Walib BARRA, Manager

Walib BARRA, Manager

La musique burkinabé, construite à partir de l’Harmonie voltaïque depuis 1948, avec peu d’instruments de musique à l’époque, a connu son boom artistique entre 1999 et 2006 avec la création des maisons de production comme SIDONIE PRODUCTION et l’arrivée de la culture HIP-POP avec les artistes tels SMOCKEY, YELEEN et FASOKOMBAT. Bien que certains évoquent 1983 comme étant l’année des véritables problèmes de la musique burkinabé, nul ne doute de la montée fulgurante de l’industrie musicale burkinabé ces dernières années. A la floraison d’artistes musiciens, s’ajoutent les maisons de production qui ont poussé comme des champignons. Enfin, il y a ceux qui travaillent du côté des artistes, qui les conseillent et qui les encadrent. Ces gens, sont appellés couramment les Managers, par déformation, les « mangeurs ». En effet, c’est le manager qui est chargé de dresser un plan de carrière à court, moyen et long terme de l’artiste. Il se doit d’écouter les personnes ressources et pouvoir communiquer pour l’artiste. Ils sont nombreux aujourd’hui à exercer ce métier au Burkina Faso. Les rues de Ouagadougou ne suffisent pas pour contenir toutes ces personnes se disant manager. Tout le monde ou presque se dit manager d’un artiste au Burkina. Or, est-il donné à n’importe qui d’être manager ; quand on sait que même dans les milieux professionnels, beaucoup de managers ignorent souvent leur rôle ?. C’est pour justement en parler que nous avons rencontré Mr Walib BARRA qui est un professionnel de ce métier. Il traîne derrière lui, de longues années d’expériences en matière de management d’artistes musiciens, d’organisation d’évènementiels. Très écouté par le Milieu du SHOWBIZ burkinabé et des partenaires culturels (secteur public ou privé), Walib BARRA est aussi une grande référence en matière de consultances dans le domaine culturel. Il est l’un des rares managers au Burkina Faso à exercer cette carrière par vocation. Le thème de son mémoire en fin de cycle portant sur le management des artistes est suffisamment évocateur. Aussi, avant tout propos, nous nous sommes empressés de savoir davantage sur ce mémoire avec Walib BARRA :


W.B: Salut. Je suis BARA Wahabou à l’état civil, Walib comme pseudonyme. je suis manager d’artistes, producteur- éditeur, consultant événementiel. J’ai une licence en sociologie et une maîtrise en gestion et administration culturelle.

Art: Quel était le thème de votre mémoire ?
W.B: Mon mémoire a porté sur le management des artistes musiciens au Burkina Faso, enjeux-réalités, perspectives. Il était question dans ce mémoire de faire l’état des lieux de la musique burkinabè dans une première partie puis de faire ressortir les forces et faiblesses de cette musique. enfin, de considérer un artiste comme une entreprise. A ce propos, il s’avère que le chef d’entreprise de l’artiste, c’est le manager qui se doit d’avoir une formation pluri -disciplinaire notamment en droit, en psychologie, en marketing et en communication parce que pour gérer un artiste, il va falloir connaître sa psychologie, c’est-à-dire l’environnement dans lequel il évolue, ses forces et ses faiblesses. Mais pour positionner une œuvre, il faut aussi avoir des notions en communication et en marketing pour pouvoir mieux vendre cette œuvre et promouvoir l’artiste. C’est dans cette optique que j’ai pu conclure dans mon mémoire, qu’un artiste est une entreprise.


Art: Vous portez plusieurs casquettes à la fois : vous êtes producteur, manager, consultant événementiel et que sais-je encore ? C’est quoi finalement votre
profession ?
W.B: Ecoutez, ceci s’explique par l’étroitesse du marché. Un manager, c’est d’abord un conseiller pour l’artiste. Dans l’exercice de ma profession, j’ai pu découvrir progressivement qu’il y a assez de talents. Malheureusement, il y a une insuffisance de maisons de production. Dans ce contexte de rareté des maisons de production, on est tenté soi-même de devenir producteur pour peu qu’on ait de l’économie Ensuite, après avoir bouclé la production et qu’on ne voit pas d’éditeur à l’horizon, là encore, on est obligé de continuer; c’est-à-dire, devenir éditeur. C’est ainsi que nous arrivons à cumuler plusieurs casquettes professionnelles. Sincèrement, j’ai toujours voulu resté manager; c’est dans ce métier que je me plais le plus.

Art: Avec toutes ces casquettes, est-ce que vous êtes encore efficace ?
W.B: C’est une question d’organisation. Il faut dire que c’est une des faiblesses de nos entreprises culturelles. Généralement, on n’est pas très bien entouré dans les différentes chaînes d’entreprise existantes au Burkina Faso. Une entreprise bien structurée exige au minimum 4 personnes. Un manager général qui coordonne toutes les activités et qui est l’ordonnateur de tous les projets, un responsable commercial, un chargé de communication en relation avec la presse écrite, la télé, et la radio.. Enfin, vous avez un régisseur qui accompagne dans les spectacles. Malheureusement, on a des difficultés à transcender nos divergences et à unir nos compétences. Les gens préfèrent, excusez-moi l’expression, être la tête d’un chat que d’être la queue d’un lion. C’est ce qui explique la prolifération des entreprises culturelles; n’importe qui crée sa boîte avec un personnel peu qualifié.

Art: Quel est votre constat sur les rapports entre managers et artistes ?

W.B : Beaucoup de managers ignorent souvent leur rôle et vice versa, beaucoup d’artistes méconnaissent aussi le leur. A un moment donné, la cohabitation devient difficile. Je vous ai dit tout de suite qu’un artiste se définit comme une entreprise. Si vous prenez l’exemple d’une entreprise x, cette entreprise porte le nom de l’artiste et le chef d’entreprise, c’est le manager. C’est ce dernier qui est chargé de dresser un plan de carrière à court, moyen et long terme. Il se doit d’écouter les personnes ressources et pouvoir communiquer pour l’artiste. C’est comme un état à la tête duquel se trouve un président. C’est l’artiste le président. Le premier ministre, c’est le manager. Il est fait obligation au premier ministre de former son gouvernement avec tout ce qu’il faut comme ministres. Le manager est chargé donc de trouver un communicateur, un responsable commercial, un régisseur, un éditeur, un distributeur, un tourneur. Les activités de tous ces agents sont coordonnées par le manager qui les transmet régulièrement à l’artiste. Le manager et l’artiste doivent se voir régulièrement parce que le déficit de communication peut être source de crise. Mais il arrive quand même qu’un conflit éclate entre un artiste et son manager tout comme ça peut bien fonctionner. Je suis par exemple avec Sissao depuis 2005; j’ai travaillé avec Smokey pendant trois ans, 3 ans avec Bonsa, 2 ans avec Maïs. Le véritable problème que j’ai rencontré, c’est avec le groupe “YELEEN”

Art: Aujourd’hui, le constat est que beaucoup d’artistes ne veulent plus se faire manager parce qu’ils pensent que les managers les roulent. Quel est votre avis?

W.B: Je pense que ce sont des artistes qui n’ont pas trop d’ambition. Mais cela aussi peut s’expliquer. Si l’artiste a une formation pluridisciplinaire en communication, en droit, en marketing, et avec un peu de sens de l’organisation, c’est possible. Mais c’est plus indiqué de se faire manager parce que généralement, l’artiste est plongé dans la création tandis que le manager dispose de plus de temps et reste plus lucide que l’artiste. Voilà pourquoi il faut un manager. Si l’artiste a des ambitions sous-régionales et internationales, il est difficile pour lui de faire cavalier seul, c’est-à-dire sans manager. Au niveau international, on ne discutera pas avec l’artiste. On discute toujours avec le manager parce que c’est lui qui a la tête pleine. L’artiste peut dire quelque chose aujourd’hui, et le renier demain; quand vous lui demandez des explications, il dit qu’il était “émotif-réactif”. L’artiste qui a vraiment des ambitions est obligé de s’entourer. C’est difficile, mais il le faut même s’ils se disent souvent grugées par les managers. Mais ça, c’est la routine! Il y a des mécanismes qui permettent aujourd’hui à l’artiste de contourner cette situation. L’artiste à tout moment peut demander à voir son contrat.

Art: Vous avez été distingué par la maison de l’Entreprise comme étant le meilleur entrepreneur culturel. Pouvez-vous nous en parler ?

W.B: Non! C’est un concours de plan d’affaires organisé par la maison de l’entreprise qui voulait récompenser des projets innovants. Fort de la formation “GERME” que j’ai reçue, j’ai donc essayé de monter un cabinet de management qui consiste à considérer l’artiste comme une entreprise et à le gérer comme tel. C’est en cela que mon plan d’affaires a attiré l’attention des hommes d’affaires franco-burkinabè. J’ai eu un prix d’encouragement.

Art: Quel était le montant ?

W.B: 300 000f CFA. Mais je pense que ce n’est pas le montant qui est important. Je pense que c’est le fait que des hommes d’affaires qui sont habituellement dans d’autres secteurs comme l’agriculture,
l’élevage, l’or, éprouvent de l’intérêt pour le secteur de la musique. Pour moi, c’est une victoire de notre secteur et précisément celui de la musique qui se doit de proposer de meilleurs projets les années à venir. Par exemple, il y avait 494 plans d’affaires et Sur ces 494, ils ont retenu 14 et nous avons occupé la 5ème place. .

Art: Parlons maintenant du paysage musical burkinabè. Comment l’appréciez –vous?

W.B: Notre musique a connu un boom artistique entre 1999 et 2006 avec l’arrivée des maisons de production comme Sidonie.. Avec l’arrivée de Smockey, on a vu également de façon plus spécifique le boom de la culture hip-pop avec les artistes comme yéleen, Faso combat qui étaient réguliers dans les festivals de la sous-région (Sénégal, Benin, Togo, Gabon, Guinée). La crème était là. Mais entre 2006 et 2012, nous avons regressé parce que beaucoup de maisons de production et de distribution ont fermé. La piraterie a gagné du terrain: à cela, s’ajoute une piraterie atomique. Avec la fracture numérique, les choses se sont encore compliquées. Le NORD a commencé à biffer le secteur de la culture comme étant des secteurs non prioritaires. Les plus pessimistes, parlent de crise. Pour ce qui me concerne, je suis du côté des optimistes et je pense que c’est une phase de mutation. Il faut qu’on s’accapare des nouvelles technologies; il faut qu’on s’accapare des nouveaux moyens pour positionner la musique. Il faut qu’on réfléchisse différemment. On n’est pas obligé de réfléchir comme le nord; parce que si le nord a échoué c’est pour dire qu’on ne doit plus emprunter cette voie. On doit réfléchir en tenant compte de nos valeurs socio- culturelles et trouver des plans originaux et surtout oser! Je pense qu’aujourd’hui, le dernier secteur, c’est surtout la faible diffusion de notre musique sur les stations de radio, dans les maquis et autres lieux public …

Art: Si le ministère de la culture vous demandait de lui faire 5 propositions à même de relancer notre musique. Quels sont les points qui retiennent votre attention de manière hiérarchique?

W.B: Je proposerai :
1°) la création au niveau du Ministère de la Culture, un département équation-musique; comment gérer l’équation de la musique. Ce département sera composé de certains acteurs de la fonction publique et certains acteurs clés qui ont déjà fait leurs preuves dans le privé. Et ces deux forces vont travailler à ressortir tous les maillons de disfonctionnement. Quand on prend aujourd’hui au niveau de la production, la floraison des home-studios a provoqué des productions de faible qualité. On peut essayer de trouver des normes de qualité, inventorier des studios au Burkina qui sont des références en matière de normes de qualité et les appuyer pour qu’ils facilitent les tarifs aux artistes ou aux producteurs qui n’ont pas les moyens.
2°) Renforcement des capacités des managers existants pour en faire des experts
3°) Créer un pôle d’expert en management de notre musique..
4°) Au niveau de la diffusion de notre musique, il faut passer par le respect du quota parce qu’il y a un quota de 60% de musique burkinabé à jouer. Les chaînes nationales les respectent, mais ce n’est pas le cas des radios privées les bars et les maquis étant des secteurs qui participent aussi à la promotion des œuvres musicales doivent être mis au pas, c’est-à-dire soumis au respect du quota.
5°) La formation des journalistes spécialisés dans la filière me semble aussi indispensable parce que bon nombre de journalistes n’ont pas les outils de critiques, ni la capacité d’analyse et de suggestion aux artistes, aux producteurs et aux managers. Il faut former les journalistes dans cette spécialisation.

Art: Votre dernier mot?

W.B: C’est dire aux uns et aux autres que nous exerçons notre métier dans un environnement très difficile. Nous sommes souvent marqué par une certaine amertume, le désespoir, et souvent “l’ingratitude”. Mais, il faut que tout le monde sache, que quand on a la passion et l’amour pour ce qu’on fait, on y arrive toujours peu importe le temps que ça prendra.

Août 2012

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