Média: Entretien avec Édouard OUEDRAOGO

Média: Entretien avec Édouard OUEDRAOGO

Mr Edouard OUEDRAOGO est le Directeur de Publication du journal « l’Observateur Paalga ».
La petite histoire du journal : Lancé le 28 mai 1973, l’observateur (de son nom de naissance) a suspendu ses activités le 10 juin 1984 pour cause d’incendie. Le 27 janvier 1989, le journal reprenait ses activités dans un climat morose puisque l’édition de ce jour sera entièrement saisie. Dans la même année, le 30 juin 1989 précisément, les locaux du journal ont été mis sous scellés. Il faudra attendre le 15 février 1991 pour que l’observateur reprenne vie mais cette fois,  sous une autre dénomination : « l’Observateur Paalga ».
C’est donc contre vents et marrées, que Mr Edouard OUEDRAOGO a ramé avant de pouvoir enraciner son journal dans le quotidien des Burkinabé. C’est à ce journal, qu’il doit en partie sa renommée. Grand homme de culture, Edouard OUEDRAOGO fait parti aujourd’hui de ceux qui peuvent vous conter « le Ouagadougou des années 60.». C’est fort de cette grande expérience qu’artistebf  l’a rencontré le mardi dernier. Notre toute première question était simple : quel est le secret de Mr Edouard OUEDRAOGO qui fait de son journal, l’un des premiers quotidiens à forte audience ?

Edouard OUEDRAOGO, Directeur Général de l’Observateur Paalga

Edouard OUEDRAOGO (E.O. ) : Je ne peux pas vous confier le secret dans la mesure où il n’y en a pas . Ce qui peut-être peut expliquer les audiences du journal, c’est d’abord son histoire. Le fait qu’il fut le tout premier quotidien imprimé et illustré par la photo, dans le paysage médiatique ; voltaïque d’abord, burkinabé ensuite. L’autre raison, c’est qu’il était le seul justement,  à ouvrir ses colonnes au citoyen lambda qui n’avait pas les moyens de s’exprimer ni sur les antennes de la radio nationale, ni devant le petit écran ou sur les pages des journaux gouvernementaux dont  Carrefour Africain (un hebdomadaire) et le bulletin quotidien (une feuille rénéotypée) . Nous avons été les premiers à ouvrir vraiment nos colonnes, à créer un espace d’expression, de toutes les opinions et de toutes les sensibilités. Ça semble aujourd’hui banale cette ligne éditoriale ! ça semble banal !. Mais reportez-vous 35 à 36 années plus tôt et vous verrez qu’à l’époque que c’était quelque chose de révolutionnaire. Pendant donc longtemps, le journal a été comme le seul symbole de la liberté dans notre pays. Ce symbole s’est amplifié et fortifié si bien qu’en 1984, sous la révolution, notre imprimerie fut incendiée réduisant au silence le journal.

Artistes.BF (Art.BF): Le gouvernement vient de prendre une décision sur la grille indemnitaire des journalistes du secteur privé. Comment voyez-vous concrètement la mise en œuvre d’une telle décision ?

E.O. La grille indemnitaire ? bon ce n’est pas seulement la grille indemnitaire ; c’est la grille salariale. Mais ce n’est pas le gouvernement !. Je pense que vous faites certainement allusion à la convention collective. Si c’est la convention collective, elle n’est pas l’œuvre du gouvernement. La convention collective est une œuvre paritaire. C’est le résultat des négociations entre d’une part les journalistes à travers leurs associations représentatives et les patrons de presse à travers la leur. C’est le résultat d’un processus qui a été conclut le 6 janvier dernier par la signature, sous la présidence du Premier Ministre. Le gouvernement a signé en tant que témoin et en tant qu’évidemment garant de l’intérêt général. Mais c’est avant tout l’affaire des professionnels des Médias. Maintenant, pour ce qui est de la mise en œuvre de cette convention collective, il n’ y a pas une formule unique. Ça dépend des journaux. Il y a des journaux qui avaient déjà pratiqué une grille indemnitaire proche des chiffres qui ont été consignés dans la convention collective. A ce niveau-là, il n’ y aura que des petites réadaptations à faire. Ceux qui s’en étaient éloignés auront à s’adapter mais peut-être avec de petites difficultés que ceux qui étaient déjà presque dans la fourchette définie par la convention collective. Ce qui est certain, l’application de cette convention collective va entraîner des charges supplémentaires et toutes les parties en sont conscientes à commencer par le gouvernement. C’est la raison pour laquelle l’application de cette convention doit être assortie de mesure d’accompagnement

Art.BF: Le FESPACO, c’est pour bientôt ! pensez-vous que ce festival en 40 ans a contribuer à choyer tant soit peu l’image de l’afrique, une afrique permanemment aux proies à des guerres civiles et fortement endettée…?

Moi je ne pense pas ! nos pays sont encore sous tutelle des institutions de Bretton-Woods, sous régime PPTE… . Malgré tout, si le FESPACO n’existait pas, il fallait l’inventer ! heureusement qu’il existe déjà ! Mais il ne faut pas s’attendre à des merveilles puisque le grand écran lui-même semble condamné. C’est ça le problème !. Le cinéma n’est plus ce qu’il était, il y a une vingtaine d’année.
Dans le temps, aller au cinéma, était un évènement, en tout cas , un programme du week-end. Aujourd’hui, on y va quand il y a une exclusivité au NERWAYA ou au ciné Burkina . Le ciné Burkina, c’est ma route, mais c’est très rare de voir encore l’achalandage, l’affluence d’antan où finalement mon dieu, pour certains films, il fallait acheter le ticket au marché noir. On ne voit plus ça parce que nous sommes totalement envahis par  les bouquets satellitaires  à la maison. On n’a plus besoin de sortir. C’est vraiment un problème qui est posé. Malgré tout, il faut que le FESPACO continue de stimuler la création cinématographique.

Art.BF: Un fait a marqué l’histoire de notre pays dans les années 1984 : la grève des enseignants suivi de leur licenciement. Vous étiez au Burkina et vous avez vu comment les victimes ont géré la situation. Peut-être que vous étiez vous-même concernés . Comment  expliquez-vous qu’à ce jour aucun journaliste, aucun réalisateur n’a trouvé intérêt à écrire cette histoire, ni réaliser un film documentaire sur la question ? .
Bon,  votre question est très pertinente et elle interpelle tout le monde ; aussi bien les journalistes, les historiens, les scénaristes que les cinéastes. Pour ce qui est des cinéastes, ils peuvent avoir jugé que le sujet n’est pas suffisamment  porteur. Pour les historiens, c’est vrai qu’on n’a encore rien vu paraître sur la question mais on ne peut pas aussi affirmer que rien ne se fait. Vous savez bien que les historiens, les chercheurs, sont des gens qui aiment s’enfermer dans le secret de leurs laboratoires. Peut-être, qu’il y a déjà des gens qui sont en train de travailler sur cette question. Il en est de même pour les journalistes.
Les journalistes, c’est souvent à certaines circonstances qu’ils évoquent de telles questions. Moi-même, je fais des travaux personnels, il n’est pas exclu qu’un jour j’ai à parler de cette question. Mais le fait que jusqu’à présent personne ne s’est attaqué de manière vraiment formel à cette grève, peut inquiéter. Ce qui ne veut pas dire qu’on ne s’y intéresse pas !

Art.BF: Mr Le Directeur Général, vous éditez aussi un journal magasine « l’observateur du Dimanche » dont le contenu est en grande partie culturel. A travers justement ce magazine, vous constatez que la jeunesse ne dort pas, surtout en ce qui concerne la musique, le cinéma et la mode. Autant de réchauffement qui nous amène à vous demander votre appréciation sur le paysage musical et cinématographique actuel de notre pays.

Mon appréciation concernant le paysage musical, Pour ne pas être en déphasage avec la réalité, je dirai que c’est une question de génération. Mais j’avoue que je suis quand même imprégné par cette ambiance musicale à travers la radio et  la télévision où je vois passer un certain nombre de clips. J’ai même suivi de bout en bout les clips d’or de la semaine dernière. Il y a une certaine évolution dans le showbiz burkinabé et surtout ces dix dernières années. Je me suis souvent approché des plus jeunes et il ressort que beaucoup de nos frères ou de nos fils de la diaspora ont contribué énormément à booster la musique burkinabé et j’en suis heureux.
Cependant, ce que je peux déplorer, c’est la pauvreté des thèmes. J’ai l’impression que c’est toujours les mêmes thèmes qui reviennent. Sinon, il ya des grands créateurs, de grands compositeurs qui chantent dans un morré vraiment académique. Mais quand je les compare aux chansonniers de notre époque comme les Kaboré Oger, Salembéré Joseph, Sanwidi  Pierre etc., je trouve que ces derniers avaient plus de mérite et de créativité qu’aujourd’hui. Toutefois, je ne mets pas en cause ce que les gens font aujourd’hui car c’est la musique aussi de notre temps. Il faut faire avec !
Pour le cinéma, à travers les séries de Boubacar DIALLO et les séries de commissariat de Tampy, on sent qu’un effort est fait pour partir de nos réalités. Le commissariat de Tampy par exemple soulève les problèmes de société avec toujours des solutions à la fin.

Art.BF: Quel est votre avis sur l’adoption d’un statut pour les artistes ?
Ah là c’est un couteau à double tranchant parce que  l’artiste par définition, est un homme libre, libre de son art, libre de son inspiration, libre de sa vie et donc libre de son statut. Il y a des artistes qui sont des fonctionnaires régis déjà par un statut. Il y en a aussi qui ne vivent que leurs œuvres, ce sont des libéraux, installés à leurs propres comptes. Qu’est-ce qu’on peut donc donner comme statut. ?
Maintenant il faut que l’État protège d’une certaine manière les artistes soit par des dégrèvements, des incitations administratives ou fiscales, sur tout ce dont ils ont besoin pour produire. Enfin, protéger leurs œuvres contre par exemple la piraterie qui est vraiment une plaie.

Art.BF: Avez-vous quelques conseils à prodiguer aux artistes ?
Que les gens comprennent  que c’est peut-être pas tout de suite qu’un artiste va vraiment décemment vivre de son œuvre. Il faut faire quelque chose à côté. Notre tissu économique ne nous le permet pas encore. Il faut que les artistes essaient de se professionnaliser ailleurs dans un autre domaine qui puisse leur procurer un minimum. Garder à l’esprit que c’est peut-être souvent la postérité qui va les récompenser. Ce n’est pas forcément aujourd’hui. En Europe, il y a des artistes, il y a des peintres, il y a des écrivains qui sont morts dans le plus grand des dénuements et qui sont devenus aujourd’hui des célébrités. C’est là aussi un peu le risque que court l’artiste. Ne même pas connaître la consécration matérielle, ni intellectuelle, ni artistique de son vivant, mais être un jour adulé et entré au panthéon de l’art de son Pays.

Patrick COULDIATI

 

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