L’expatrié “ne renie pas ses racines mais il n’a pas non plus besoin de vivre au pied de son arbre”. Cet entretien est l’histoire de Pascal NOYELLE, ‘un expatrié français qui conte les merveilles de l’Afrique. Notre invité sans langue de bois était à quelques microns près pour dire que l’Afrique est une véritable terre d’asile et que lui-même n’était plus qu’un français à 90% Africain. Entre l’Europe et l’Afrique, Pascal NOYELLE pour un tas de raisons a fait le choix de vivre en Afrique. Les raisons sont édifiantes. Lisez plutôt !
J’avais 17 ans au cours de la révolution de 1968 en France. Les valeurs traditionnelles étaient renversées : le mariage était une absurdité, la sexualité se libérait, le traditionnel « travail, famille, patrie » était jeté aux orties… J’ai aimé cette période et cette vision du monde. Je n’ai pas créé de famille au sens traditionnel du terme et n’ai donc aucun problème de ce côté-là. Aucun malaise. (Je précise quand même pour éviter toute interprétation malveillante que je ne suis ni homosexuel ni impuissant). Ensuite, j’ai beaucoup vécu en Afrique pour le travail, dans différents pays, un peu comme un nomade. J’ai bien sûr connu des amours, des déceptions, des débuts de vie commune… Comme tout homme. Mais je n’ai jamais éprouvé le désir « de fonder un foyer ». Je sais que dans un contexte africain c’est surprenant, voire dérangeant. Disons que c’est ma part occidentale…
Si je parle de thérapie à propos du théâtre, c’est très personnel. Bien sûr, certains « psy » présentant parfois l’activité théâtrale comme thérapie à la timidité, ou comme moyen de s’ouvrir… Ce n’est pas ce dont je parlais. Et je ne pense pas que le théâtre soit le moyen de lutter contre le cancer ou le diabète. Je pense simplement que comme toute passion, il peut donner un sens à la vie.
Dès ma jeunesse, j’ai été attiré par le théâtre. Puis j’ai fait des études et laissé de côté le théâtre et ses aléas (sauf une année au Gabon avec une troupe amateur). J’ai commencé à travailler en Afrique, d’abord comme enseignant puis dans des projets de coopération pour le ministère, toujours dans des contextes isolés où le théâtre n’existait guère, avant de redevenir enseignant à Ouaga en 2004.
Je vis donc à Ouaga et je suis à la retraite depuis 2011. Mais dès 2005 j’ai redécouvert le théâtre et ne l’ai plus jamais quitté. En 2010, j’ai été opéré d’un cancer assez grave.
Donc depuis 2010, je vis à Ouagadougou au Burkina Faso, assez confortablement grâce à ma retraite. Que ferais-je si je n’avais pas cette activité possessive qu’est le théâtre ? Me traîner du lit au fauteuil en regardant la télévision ? Courir les maquis en attendant que la maladie me rattrape ? Ça aurait pu être l’écriture, ou une activité humanitaire qui comble ce vide. Mais il se trouve que c’est le théâtre. C’est dans ce sens que je disais que le théâtre me « maintient en vie ». Si j’y dépense beaucoup d’énergie (et parfois un peu d’argent), il me le rend largement, tout acteur vous le dira. Avant un spectacle, on travaille dur, on en a parfois marre, mais quand on sort de scène, si le public est satisfait, on est bourré d’une énergie positive.
J’ajoute que j’ai une chance extraordinaire dans ce contexte : je n’ai pas besoin de « courir le gombo (chercher l’argent) ». Je peux vivre confortablement de ma retraite. Ma situation est donc doublement marginale.
D’abord en tant que blanc, je ne peux certes pas prétendre à tous les rôles au Burkina. Le bon côté, c’est que les spectacles auxquels je participe sont toujours des spectacles ambitieux et de qualité. C’est surtout vrai au théâtre. En revanche au cinéma, la douzaine de rôles que j’ai tenus sont souvent des rôles mineurs sans grand intérêt professionnel. J’attends avec impatience qu’on me donne un vrai rôle à défendre au cinéma. Idrissa Ouedraogo avec qui j’ai un peu travaillé à la fin de sa vie semblait vouloir le faire pour « Duel au soleil », mais la mort l’a emporté. Paix à son âme.
Ensuite, sans souci majeur du côté financier, je peux prêter mon concours à des créations ou des tournages « pauvres » en argent mais riches en talent. C’est un privilège.
Alors, suis- je ou non « un professionnel » ? Si l’on entend par là quelqu’un qui ne vit « que » de son travail de comédien, on dira non. Si on entend par là quelqu’un qui travaille plutôt beaucoup et à qui on accorde un certain talent, on pourra dire oui. Moi je me considère comme un professionnel.
ArtBF : Pourquoi préférez-vous l’Afrique à l’Europe ?
Depuis 1976, je vis en Afrique. Je n’ai pas de maison en France, pas de famille au sens occidental du terme. J’y ai bien sûr des amis mais j’en ai aussi au Burkina. Comme je le dis dans mon monologue : qu’est-ce que j’irais faire en France ? Certes j’y ai mes racines comme on dit, mais j’ai toujours eu une âme de nomade et la curiosité comme moteur. Brassens dans une de ses chansons parle « des imbéciles heureux qui sont nés quelque part ». Je n’en fais pas partie. Je ne renie pas mes racines mais je n’ai pas non plus besoin de vivre au pied de mon arbre.
Et puis, il faut le dire, si certaines choses m’énervent ici, il y en a encore plus qui m’énervent en France. Je n’ai pas une passion immodérée pour la société consumériste. Je trouve que le poids des média et de la pensée unique est lourd. Je ressens la multiplication des règlements comme un frein à la liberté. Bien sûr, on me dira que c’est une sauvegarde de la vie en société. Que le respect par exemple du code de la route permet de sauver des vies. C’est vrai. Mais il faut toujours se surveiller et se contrôler. Ne pas boire une Brakina avant de prendre le volant. Avoir un limiteur de vitesse pour ne pas rouler à 51 km/h en ville. Bref, être toujours contraint, ne jamais « sortir des clous ».
Peut-être, suis-je tout simplement égoïste. Ici j’ai une vie matérielle qui me semble plus confortable qu’en France. Je dois reconnaître que je profite un peu des côtés positifs de ma situation de français expatrié. J’ai cotisé toute ma vie pour la retraite, la sécurité sociale etc. Je peux donc profiter des avantages de la société française, m’y faire soigner, y retourner comme je le veux. Mais je profite aussi des avantages que m’offre l’Afrique et plus précisément le Burkina : des relations humaines plus chaleureuses souvent, un temps différent, une vie sociale plus riche…
En fait, c’est le paradoxe de l’étranger à condition qu’il ne soit pas un immigré sans papiers qui cherche à fuir la guerre ou la misère. Etranger à son propre pays, il n’a pas à en subir les côtés désagréables mais peut profiter de ses bons côtés. Etranger dans son pays d’adoption, s’il en respecte les codes, il est tranquille et n’a pas à se sentir directement coupable des dysfonctionnements de cette société. S’il a du cœur, il peut faire son possible pour y remédier à son niveau, scolariser quelques enfants, aider un ami dans la difficulté ; s’il n’en a pas, il peut s’en laver les mains. C’est confortable dans les deux cas.
Propos recueillis par Fatim BARRO
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