences Economiques. C’est naturellement dans cette optique, que j’ai été orienté à l’INS-IDR. Mais je dirai que c’est un parcours normal parce qu’en tant que fils de paysan, j’aspirai comme bon nombre des jeunes issus de ces milieux ruraux, à des métiers qui séduisent comme le métier de médecin, agronome, vétérinaire, forestier. Donc, je n’ai pas échappé à la règle.

Art: Qu’est-ce qui vous a tant fasciné au point que vous quittiez les Eaux et Forêts pour la culture ?

V.K: Je suis un mélomane et au niveau de la culture, j’aime les lettres. Je suis attentivement les activités artistiques qu’elles soient traditionnelles ou contemporaines. Au début des années 90, j’ai suivi avec attention le travail que développait mon cousin Koudbi KOALA sur sa volonté de se servir de la culture pour développer d’autres secteurs comme l’éducation, la santé, le sport. Je l’ai suivi pendant plusieurs années au niveau de ses activités en France en tant que responsable de tournées de ses activités. Son option n’était pas si erronée parce que se servir de la culture pour développer un village, une collectivité était de l’ordre du recevable. Après avoir vécu de telles expériences auprès de mon frère KOUDBI, je me suis donc demandé pourquoi il n’y aurait pas une structure qui puisse faire le même travail, non pas centré sur une seule troupe mais pour l’ensemble des artistes. Depuis la fin des années 1980, c’est l’Etat qui a en charge la culture et qui facilite le voyage des artistes à l’étranger. Mais bien avant cette date, ce rôle était dévolu au Centre Culturel Français qui signait les contrats et qui faisait voyager les artistes à l’étranger. Il y avait aussi des opérateurs culturels installés hors d’Afrique (Belgique, France). Ces opérateurs repéraient les compétences artistiques sur place pour les faire évoluer en Europe. En dehors de cela, les artistes musiciens, les comédiens étaient obligés de s’auto-promouvoir, de s’auto-administrer, de monter des projets et chercher leurs contrats; ce qui n’était pas si aisé. C’est donc la somme de toutes ces réflexions et de tous ces constats qui m’a amené à créer “ODAS” qui est l’Organisation des Dynamisations des Arts et Spectacles en Afrique. Comment se servir de la culture pour développer d’autres secteurs; autrement, en quoi la culture peut contribuer au développement économique et Social du Burkina et de l’Afrique ? Tel est le contexte dans lequel ODAS a été créée.
ODAS est aussi est un jeu de mots parce que les priorités d’un pays comme le Burkina, étaient l’éducation, l’agriculture, la santé, la sécurité et l’Environnement. Dire donc en son temps que la culture est importante, était une avancée audacieuse. C’est pourquoi, nous avons dit qu’il faut plus d’odacy pour la culture en Afrique.

Art: Quelles sont vos sources de financement ?

V.K: Pour cette question, il faut la répondre à 3 niveaux. Chronologiquement, jusqu’en fin 90, ODAS était essentiellement axé sur l’accompagnement de la création Traditionnelle (troupes traditionnelles). A ce titre, nous avons fait tourner beaucoup d’artistes en Europe. “ODAS” vivait essentiellement des retombées économiques des tournées européennes organisées au profit des compagnies des trois pays sur lesquels on travaillait à savoir le Burkina, le Mali et de la Guinée.
A partir de 99, on s’est occupé aussi des formations contemporaines en accompagnant les structures contemporaines au niveau de la musique, de la danse ou en appuyant des projets; C’est ce qui nous a permis d’avoir plus de moyens pour travailler. Il faut dire qu’ODAS a toujours été financé à hauteur de 60-70% venant des recettes des structures. Nous recevons très peu de subvention. Dans le cadre des formations, nous recevons des subventions souvent de l’Europe, de la France, de l’Espagne, des collectivités territoriales de mairies de France, du ministère de la culture du Burkina avec qui, on entretient une collaboration vieille de 20 ans.

Art: Quel est votre regard critique sur le paysage musical burkinabé ?

V.K: La musique burkinabé de façon générale est dynamique; elle s’est enrichie depuis ces dix dernières années de nouvelles voix, de nouveaux artistes. Je crois que c’est une musique qui avance aussi bien sur le plan artistique, technique que de la création. Mais économiquement parlant, notre musique se porte mal du fait d’abord de la crise mondiale. Le marché de la musique est en plein recul au niveau de ses supports de vente telles les K7, Cd et autres. Il est apparu une nouvelle forme de consommation de la musique qui permet au consommateur de ne plus acheter et de consommer autrement la musique. Le fait le plus contraignant, c’est la piraterie qui désorganise totalement l’économie musicale. Des pirates, j’allais dire des voyous, des bandits s’accaparent des biens d’autrui pour s’enrichir. Les conséquences d’une telle situation sont immédiates sur la vie des créateurs, sur leur rayonnement sur le plan international. Aussi, la musique burkinabé n’est pas connue à l’étranger parce qu’elle ne s’exporte pas ! il n’y a pas de dispositions, ni de réseaux de diffusion de notre musique au niveau international. C’est déjà un défi à relever. Le manager a certes les compétences pour manager un groupe d’artistes mais ce qui lui manque le plus, ce sont les moyens financiers pour développer ses projets et aussi, un tissu international qui lui permet de développer ses activités et de proposer ses artistes. En résumé, il faut avoir la compétence, les ressources financières et être intégré au marché international pour permettre aux artistes de valoriser leur création. Dans le cas du Burkina, il y a la compétence mais malheureusement, il manque les ressources financières et le réseau international.

Art: Qu’est-ce qui vous fâche dans ce métier ?

V.K: Une rupture de contrat, de manière abusive d’avec un artiste déçoit. Quand vous travaillez avec un artiste, vous mettez de nombreuses années pour construire sa notoriété, vous investissez sur cet artiste et au bout de quelques années de cheminement commun, l’artiste opte pour travailler avec une autre personne. Il va s’en dire que tout l’investissement que vous avez mis sur lui, ne peut pas être amorti. C’est donc un investissement à perte et ça, c’est très frustrant.
Quand vous regardez au niveau international, les artistes qui ont une grande durée de vie sur le marché c’est ceux qui ont une organisation stable et qui restent fidèles à une structure ou à un manager. C’est la pire des choses qui puisse d’ailleurs arriver à un entrepreneur culturel de voir ses artistes signer des contrats ailleurs malgré la présence de contrats et au moment où on a beaucoup investi sur eux. Beaucoup en ont fait les frais que ce soit au Burkina ou ailleurs en Afrique. C’est une réalité qui est liée au manque de structuration du secteur. Dans d’autres contrées où le secteur est plus structuré, l’artiste est libre d’aller avec qui il veut. Mais en amont, il y a des sommes à payer pour pouvoir s’affranchir de la tutelle de l’ancienne entreprise parce qu’on suppose que l’ancienne entreprise avait investi. C’est ce qui est plus dure !

Art: Comment donc palier à toutes ces difficultés qui fragilisent les entreprises culturelles ?

V..K: Je pense que nous n’analysons pas assez le marché de la musique. Or, pour trouver une solution dans cette crise qui secoue le marché du disque, il aurait fallu au préalable bien analyser le marché pour savoir à quel niveau il faut intervenir pour améliorer les choses. C’est toujours le même schéma intellectuel. Qu’est ce qui se passe ? Quelles en sont les causes et quelles seraient les nouvelles pistes à explorer ? Tant que cette évaluation n’est pas faite, on a tendance souvent à prendre les constats, des façades ou des lueurs pour les vrais problèmes qui entravent le marché de la musique.
A mon sens, pour développer le marché de la musique, il faut que les entreprises qui interviennent dans ce domaine prennent en compte les constats suivants :
1- le support ne se vend plus.
2 – le mode de consommation a changé; il existe plusieurs méthodes de consommation.
3 – c’est la musique vivante qui est aujourd’hui le plus porteur. La musique vivante sont les animations culturelles, les concerts, les spectacles où les artistes jouent réellement. Aujourd’hui, on voit des musiciens qui se baladent sur scène avec des micros et qui font du PLAY BACK; ce n’est pas de la musique vivante et je ne sais non plus ce que c’est ? La musique est un art qui se pratique et qui est vivant.
L’une des solutions consiste à développer cet art vivant à travers des concerts, des tournées internationales qui ont l’avantage à la fois de permettre à l’artiste d’avoir de l’expérience parce qu’un artiste qui joue se bonifie avec le temps. Deuxièmement, ça crée de l’emploi parce que faire un concert nécessite des instrumentalistes, ils ont des cachets, l’artiste rencontre son public et ça lui fait de la notoriété. Troisièmement, il y a en retour des droits d’auteurs qui sont payés pour l’exécution publique. Je pense qu’en empruntant ce schéma qui rapporte des revenus pourrait suppléer un peu à la mévente des supports de disque occasionnées par les différents modes de consommation et par le phénomène de la piraterie. Ensuite que les entrepreneurs qui s’occupent de la musique soient soutenus, c’est à dire trouver des moyens de pouvoir permettre à leurs artistes de prester à l’étranger. L’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) par exemple pratique depuis plus de 10 ans, un système d’achat de billets ou de budget consacrés aux compagnies qui disposent de contrats de tournées au niveau international ou régional. Pourquoi ? Parce qu’au niveau de l’OIF, ils sont arrivés à l’analyse que les biens et services culturels ne s’exportent pas du fait de l’absence de mobilité. Leur action vise donc à booster la mobilité des artistes. C’est un fond de 12 000 Euros (j’en ai déjà bénéficié pour certaines troupes) est d’aider les artistes en prenant partiellement en charge leur voyage. Pourquoi ne pas imaginer un dispositif pareil au niveau du Burkina qui puisse aider les groupes musicaux à voyager et à compétir à l’étranger ?
Je termine en disant que la culture est un secteur capital pour nos pays et ce statut est reconnu au niveau international. Au niveau local, ce statut est entré officiellement sur la stratégie du développement du Burkina dans la SCADD. A ce sujet, les autorités de notre pays ont concrétisé leur volonté politique de promouvoir le secteur de la culture au profit des populations; je pense que c’est déjà une avancée. Comme vous le savez, le temps du politique n’est pas égal au temps de l’artiste. Je veux dire que le temps d’élaborer une politique, de la mettre en œuvre et d’avoir des retombées, ça met du temps. Le politique n’a pas la même vision que l’artiste. Généralement, l’artiste est plutôt tenté d’avoir ce qui lui manque, tout de suite et maintenant, les ressources financières, l’accompagnement, les moyens de lutte contre la piraterie. C’est un constat !. Maintenant, qu’est-ce qu’il faut faire pour qu’il y ait une convergence de vue ? C’est la grande question.
Je salue tous les professionnels du secteur de la culture du secteur public ou du privé, les instances de coopération qui, chaque jour essaient de trouver des initiatives et de mener des activités qui font aujourd’hui que le Burkina jouit de la réputation d’un pays de culture.
Patrick COULIDIATY

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