Danse : "FITRI", une création de Serge Aimé COULIBALY et Jean-Robert Koudogbo KIKI

Danse :  "FITRI", une création de Serge Aimé COULIBALY et Jean-Robert Koudogbo KIKI
Ce 13 Mars 2021 au CDC La Termitière s’est déroulée une superbe et puissante création du chorégraphe Serge Aimé COULIBALY et du danseur Jean-Robert Koudogbo KIKI. C’est une brillante composition magistrale en vidéo et de bande sonore pour porter le combat de l’homme confronté à la solitude dans un monde déréglé. A la même heure en France est retransmise sur France 5, « La Ronde » interprétée par Salia SANOU.

Salle plongée dans cette lumière particulière du moment où la nuit et le jour se croisent, chaque matin et chaque soir : le crépuscule (« Fitri » en Dioula).

En préambule, Serge Aimé Coulibaly, nous confie comment cette création est née à Bobo Dioulasso dans le doute du confinement du Monde qui se ferme, avec l’annulation des tournées mondiales d’une année 2021 qui était exceptionnellement prometteuse.

Ils se retrouvent, Roby et lui, à Bobo, d’abord désemparés, et conscients que le Monde entier est frappé.

En créateurs, ils décident de faire quelque chose de ce basculement de toutes les certitudes.

« Fadjiri » (l’Aube ) que Serge commençait à concevoir est devenu « Fitri ».
Et on comprend que dans l’esprit des deux artistes, le « crépuscule » qui remplace « l’aube » est celui de la fin du jour et non pas celui qui annonce l’arrivée du soleil.

Le danseur était déjà là, dans les ténèbres d’une scène où se projetait une trace lumineuse, telle un cours d’eau interrompu.
Il se dresse et s’avance lentement, dans un silence total. De loin vient et enfle progressivement le souffle d’une symphonie d’instruments à vent liés par la mélodie de violons (« Le jeune homme et la Mort » de Jean Cocteau ). Le danseur respire, semble voler, tandis que le sol bouge, lentement, du passage de nuages faiblement lumineux sous ses pieds.

L’homme suffoque, esquisse des cris, de désespoir ? de peur ?
Transes…

Les projections lumineuses en demi-teinte sur le sol et sur le rideau du fond de la scène vont se succéder, muettes et avec une égale lenteur, comme déconnectées, comme appartenant à un rythme biologique « à part », inéluctable :
formes abstraites grouillant lentement ;
une sorte de bouillon de culture où se déplaceraient, sous microscope, des microbes, des micro-organismes ;
un courant très lent de rivière encombrée de débris flottants ;
encore des vaguelettes qui meurent en écume sur une plage nocturne….
Sur le rideau du fond, les ombres de silhouettes d’arbres, de topographie végétale.

L’image projetée au sol d’une mer calme sur une plage plane et sans vent de confirme. Lente, elle gonfle, monte autour du danseur qui tombe, se relève, marche, fatigué.

Sur fond de cette évocation d’un univers mystérieux, muet (qu’on n’entend pas ? qu’on n’écoute pas ?), qui s’impose comme une réalité non maîtrisable, l’homme entend et nous fait entendre la sonorité de sa réalité vécue ou imaginée, subie:
des trains qui passent avec une fréquence qui nous suggère la proximité d’une gare… ?
une guitare sèche aux sonorités chaudes, qui lui inspire un rythme de flamenco…
un univers de musique électronique…

Le danseur se débat, aux rythmes divers qui s’emparent de son corps. Il tombe, hurle, se relève…et encore…
Pas de trace de percussions dans l’univers musical où nous sommes plongés. Seuls rythmes de « battements », l’homme qui frappe sa poitrine, son corps, le sol, à main nues, de ses pieds nus.

Quand les vagues lumineuses se font plus précises, la voix de feu Djeneba KONE s’élève, forte au-dessus d’instruments en sourdines. Fitri rend hommage à cette jeune artiste accidentellement disparue, qui chantait de façon prémonitoire dans sa chanson sur l’amour( « Jarabi »), que la maladie peut frapper, que la mort peut frapper….

Voix et chant superbes imprégnés d’âme d’Afrique.
Le danseur avance dans les ténèbres de nuit et de mer mêlées, qui s’intensifient, et le font disparaître.

Silence. Emotion intense.

Rencontré à la fin du spectacle, Serge Aimé Coulbaly a confié ses projets de faire de 2021 une année « du Burkina pour le Burkina » : adaptations de Kalakuta Republik et de Kirina avec les jeunes de  Ankata  ; créations nouvelles ; tournées dans le Burkina.

Nous mesurons alors que la pandémie, catastrophique à certains égards, est à l’origine du passage de « Wakatt » avec plus de 20 danseurs, au solo « Fitri », et au recentrage créateur sur le pays qui a fait naître Serge Aimé Coulibaly.

Et on ne peut qu’en être heureux!

Le pays se rendra-t-il compte de la chance qui lui est offerte ? et saura-t-il accueillir et faire quelque chose de cette belle opportunité ?

On se prend à croire avec Gramsci que « le vieux monde se meurt », mais qu’un nouveau monde pourrait bien ne plus tarder d’advenir !

Nous aurions hérité de la COVID une praxis de création endogène ?

Lucien HUMBERT

Villa YIRI SUMA

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