Auteur de plusieurs publications notamment de pièces de théâtres, Aristide TARNAGDA est un dramaturge, comédien et metteur en scène. Sobre et peu médiatisé dans son pays, l’homme est pourtant une étoile polaire dans les grands théâtres et festivals d’Afrique et d’Europe. Après un passage éclair qui n’a duré que le temps d’un feu rouge au département de sociologie, Aristide TARNAGDA, l’invité d’honneur de la 16è édition de la Foire Internationale du Livre de Ouagadougou (FILO) nous conte son parcours. L’homme qui est par ailleurs Directeur général des Récréatrales nous fait d’importantes suggestions pour les prochaines éditions de la Filo. Ainsi donc, de la sociologie au Théâtre, est-ce un accident de parcours ? voici ce qu’il dit :
Aristide TARNAGDA (A.T ): Ce n’est pas un accident de parcours. C’est un cheminement. Je crois que toute notre vie est un cheminement et quand on se met sur un chemin, il y a beaucoup de péripéties, d’arrêts, de bifurcations, de surprises agréables ou désagréables, des choses heureuses ou pas.
J’ai très tôt découvert le secteur culturel parce qu’on était régulièrement dans la cour du Roi de Tenkodogo où de nombreux danseurs traditionnels venaient honorer le Basga du Roi. J’étais tout le temps fourré dans le milieu et c’est quelque chose qui m’a prédisposé à m’ouvrir à la culture. Et j’accompagnais même des guitaristes traditionnels Bissa en jouant d’un petit instrument qu’on appelle le « Cissega ». Donc, tout petit je jouais déjà de ce petit instrument de musique.
Comme tout enfant, j’ai eu la chance d’aller à l’école et d’avoir plus ou moins un parcours scolaire paisible. J’étais plus ou moins un élève pas brillantissime, mais je m’en sortais. C’est vrai que je faisais déjà du théâtre depuis ma seconde. Mais je le faisais en tant qu’amateur, un passe-temps qui, véritablement était le métier rêvé. A l’instar des enfants de ma génération, j’avais aussi des rêves qui n’étaient pas des miens ; c’est-à-dire, qui étaient d’avoir des fonctions qui pouvaient m’assurer des assises sociales et qui pouvaient rendre mes parents fiers de moi.
Après mon BEPC à KOUDOUGOU, mon père décide de m’inscrire au lycée RIALE de Tenkodogo. Je renoue encore avec le théâtre.
Lire des extraits de Texte de » Terre rouge » et » Et si je les tuais tous Madame … »
Lorsque j’ai rencontré le théâtre par injonction de mon professeur de Français Grégoire PODA (paix à son âme), j’avais trouvé à travers le théâtre, la chose qui me permettait de me réaliser, qui m’ouvrait à une famille, une amitié et à une humanité. Mais je ne le considérais pas encore comme un métier. L’importance, c’était les études, avoir le BAC et m’inscrire à l’Université. Quand j’ai réussi au Bac, je me suis inscrit à l’université notamment, en sociologie sans vraiment me préparer, c’est dommage ! Mais en me disant que je pourrai me sentir là-bas.
En réalité, j’ai voulu faire le théâtre par ennuis. Les cours ne me prenaient pas trop le temps et du coup, j’ai eu l’idée de continuer le théâtre.
C’est ce souvenir du théâtre qui me désennuie qui m’a amené à rencontrer Evelyne Lompo (Ancienne Téléspeakerine de la RTB ) pour lui parler de ma passion. C’était en 2001. Elle me conseille entre l’Atelier Théâtre du Burkina (ATB) et le Théâtre de la Fraternité. Après réflexions et autres calculs, je choisis la Fraternité où un soir, je suis tombé par coup de chance sur le spectacle » Les créanciers » d’August Strindberg. C’est cette pièce qui a finalement aiguisé mon appétit. Et c’est ainsi parti pour de bon pour le théâtre qui du reste, a pris le dessus sur les études de sociologie.!
Mais ça été un objet de conflit entre mon père et moi (Paix à son âme). Pendant deux ans, on ne s’est pas parlé. C’est vrai qu’en tant que son aîné, mon père ne pouvait qu’être inquiet de que ce que j’allais devenir. Il avait des aprioris sur ce métier puisqu’à l’époque, il n’y avait pas tellement de modèles de réussite au théâtre. Les arts étaient très mal perçus ! Nous nous sommes réconciliés beaucoup plus tard lorsqu’il a été rassuré que mon choix n’était pas malsain.
ArtBF : Plus d’une dizaine de pièces écrites jouées tant au Burkina qu’à l’extérieur, Artistide Tarnadga reste toujours dans la discrétion. Pourquoi ?
Aristide Tarnagda (AT) : Rires et embarrassé par la question) Je ne sais pas ! C’est une nature, une façon d’être et c’est peut-être aussi une conviction. Il ne m’appartient pas de parler de moi-même ni de me mettre en lumière. Il y a en cela un narcissisme malsain que je ne partage pas. Mon travail d’auteur, de metteur en scène, et de comédien est de mettre en lumière la parole, la lutte, la beauté ou le talent des autres. Mais aussi mettre en lumière leur laideur parfois quand il s’agit de personnages. Étant donné que les récréatrales sont logées dans un quartier, c’est de faire en sorte que mon écriture, le théâtre des récréâtrales, mes mises en scènes soient au service de la communauté avec laquelle nous partageons le quartier. Je crois que c’est déjà s’exposer comme ça ! Et vouloir en rajouter, n’est pas juste à mon avis.
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ArtBF : Est-ce cette sobriété qui impacte sur la visibilité de vos œuvres qui ont pourtant du succès à l’extérieur ?
A.T : J’estime avoir déjà assez fait en écrivant et pour donner de la matière au public dont vous faites allusion. Maintenant, le reste du travail n’est plus à mon niveau. Je me suis battu pour que ces textes existent, même s’ils ne sont pas édités au Burkina et que leur accessibilité pose problème. Lorsque j’ai eu le grand prix de la Littérature d’Afrique noire en 2017, nous avons négocié avec l’éditeur pour que le coût du livre soit accessible au plus grand nombre au Burkina Faso et en Afrique de façon générale. Alors, avec toutes ces casquettes que je porte, si c’est encore moi qui vais commander les livres, les disponibiliser dans les librairies et dans les bibliothèques, je ne m’en sortirai pas. Il faut qu’à un moment donné, le reste du maillon de la chaine puisse jouer son rôle et assumer sa responsabilité. Et je crois que ça se fait déjà parce qu’à la dernière foire internationale du livre où j’étais l’invité d’honneur, j’ai pu signer pleins de livres pour les élèves. Certains de mes extraits de textes sont choisis pour le BAC ou retenus pour des concours. Des étudiants me contactent souvent aussi dans le cadre de leur mémoire ou de leur thèse de fin cycle.
ArtBF : Alors actualité oblige, vous étiez l’invité d’honneur de la 16è édition de la FILO. Comment avez-vous accueilli cette proposition du Ministère en charge de la culture ?
A.T : Avec étonnement ! Mais à la fois joie et fierté. Ça veut dire quelque part que mon travail d’auteur est reconnu par mon pays. Avec étonnement parce que je suis quelqu’un qui ne se prend pas trop au sérieux. J’étais étonné … mais un étonnement sain et agréable !
ArtBF : Et comment avez-vous apprécié pendant cette 16è édition, la production littéraire burkinabè ?
A.T : Je pense que les gens dans ce domaine se démènent comme ils peuvent par rapport à un pays comme le Sénégal ou à certains pays africains où la littérature est très développée, encrée, liée à un héritage littéraire conséquent. Il y a énormément des choses à faire au Burkina. Il faut prendre le livre et ceux qui le font au sérieux parce que le livre, est une nécessité au même titre que le pain, le maïs et le riz. Et quand on parle de développement, il faut aussi penser au développement de l’être. Ce qui féconde une imagination, ce qui permet à une nation d’advenir, d’avoir une identité affirmée, saine et heureuse, des hommes et des femmes de qualité qui cimentent le vivre ensemble, c’est la pensée. Or, la pensée est produite, secrétée mise en œuvre et inoculée par le livre. Si le livre se porte mal, si les gens pensent que lire ou investir dans le livre est une perte de temps, nous ne pouvons pas nous inscrire dans les veines de l’histoire. C’est le livre qui nourrit, qui structure et qui donne à une société sa place dans le monde et qui fait qu’une société s’affirme. C’est le livre aussi qui apporte à chaque homme, à chaque femme et à chaque enfant, la capacité de penser, de se projeter, de dépasser ses limites et de convoquer une utopie. A propos du livre, je dirai qu’il y a encore beaucoup de choses à faire dans notre pays. C’est pourquoi, il faut mettre en lumière les livres qui existent déjà, créer de l’émulation, créer des cadres pour les auteurs, pour les écrivains et prendre en compte toute la chaîne de la littérature ; c’est-à-dire, depuis le stade de l’écriture à la distribution en passant par l’édition.
ArtBF : L’édition coûte chère au Burkina et peu de gens lisent aujourd’hui. En tant qu’invité d’honneur de la filo, vous sentez-vous déjà interpellé ?
A.T : Ce n’est pas mon rôle. Je ne devrais pas assumer tous les rôles. Il est de la responsabilité des gens de savoir que la lecture est importante. De ce point de vue et en tant qu’auteur, je fais l’effort d’écrire, des démarches pour aller vers les éditeurs pour que le livre existe, je dirige un festival où les gens ont la possibilité de venir écouter du texte à défaut de le lire. Mais il appartient aussi à d’autres maillons de la chaine notamment à l’Université et aux enseignants de provoquer le goût de la lecture chez les élèves. Nous avons des concurrents sérieux et le monde est devenu très tactile avec le numérique. C’est pourquoi, je disais à la foire du livre, qu’on ne devrait pas simplement venir annoncer un titre et un lauréat. Mais, on doit déjà travailler un bout de texte pour inciter à la lecture. Comment faire en sorte que les auteurs burkinabè pendant la foire du livre de Ouagadougou, soient entendus un peu partout dans le reste du pays que Ouagadougou. En tous les cas, je suis disposé lors des prochaines FILO à faire entendre des textes d’auteur au public. J’ai déjà à ce sujet, un projet intitulé « Repère » dont le but est de porter la pensée des hommes et des femmes en milieu scolaire. Donc, une figure comme Norbert ZONGO, Thomas Sankara, Joseph KI-ZERBO méritent d’être mieux connus par les élèves et les étudiants.
ArtBF : Un mot de fin à l’adresse du public, de vos lecteurs en ce début aussi du nouvel an qui s’annonce.
A.T : C’est d’inviter tout le monde à passer du temps avec les livres parce que ce sont les meilleurs amis de l’homme avec « Grand H ».
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