Aristide TARNAGDA : Extraits de texte de " Terre rouge" et " Et si je les tuais tous Madame !"

Aristide TARNAGDA : Extraits de texte de " Terre rouge" et " Et si je les tuais tous Madame !"

Si  le texte « Terre rouge » a eu du succès à travers le Grand prix littéraire d’Afrique Noire Francophone qu’il a obtenu, la pièce  » Et si je les tuais tous Madame …  » reste et demeure l’œuvre qui confère véritablement à Aristide TARNAGDA sa renommée sur l’échiquier international. Nous vous proposons  des extraits des deux œuvres,  » Terre rouge » et  » Et si je les tuais tous Madame ! »

Extrait de texte  » Terre rouge »

 » Depuis que mon frère est parti, depuis que les machines du gouvernement sont arrivées ici, il n’y a plus que des odeurs de rhumes et de toux. Des odeurs d’ombre, plus de karité, plus de jujubiers, plus de nérés, plus de bergerie, plus d’harmattan, plus d’odeur de terre rouge, plus de vie, plus de morts. Mon frère écrit : je suis toujours à Paris, dans un bar, il fait froid, un bar à foot. Beaucoup de monde dans le bar. Des gens qui boivent et qui regardent le foot. Joues-tu toujours au foot frangin ? Le métro, une autre vie à Paris. Une vie souterraine, le métro siffle ! J’aime le bruit du Métro. Tu aimerais toi aussi. J’aimerai te faire écouter le bruit du Métro par le téléphone. Mais tu n’aimes pas le téléphone. Tu as refusé que je t’envoie le téléphone. Tu as refusé que je t’envoie la télé. Tu m’aurais peut-être vu, revu s’il y avait la télé à la maison. Je t’aurais peut-être vu, revu si tu avais accepté la télé. Des gens descendent du métro, pour errer certainement. A Paris, rien à faire que d’errer, errer dans sa solitude, errer dans les cafés, les bars, les métros, la tour Eiffel, Montparnasse, Belle -ville, Château rouge, errer dans les affiches publicitaires qui inondent les stations de métro, errer au cœur de l’hiver, errer dans les klaxons de voitures, errer dans les pistolets des flics. J’erre moi aussi ; en toi, en vous. J’erre en toi marchant sous le soleil corrosif. J’erre en ton corps couvert de poussière de terrain de foot. J’erre en ton rire lointain. J’erre en tes plaies qui manquent de terres rouge pour se cicatriser. J’erre en vous assis autour du thé regardant les filles dans la rue, vomissant des trivialités sur les filles, hurlant sur les gosses qui veulent traverser les routes. Jouant aux cartes, aux dames, au Ludo. Le métro ! le métro siffle. Il va ailleurs, dans un autre quartier de Paris certainement. Moi, je reste ; je reste dans le bar à foot. Je viens de commander une autre bière, la 5ème. Rassure-toi, c’est ma dernière bière, ma dernière clope. D’habitude, je ne bois pas autant. Aujourd’hui, je me laisse aller. Eh ! te plains pas trop pour la clope, c’est toi qui m’as filé le virus, te souviens-tu ? On se cachait dans les champs de gombo avec une braise. On cassait une tige sèche de gombo que l’on allumait avec la braise. Une fumée blanchâtre se dégageait de la tige. Tu tirais deux, trois bouchées puis, tu m’en faisais tirer aussi. Et nous nous mettions à toussoter comme des chèvres. Et nos yeux rougissaient… comment sont tes yeux maintenant ? A Paris, il y a beaucoup de glaces, beaucoup de vitres, beaucoup de livres, beaucoup de gens qui passent leur temps à se regarder dans ces beaucoup de glaces, ces beaucoup de vitres et ces beaucoup de livres. Et Moi? je t’écris à partir d’un bar à foot Frangin ! »

Extrait de texte  » Et si je les tuais tous Madame … »

« Et si je les tuais tous Madame ?  » Une rue, un feu tricolore. Le feu est rouge. Circulation peu dense. Quelques bruits de la ville. Lamine a un sac au dos. Une dame dans sa voiture attend le feu vert. Vous connaissez les Dosso Madame ? Non ?  Oui Madame, je sais que vous n’avez pas le temps. Moi non plus, je ne l’ai pas. C’est pourquoi je n’ai pas été correct envers vous. Je m’en excuse Madame, mais vous comprenez ? C’est cette putain de temps qui nous fait défaut à tous. Alors quand vous vous êtes arrêté, que je me suis approché et que vous avez baissé la vitre de votre voiture, que vous avez dit avec ce sourire fatal et méfiant. Oui, je me suis dit, faut pas que tu t’embarrasses de fiourutules Lamine, il faut foncer direct comme tu l’as fait cette nuit -là; sans te demander si l’horizon était bleu, si la marée était basse ou haute, si les étoiles marcheraient à côté de toi, si là où tu vas, il pleut, il neige, il fait soleil, s’il fait tempête. Si  c’est vrai que le morceau de bois même 100 ans dans l’eau ne devient jamais Caïman. Si l’oiseau quel que soit son envol finit par atterrir. Si c’est vrai que les autochtones contournent le trou dans lequel l’étranger va tomber. Je me suis dit, fonce sans regarder derrière, devant. Fonce mon petit ! Fonce pour le petit, qu’il se trouve à ras de pays et Fonce, Fonce sans tergiverser, Fonce n’importe où, Fonce pour le petit. Vous comprenez Madame ? Ne m’en voulez donc pas si je n’ai pas accueilli votre sourire, votre disponibilité comme un homme bien éduqué l’aurait fait. Je vous dirai bonjour après vous avoir parler de mon sang dans son ventre, vous parler de moi qui, une nuit, toutes les nuits où les étoiles étaient toutes Hilliard. Mais si j’étais dans son ventre comme on jette une graine sous la terre. Je me suis oublié dans son ventre et son ventre sans attendre s’est mis à gonfler, gonfler, gonfler… Vous connaissez les DOSSO Madame ? dites quelque chose Madame parce que l’expérience de vie du feu rouge, c’est rien qu’une minute.

Lamine, toi encore ? Putain !  Tu peux attendre juste une seconde ? Tu ne vois pas que la dame n’a pas le temps. Déjà qu’elle est gentille de m’écouter le temps d’un feu rouge. Y en a pas de tonnes comme elle ici; je peux te le garantir. Cela fait des jours, des semaines, des mois que je fais le pied de grue ici, à cette même place, à côté de ce même feu pour juste demander un avis, un conseil, juste savoir ce qu’ils feraient s’ils étaient à ma place. Mais personne ne m’a prêté une seule de ces myriades de secondes. Personne ! Les uns m’ont hurlé dessus comme si j’étais une merde. Les autres m’ont servi de la pitié toute fade. Les plus cyniques m’ont tendu des piécettes. Qu’est-ce que les gens sont dingues ! Dès que tu les approches, ils pensent que t’es là pour du fric. Excusez-moi madame, c’est elle ! Elle n’arrête pas de m’emmerder. Depuis quelques temps, elle est comme ça. Toujours les mêmes questions, les mêmes reproches. Tu rentres quand ? as-tu eu l’argent ? Tu m’as oublié ? Et lui ? lui que tu as foutu dans mon ventre avant de te barrer. Qu’est-ce que j’en fait ? Qu’est-ce que je lui dis depuis qu’il ne sait plus dire autre chose que papa ? Où est Papa ? Je veux mon papa. Je veux voir mon papa. Je veux embrasser mon Papa. Je veux danser avec mon papa, Je veux rire avec mon papa, je veux faire du vélo avec mon papa. Je veux chanter avec mon papa, Je veux que mon papa m’amène à l’école, je veux que mon papa m’achète un bonbon, je veux la main de mon papa, où est mon papa maman ? Qu’est-ce que je lui dis ? hein ? qu’il n’a pas de papa ? Que son papa c’est un chien qui, après avoir pissé dans le trou de sa maman s’est volatilisé dans un autre coin foutu de la terre à la recherche d’autres chiennes pour leur pisser dans les trous et peupler la terre de chien ? Je lui dis quoi à ce chiot que t’as pondu dans mon ventre et qui n’arrête pas d’aboyer papa, papa, papa ? Je lui dis que c’est mieux pour lui qu’il soit sans père parce que son papa à lui, c’est quelqu’un qui n’a pas de paroles, quelqu’un qui ne vaut pas mieux que son propre Cu ?.

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